«Travaillons ensemble pour trouver des solutions»
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Quand Josée Lacoursière nous parle de «ses jeunes», on pourrait l’écouter pendant des heures. Infirmière scolaire depuis près de 20 ans, la femme ne passe pas par quatre chemins pour nous expliquer à quel point l’impact qu’elle a dans la vie de ces adolescents compte pour elle. «Si tu n’as qu’une seule chose à retenir aujourd’hui, c’est que j’aime tellement mon travail. Tellement! J’en mange!»
Mais voilà que le ciel de Josée se voile d’un nuage gris, elle qui a appris à l’instar de ses milliers de collègues du CIUSSS Mauricie et Centre-du-Québec qu’elle devra bientôt délaisser certaines journées dans son école pour venir prêter main forte une fin de semaine sur trois dans les services 24/7. Et n’allez pas croire que c’est de travailler la fin de semaine qui la dérange. Elle travaillerait sept jours par semaine si elle le pouvait... mais dans son école.
«Je pense que ce qu’on fait en milieu scolaire est méconnu», soutient-elle d’emblée. Allant de la sécurisation de l’école en fonction des allergies et des conditions médicales des élèves, de la formation aux professeurs, des interventions psychosociales en partenariat avec les autres spécialistes de l’école, des multiples suivis en santé sexuelle avec prescription de contraception, dépistage, traitement d’ITS et même des tests de grossesse, l’infirmière scolaire est tout simplement le filet de sécurité de la jeunesse qui fréquente son école, en plus d’être la porte d’entrée vers tous les soins de santé. Quand un élève vient cogner à sa porte, il faut que la porte soit ouverte. Parce que ça aura pris à l’élève tout son petit change pour venir voir Josée... et qu’il ne reviendra peut-être pas un autre jour.
«Nous sommes capables d’être créatifs, ingénieux. Tout le monde veut la même chose: le bien-être des usagers.»
— Josée Lacoursière
Pour Josée, l’idée d’aller travailler sur les services 24/7 au cours des prochains mois est carrément devenue anxiogène. Elle songe à l’impact que cette mesure aura sur la population. «Même si on nous forme trois, quatre ou cinq jours, c’est difficile de penser qu’on aura tous les acquis nécessaires. Ça fait plus de 20 ans que je suis en santé communautaire et auprès des étudiants. Les réflexes des autres départements ne sont pas toujours là. Ma plus grande crainte, c’est de ne pas être en mesure de donner un soin de qualité en toute sécurité à la population. Pour moi, c’est très anxiogène et ça m’empêche de dormir ces jours-ci. J’ai peur de causer préjudice à la fois aux patients mais aussi aux collègues, j’ai peur de nuire plus qu’autre chose», mentionne celle qui est à quelques années de sa retraite, mais qui pourrait considérer la devancer, véritablement à contre-cœur.
Pourtant, Josée croit fermement qu’il existe des solutions, qui passent notamment par l’autogestion, les équipes de garde, la flexibilité des horaires et l’application d’horaires allant jusqu’à 12 heures, le transfert de tâches administratives aux agents administratifs, et j’en passe. Elle énumère ces solutions, avec un large sourire, car elle y croit encore. Elle croit qu’en ayant de la volonté de se rendre sur le terrain et de parler aux infirmières, les gestionnaires pourront avec elles trouver d’autres solutions.
«Nous sommes capables d’être créatifs, ingénieux. Tout le monde veut la même chose: le bien-être des usagers. Alors travaillons ensemble pour trouver les solutions», clame-t-elle.
«Il n’y a rien de bon dans ces mesures»
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Après près de 30 ans passés à travailler comme infirmier en santé mentale dans la région de Montréal, Patrick Garneau est venu s’installer en Mauricie il y a trois ans et travaille comme infirmier en CHSLD. Patrick fait partie des services 24/7. Du temps supplémentaire, il en fait. Il travaille toujours une fin de semaine sur deux. Normalement, il devrait faire partie de ceux qui sont contents de voir arriver l’aide des consoeurs avec cette nouvelle mesure du CIUSSS. Mais il n’en est rien.
«Il n’y a rien de bon dans ces mesures, ni pour les infirmières, ni pour la population», martèle-t-il d’emblée.
