Couper dans le gras est une expression qui est revenue souvent en parlant de l’État ces dernières années. Les Mario Dumont, Jean Charest, Philippe Couillard et François Legault l’ont tous dit.
Probablement qu’il y avait, effectivement, certains secteurs à revoir, juste parce que la société évolue, les besoins changent, etc. Les services publics doivent suivre les changements de société et technologiques.
Sauf qu’on sous-estime souvent l’impact de certains organismes publics ou de certains postes qui ont l’air de ne rien faire. On calcule trop rarement la facture qui va suivre une compression.
On oublie parfois que si une chose va bien, c’est parce qu’une personne y veille. Et garder un œil sur un processus pour éviter les problèmes tire en général moins d’énergie que régler un problème. Facile de croire que cette personne ne sert à rien. C’est le paradoxe de la prévention. Quand elle est bien faite, on pense qu’elle est inutile.
Une des choses que la Commission Charbonneau nous a montrées, c’est que la corruption et les collusions ont pu avoir lieu entre autres parce que le ministère des Transports du Québec n’a plus l’expertise pour encadrer les firmes de génie-conseil.
Parce qu’on a diminué les conditions de travail, parce qu’on a supprimé des postes, parce qu’on a retiré des mandats aux fonctionnaires pour les refiler à des entreprises privées. Jusqu’au jour où l’on s’est mis à refiler les mandats d’inspections aux mêmes firmes qui faisaient les travaux.
Il y a cette absurdité où certains ingénieurs peuvent travailler dix ans au sein d’un même ministère, pour superviser des projets, mais toujours comme employé d’une firme privée.
Rendu là, pourquoi cette personne n’est pas une employée de l’État? Comment ce type de contrats qui nous rend dépendants d’entreprises privées peut réellement nous couter moins cher comme société?
En fait, plus d’une étude a démontré que ces sous-traitances nous coutent plus cher, sans parler des enjeux de transparence et d’imputabilité. Comme le démontre l’actuel cas des services ambulanciers révélés par mes collègues en début de semaine.
Si je comprends pourquoi les infirmières préfèrent travailler pour des agences privées – les conditions de travail y sont meilleures –, je ne comprends toujours pas pourquoi l’État n’arrive pas à donner ces mêmes conditions de travail.
Une question d’argent? Selon le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), le recours au privé en santé a couté 3 milliards $ à l’État québécois en 6 ans. Un contrat avec une agence privée peut parfois monter à 150$ l’heure pour une seule infirmière.
Ma question est peut-être candide, mais admettons que ces trois milliards avaient servi à la rétention de la main-d’œuvre plutôt qu’aux agences privées, il me semble que l’État pourrait offrir des conditions de travail assez intéressantes, non?
Elle est où l’économie? Il est où le gain de productivité? Elle est où la qualité de service?
C’est avec cette logique qu’on se retrouve avec des contrats de 100 millions à des firmes comme McKinsey. À force de couper dans les services publics, nos ministères n’ont plus l’expertise pour réaliser des mandats parfois très simples, parfois même reliés au rôle principal du ministère.
C’est particulièrement malaisant, d’ailleurs, de savoir que c’est McKinsey qui conseille Trudeau et Legault. La firme est impliquée dans tellement de turpitudes.
Le scandale Enron? Résultat des bons conseils de McKinsey. La crise des opioïdes? Une autre bonne idée de McKinsey. La firme fait partie de ces experts qui ont imaginé les manigances bancaires et immobilières qui ont mené à la crise financière de 2008. En 2014, New York a engagé la firme pour diminuer la violence dans une prison. Après 28 M$ et quelques années de conseils, la violence a augmenté à des niveaux records.
Je pourrais faire une chronique complète juste sur les scandales et les «bonnes idées» de McKinsey.
Je n’ai jamais compris cette rengaine qui sous-entend que le privé fait mieux les choses que le public. Il y a tellement d’exemples de bêtises dans le privé. De bons coups aussi, évidemment, mais de tellement de niaiseries aussi.
N’allez pas croire que je pense que l’État ne se trompe jamais. Là aussi, il y a de bons et de mauvais coups. Parce qu’en fait, privé ou public, peu importe, ce sont des êtres humains derrière, des gens comme vous et moi qui peuvent réussir ou se tromper. Comme n’importe qui.
Pour moi, l’incompétence ou l’intelligence n’appartient ni à l’un ou à l’autre. L’un n’est pas meilleur que l’autre, les deux ont simplement des objectifs différents. Là où il y a un problème, c’est quand l’État devient dépendant du privé pour jouer son rôle. C’est quand l’État ne se donne pas les moyens d’avoir d’aussi bonnes ressources que les autres.
La liste des partenariats publics-privés qui sont à l’avantage de la population est très courte. Très très courte. Habituellement, le privé fait des profits pendant que les déficits et les problèmes vont du côté du public – avec souvent une diminution de services. Et ça, c’est une très mauvaise gestion des services publics.
Comme par hasard, ces idées viennent souvent d’anciens patrons du privé devenus ministres.
Ce qui me fait penser à cette tristement savoureuse phrase publiée en 2021 dans le magazine The Economist (qu’on ne peut pas qualifier d’anticapitaliste) : «Les consultants de McKinsey sont convaincus qu’ils font partie des êtres humains les plus intelligents. Ils sont en réalité parmi les gens les plus arrogants et irresponsables.» Ce sont ces mêmes personnes qui vantent le privé et déshabillent le public.
Alors que le ministre de la Santé, Christian Dubé, propose une loi pour éliminer le recours aux agences privées devenu problématique, je ne peux m’empêcher de penser à ce manifeste des lucides qui plaidaient que le privé règlerait nos problèmes.
C’était un beau panier de crabes.
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