Chronique|

Guérir à Saint-Élie-de-Caxton

Le réalisateur Jean-François Blais a jeté l'ancre pour quelques mois à Saint-Élie-de-Caxton, où il recommence à travailler sur des idées de concepts, mais aussi où il se relève doucement d'un épisode dépressif.

CHRONIQUE / La fenêtre du grand bureau donne sur l’avenue Principale de Saint-Élie-de-Caxton. Entre deux idées folles qu’il note sur son ordinateur, Jean-François Blais tourne son regard vers l’église, puis vers la montagne du Calvaire. Tout à l’heure, il ira pelleter les marches de sa galerie. Possible que quelqu’un passe sur la rue à ce moment, et que ça vire en jasette pour une bonne heure. Installé au pays des lutins depuis le mois d’octobre, le célèbre réalisateur québécois a retrouvé le goût de la création dans cette demeure. Et à deux pas de la maison de son ami Fred Pellerin, il a aussi commencé sa guérison, celle nécessaire après un diagnostic qu’il n’attendait certainement pas: celui d’une dépression.


«L’entrevue que je vais te donner, ce n’est probablement pas celle que tu attendais», me confie-t-il d’emblée. Il faut dire que l’approche avait été faite après avoir appris qu’il n’était plus chez ComédiHa, où il occupait depuis 2020 les fonctions de vice-président au contenu et producteur exécutif associé chez SISMYK, la branche musicale de la boîte de production. Qu’est-ce qui pouvait bien s’annoncer pour la suite des choses dans l’agenda de ce spécialiste du direct qui a été réalisateur d’En direct de l’univers, La Voix, de la plupart des grands galas télévisuels québécois de même que du mémorable spectacle de la fête nationale pandémique de 2020 à l’Amphithéâtre Cogeco de Trois-Rivières?

La réalité, c’est que l’aventure chez ComédiHa ne s’est pas déroulée exactement comme il l’espérait. «Après La Voix, j’ai volontairement voulu me retirer. J’avais besoin de ce petit recul-là. Je sentais une grande fatigue. Je voulais aller explorer autre chose. ComédiHa m’offrait un défi intéressant, mais ce défi n’est jamais arrivé. Pendant deux ans, j’ai quitté le show juste pour faire de la business. Je n’avais plus le temps de créer, j’étais tout le temps, tout le temps en meeting», se souvient-il.



Un petit remplacement à Star Académie l’an dernier lui aura toutefois fait réaliser que la création, le siège du réalisateur et toute l’adrénaline qui venait avec, ça lui manquait finalement. Or, ce n’était plus ce qu’il vivait dans son parcours professionnel. À la suite d’une restructuration chez ComédiHa, son poste ainsi que celui de sa conjointe et partenaire dans tout, Isabelle Viviers, et leurs collaboratrices ont été abolis.

Une porte ouverte pour le retour vers la création? Ça aurait pu, si ce n’était de cette immense fatigue qui le guettait toujours. «Un dimanche après-midi, j’étais dans mon lit chez moi et je pleurais comme un enfant. J’étais fatigué, tellement tout le temps fatigué. Je sais que j’ai étiré l’élastique très longtemps. Mon choix des deux dernières années ne m’avait pas non plus rendu heureux. Je suis allé voir mon médecin. Il m’a dit que j’étais en dépression», confie-t-il.

Si Jean-François Blais sent le besoin d’en parler, c’est qu’il connaît trop bien les dommages que le silence peut causer lorsqu’on s’y emmure, si on ne va pas chercher de l’aide. En peu de temps, il a perdu deux personnes proches de lui dans ces circonstances. Il souhaiterait tellement que ça n’arrive plus jamais à personne d’autre.

Même s’il a reçu le diagnostic comme une claque au visage, Jean-François a voulu tout mettre en place pour aller mieux. Ça a commencé par sortir de Montréal, où dans ce nouveau condo qu’ils venaient de s’acheter, Isabelle et lui ne voyaient à peu près plus personne. Son chalet de Yamachiche venait d’être vendu, un projet de construction à Saint-Léon-le-Grand était en démarrage. Mais en attendant, où allaient-ils aller?