Lorsqu’il est arrivé dans son CHSLD au début de l’année 2020, Patrick confie qu’il lui aura fallu de 3 à 5 mois, à temps plein et accompagné par une collègue, pour se sentir totalement à l’aise dans son nouveau rôle. Aujourd’hui, il s’explique très mal comment le CIUSSS peut croire qu’en faisant travailler des infirmières une fin de semaine sur trois, soit environ 30 à 35 jours par année, dans des départements où elles n’ont pas oeuvré depuis 15 ou 20 ans, elles pourront offrir des soins de qualité et sécuritaires pour la population, même avec une formation de quelques jours.
«Ça n’a rien à voir avec l’idée de ne pas vouloir travailler les fins de semaine. Là n’est pas le combat. On va prendre des infirmières qui ont fait des études supérieures, des baccalauréats, des maîtrises ou des attestations. Toutes ces années, elles se sont spécialisées en se faisant valoriser par l’employeur et par l’OIIQ. Ces filles ont fait ça, parfois en étant monoparentales, avec des enfants, en faisant des sacrifices incroyables. Et du jour au lendemain, on leur dit que ça n’a plus d’importance ce qu’elles ont fait pour notre organisation», se désole Patrick.
L’infirmier s’inquiète également de voir les soins qui sont en dehors du 24/7 diminuer. Il cite en exemple les patients en oncologie ou encore ceux qui ont besoin de soins pour une plaie, et qui n’arriveraient pas à avoir le contact immédiat avec l’infirmière à leur dossier, puisqu’elle est en congé pour rattraper le temps passé au 24/7 durant la fin de semaine. «Ce sont des soins prioritaires, qui ne peuvent pas attendre. Où vont-ils se retrouver, ces gens-là? À l’urgence! Est-ce que c’est vraiment ça qu’on veut? Je ne comprends pas qu’il y ait eu cette décision-là. Je ne juge personne, mais il n’y a rien de bon pour la société là-dedans», répète-t-il.
L’infirmier est à l’aube de sa retraite. Or, ce qu’il voit poindre à l’horizon n’a rien d’encourageant, plaide-t-il, sachant que d’ici quelques années, il y aura encore davantage de population vieillissante à soigner, pour de moins en moins de professionnels en soins. Il déplore en outre que la gestion se fasse à la pièce. « Il n’y a pas de vision de ce qui s’en vient. Ça fait déjà des années que nous sommes pris avec le temps supplémentaire obligatoire, et on n’a pas agi? On fait dans une gestion immédiate, à la pièce, et si on frappe un mur, on le défonce. Comme présentement...»
«J’ai du mal à croire que le Québec investit un milliard de dollars par semaine dans ses soins de santé et que c’est tout ce qu’on a à offrir à la population. Il y a quelque chose qui ne marche pas.»
— Patrick Garneau
Pour Patrick, la mobilisation des infirmières qui se vit à l’heure actuelle l’encourage énormément. «Ça fait des années qu’on le dit, que nos conditions de travail se détériorent tout le temps. Là, c’est un message très fort que l’on envoie à l’employeur. Ce qu’on dit, c’est que: ça fait!», s’exclame-t-il.
Selon lui, plusieurs solutions mériteraient d’être explorées, dont celle de la gestion participative qui aurait fait ses preuves dans les hôpitaux anglophones. Ça devrait aussi passer par une meilleure répartition des tâches aux gestionnaires pour en ramener certains sur le plancher et donner un coup de main, l’implantation de services de garde dans les centres de soins, des attentions portées au personnel dont le paiement partiel ou total de l’adhésion à l’OIIQ, une approche plus humaniste des gestionnaires, une petite tape dans le dos de temps en temps...
«J’anticipe fortement ce que ces mesures vont faire. Les 55 ans et plus vont prendre leur retraite anticipée. Elles ne viendront pas faire le travail dans ces conditions quand tu as donné ton effort toute ta vie. Celles qui sont parties à la retraite et qui pensaient revenir donner un coup de main ne reviendront pas. Il y aura des congés de maladie, des démissions. J’en connais personnellement qui sont déjà prêtes à partir. Des idées, des solutions, il y en a. Nous sommes prêts à en donner, il faut nous consulter. Il faut être innovant.»
«Ce n’est pas la bonne façon d’aider nos collègues»
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Il y a trois ans, Valérie Boucher a quitté l’hôpital de Shawinigan pour débuter un nouveau poste en soutien à domicile. Après 15 années à s’investir dans ce centre hospitalier, il était temps qu’elle change de place. Pour elle, c’était devenu une question de santé physique et psychologique.