C’est ce jour-là que le téléphone a sonné chez Fred Pellerin, un ami de longue date du couple. «Fred! Sais-tu s’il y a un coin à Saint-Élie où l’on pourrait venir s’installer quelque temps»? Par le plus heureux des hasards, la maison voisine était libre. Ils sont venus y poser les valises. Jean-François Blais l’admet avec toute sa franchise: c’est dans cette maison, sur ce perron et sur cette avenue Principale que la guérison a réellement débuté.

«Je devais m’installer pour guérir. C’est ça qui se passe en ce moment. Ma vie a changé du tout au tout. C’est un rêve que je vis, celui de reconnecter avec le monde, de revivre la vie de village», souligne celui qui est natif de Louiseville et qui a toujours eu une grande affection pour la campagne mauricienne. «Je sors pelleter, et je me fais arrêter pour jaser. La petite épicerie de village est dans ma cour. On va au petit café où on va lire des fois, je vais chercher mon pain en bas de la côte. On va au bureau de poste pour jaser avec le monde. L’autre jour, je suis allé acheter des légumes, je suis revenu trois quarts d’heures plus tard. Être proche du monde, j’ai ça dans mon ADN», constate-t-il.

C’est aussi à travers cette douce guérison caxtonienne qu’il a repris goût à la création, que le cerveau du réalisateur a recommencé à s’enflammer, à vouloir faire naître les prochaines idées qui enflammeront la télévision ou la scène québécoise. Car si ce spécialiste de la télé a laissé sa marque sur les plus grands shows, il vise de plus en plus les planches des grandes salles de la province pour ses prochaines idées.

«Je constate aujourd’hui que toute ma vie a été centrée sur réaliser le rêve des autres, mais pas forcément les miens. Des rêves, j’en ai, mais ça a toujours été repoussé. J’ai 51 ans, et j’ai encore tellement d’affaires à faire que je ne peux pas rester immobile comme je l’ai été les deux ou trois dernières années», reconnaît-il.

Quels seront ces projets à venir? Visiblement, il travaille sur des choses concrètes qu’il ne peut pas annoncer pour le moment. Mais d’autres idées lui viennent rapidement en tête. La scène de la Place des Arts, du Grand théâtre de Québec, de l’Amphithéâtre Cogeco de Trois-Rivières. Une série documentaire où il pourrait suivre une star internationale pendant un bon moment. Une autre où il explorera le manque de paternité. «Je n’ai jamais eu d’enfant. J’ai accepté de dire aux enfants d’Isabelle: je t’aime. Mais il y en a beaucoup, des hommes qui n’ont jamais eu d’enfant, et qu’un jour ce manque les rattrape. J’ai envie d’aller explorer ça», mentionne-t-il, précisant que ce projet se fera en collaboration avec le chanteur Mario Pelchat.

Mais surtout, Jean-François Blais veut laisser une trace, une marque, une oeuvre qui ne sera pas éphémère comme la télé peut souvent l’être. Quelque chose qui naît, et qui peut revivre plusieurs années plus tard. À la Starmania, Notre-Dame-de-Paris ou Don Juan... mais du pur Jean-François Blais.



Et en attendant que la nouvelle maison de Saint-Léon-le-Grand soit prête, c’est face à l’église de Saint-Élie que les idées bouillonnent et naissent dans son ordinateur. Entre deux promenades en motoneige, où l’inspiration vient ces jours-ci beaucoup plus rapidement que dans un condo montréalais. Dans ce petit village où tout a finalement repris son sens.

«Partout ici, c’est créatif! Partout ici, je vais de mieux en mieux!»

Si vous ou l’un de vos proches vivez de la détresse, n’hésitez jamais à demander de l’aide: 1-866-APPELLE