«J’adore mon travail, je l’ai toujours aimé. Mais dans les derniers temps à l’hôpital, je me sentais comme dans une ‘’shop’' à patients. Tout allait toujours plus vite, on augmentait le nombre de lits, il y avait beaucoup de pression sur nos épaules. C’était des conditions de travail très difficiles pour moi et chaque jour, j’avais une boule dans la gorge, dans l’estomac. J’en faisais de l’anxiété. Quand j’ai eu mon poste en soutien à domicile, ça a été comme une délivrance», se souvient-elle.
Le problème, plaide-t-elle, ça n’a jamais été les fins de semaine. D’ailleurs, en soutien à domicile, elle œuvre encore dans les services 24/7 puisqu’elle doit travailler une fin de semaine sur quatre, et qu’elle effectue deux nuits de garde par mois. Mais au même titre que bien d’autres de ses collègues, chacun a sa vocation, et aspire à développer une spécialisation, à se sentir à sa place dans un système de santé qui est lui aussi très diversifié.
Aujourd’hui, elle fait du suivi à domicile auprès d’une clientèle qu’on veut justement maintenir le plus longtemps à domicile. Parce que ça désengorge le système, assurément, mais aussi parce que c’est ce que la personne désire, et qu’on trouve un sens très profond à l’accompagner là-dedans.
Or, l’arrivée de la nouvelle mesure du CIUSSS aura un impact certain sur ce service, le privant de ses infirmières à certains moments chaque semaine pour qu’elles puissent aller aider dans d’autres départements. Valérie anticipe déjà que des suivis ne se feront plus, qu’on s’en tiendra aux services essentiels, ce qui n’aiderait en rien la prévention pour cette clientèle.
«Oui, nous sommes solidaires de nos collègues, mais cette mesure n’est pas la bonne façon d’aider nos collègues. On va se sentir comme un boulet pour elles.»
— Valérie Boucher
Mais que pense-t-elle de cet appel à la solidarité envers ses autres collègues que son employeur clame depuis plusieurs jours? «Nous sommes déjà solidaires, parce que tout le monde fait déjà plus que sa part dans tous les milieux. Au soutien à domicile, tout le monde est à temps plein, on n’a pratiquement jamais personne qui part sur l’assurance maladie, on se donne à plus que 110%. Oui, nous sommes solidaires de nos collègues, mais cette mesure n’est pas la bonne façon d’aider nos collègues. On va se sentir comme un boulet pour elles», croit celle qui compte 18 années d’expérience.
Quelle serait la solution alors? «Écoutez vos employées! Moi j’ai la chance d’avoir une gestionnaire merveilleuse qui est proche de son monde, et quand un enjeu survient, elle nous consulte toujours. On les trouve, les solutions. Pourquoi on ne fait pas ça dans l’ensemble du système? Le monde en a, des solutions. Chaque milieu est différent et les gens sur le terrain sont capables de trouver des solutions», clame-t-elle.
Il y a un an, le CIUSSS a lancé un appel afin que des personnes viennent prêter main-forte à Drummondville, car il manquait de personnel. Valérie a levé la main, elle y est allée plusieurs jours. «Personne ne m’a forcée, et ça m’a fait plaisir de donner mon 110%. Mais quand on force le monde, ça n’a rien de constructif», explique-t-elle.
Lors de l’annonce de la mesure, la semaine dernière, Valérie a senti la boule se reformer dans sa gorge et son estomac, l’anxiété la gagner de nouveau. Si le CIUSSS devait aller de l’avant, elle pourrait tout simplement quitter le navire. «Je ne veux plus revivre ça, cette anxiété-là. Mon effort, je le donne à 100%, mais je ne me rendrai pas malade. Démissionner, je l’envisage. Je changerai de carrière, je ferai autre chose, c’est tout. Je suis une battante, j’adore ma job, mais là, c’est trop», confie-t-elle, émotive.
«Le plus beau métier du monde... mais pas à tout prix»
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Isabelle Laroche a touché à beaucoup de spécialités depuis le début de sa carrière d’infirmière, en 1992. D’abord infirmière sur les étages, elle est passée à l’urgence, puis aux soins intensifs, pour occuper un poste au bloc opératoire pendant 15 ans. Depuis les dernières années, elle occupe un poste en chirurgie d’un jour, mais dépanne actuellement au département de bilan pré-opératoire, en raison du manque de personnel.
«À chaque fois que j’ai occupé un nouveau poste, ça a pris du temps avant que je me sente confortable de travailler. En clinique externe, il m’a fallu six mois, et au bloc opératoire c’était une bonne année avant d’être totalement à l’aise dans mes tâches et mon environnement. De penser qu’on va pouvoir promener les infirmières d’un département à l’autre une fin de semaine de temps en temps avec juste un peu de formation, c’est impossible. On ne pourra jamais arriver à être parfaitement à l’aise de donner des soins n’importe où une fin de semaine sur trois», signale Isabelle.
Son permis de pratique de l’OIIQ, Isabelle le compare à un permis de conduire. Lorsqu’elle est derrière le volant, tout comme lorsqu’elle soigne, elle est seule et unique responsable de ses actions. Elle devra aussi porter le fardeau d’une erreur professionnelle si jamais cela devait arriver. «Je n’oserais jamais conduire si je sentais que je n’en ai pas totalement la capacité. Pourquoi ce serait différent lorsque je soigne un patient? Je suis en fin de carrière. Je n’ai absolument pas envie de finir sur une note négative en ne fournissant pas un soin optimal à mes patients», constate Isabelle.
Au bilan pré-opératoire, où elle œuvre actuellement, le fait de devoir s’absenter durant certains jours de la semaine de son travail pour aller combler les quarts durant la fin de semaine l’inquiète grandement, puisque les dossiers s’empileront et que les suivis auprès de cette clientèle ne seront pas aussi efficaces. «Parfois, on a des cas de cancer en attente de résultats pour des opérations. Or, si je m’absente le vendredi et le lundi, et qu’à mon retour je dois voir mes patients qui sont là, ça veut dire qu’une personne en attente de résultats peut attendre plusieurs jours, presque une semaine, avant d’avoir de mes nouvelles. Pour une personne qui vit avec un cancer, c’est tellement anxiogène. J’ai du mal à croire qu’on accepte consciemment d’imposer ça aux patients», cite-t-elle en exemple.
«Je suis en fin de carrière. Je n’ai absolument pas envie de finir sur une note négative en ne fournissant pas un soin optimal à mes patients.»
— Isabelle Laroche
Ceci sans compter l’ambiance de travail que la mesure causera sur le plancher. «Le week-end que je travaillerai sera probablement de jour en raison de mon ancienneté. Les temps supplémentaires et temps supplémentaires obligatoires sont de soir et de nuit. Ça veut dire que je viendrai dépanner des collègues en déplaçant des plus jeunes? Ça va faire une drôle d’ambiance», croit-elle.
Isabelle se souvient de l’époque où on avait recours à des équipes volantes sur les départements, des «bulles volantes» comme on les appelait. Pourquoi ne pas revenir à cette méthode, se demande-t-elle. «Si tous les corps de métiers étaient comblés comme les auxiliaires et les préposés aux bénéficiaires, on aurait aussi plus de temps pour faire uniquement des tâches d’infirmière. Et si je ne me trompe pas, la plupart de nos gestionnaires sont membres de l’OIIQ. Ce serait bien qu’elles viennent aussi mettre l’épaule à la roue», croit Isabelle.
Depuis l’annonce de la mesure, des cliniques privées en chirurgie ont déjà commencé à la contacter pour connaître son intérêt à venir terminer sa carrière au privé. Isabelle songe aussi à l’enseignement à l’université, ou encore au collégial ou au professionnel. Une chose est sûre, elle quittera le réseau si la mesure va de l’avant.
«Je fais le plus beau métier du monde... mais pas à tout prix»!
CIUSSS-MCQ
En point de presse mardi, le CIUSSS-MCQ et sa présidente et directrice générale, Natalie Petitclerc, ont réitéré l’importance d’imposer cette mesure étant donné que «le statu quo n’est plus possible». Le trop grand recours au temps supplémentaire obligatoire dans les divers départements 24/7 de la région et l’importance de maintenir ces services pour la population entraînent la nécessité de cette mesure, pour laquelle les dirigeants en appellent à la solidarité des infirmières envers leurs collègues.
La direction assure non seulement que de la formation et de l’accompagnement seront fourni aux infirmières, mais aussi que les infirmières touchées par la mesure seront appelées à travailler dans des départements qui s’apparentent à leur milieu de travail actuel. On assure également qu’on mettra tout en place pour que les services à la population en dehors des départements 24/7 ne soient pas affectés et que des soins de qualité continuent de se donner.