Chronique|

Un pont qui déborde pour rien

Pont Saint-François, rue Terril

CHRONIQUE / Des fois, on s’emporte sur pas grand-chose. On cherche des scandales là où il n’y en a pas. Le vidéo de la conseillère municipale de Sherbrooke Laure Letarte-Lavoie où elle danse sur le pont Saint-François fait partie de ces trucs qui débordent pour rien.


Mise en contexte pour les personnes qui auraient eu le bonheur de ne pas avoir vu ça passer. Dimanche, la conseillère Laure Letarte-Lavoie a publié sur Facebook une vidéo où elle écrit : «Le pont Terrill est fermé le temps des travaux sur Grandes-Fourches. Sur le pont Terrill, on y danse, on y danse, sur le pont Terrill on y danse tout en rond! Profitons-en! C’est une belle opportunité à saisir, je propose d’utiliser cet espace vide pour en faire une rue conviviale pour la population!»

Dans la vidéo, on peut la voir danser sur le pont Saint-François (où passe la rue Terrill) avec d’autres membres du conseil municipal, Fernanda Luz, Raïs Kibonge et Joanie Bellerose. Le vidéo dure 22 secondes.



Les premiers débordements ont eu lieu avec des commentaires en ligne. Certains citoyens y ont vu une célébration de la fermeture du pont. Comme si la conseillère avait planifié de fermer le pont juste pour pouvoir danser dessus. Ce qui n’a évidemment aucun sens, les travaux ont été planifiés bien avant son arrivée au conseil municipal.

D’autres croient que sa vidéo est une façon de célébrer l’impact des travaux sur la circulation. Comme si elle pouvait réellement être contente des bouchons de circulation.

Pourtant, c’est assez évident que peu importe si le pont est vide ou non, les travaux ont lieu et la circulation est perturbée. La seule proposition de la conseillère dans sa publication est celle-ci : tant qu’à avoir un pont inutilisé pendant les travaux, l’utilise-t-on temporairement pour autre chose?

Peu importe, aux yeux de quelques personnes, c’est la preuve qu’elle déteste les autos. Qu’elle se fiche des bouchons de circulation. Qu’elle n’a aucun respect pour les automobilistes. Il y en a qui ont été jusqu’à la traiter de «connasse». Parce qu’évidemment, insulter est la meilleure façon de demander du respect. (non!)



Si ce n’était que ces quelques commentaires, je ne vous en parlerais peut-être pas, même si les insultes n’ont pas évidemment pas leur place, peu importe à quel point on est en accord ou non avec la proposition.

L’histoire a aussi rebondi dans les médias, comme si c’était un scandale.

Est-ce que l’idée d’en faire un espace urbain le temps des travaux est une bonne ou une mauvaise idée? Je ne sais pas, mais il n’y a clairement aucun scandale.

Et la sécurité là-dedans, a-t-on pu entendre sur certaines ondes, à quoi a pensé la conseillère?

On peut bien ergoter si on sonde des idées avant de les soumettre aux enjeux de sécurité, comme le fait Laure Letarte-Lavoie ou si on demande la liste de ce qu’il est possible de faire avant de sonder la population, comme le suggèrent quelques personnes, mais dans les deux cas, personne n’est mis en danger et il n’y a aucun enjeu de sécurité.

L’important c’est de vérifier ces enjeux avant de mettre en branle le projet, mais que ce soit avant ou après la tempête d’idées, sérieusement, ça ne met personne en danger.



Ceci dit, par expérience, c’est probablement plus facile de vérifier avec des idées précises que demander une liste des possibilités qui ne doit même pas exister avant de trouver des idées.

En quoi un piéton serait-il moins en sécurité à s’assoir sur une table à pique-nique au milieu d’un pont vide que marcher sur le trottoir entouré de voitures qui roulent à pleine vitesse?

Quelle est la différence entre une personne qui décide de s’arrêter dans sa marche pour regarder la rivière pendant une demi-heure accotée sur la clôture ou assise sur un banc temporairement placé là? En quoi serait-ce plus dangereux?

Le monde en parle comme si Laure Letarte-Lavoie avait suggéré de faire un festival de musique. Elle parle juste de pouvoir chiller sur le pont. Lorsque la température sera plus agréable - donc pas besoin de dire qu’il fait en ce moment trop froid, les travaux sont prévus jusqu’en septembre prochain.

«Un pont c’est fait pour circuler!» dit-on. Mettons, sauf que le pont n’est pas accessible pour les voitures en ce moment, mais pour les piétons et les cyclistes, oui.

Doit-on comprendre que par orgueil, ces personnes préfèrent que le pont ne serve à rien pendant les travaux que peut-être servir de place publique? Si les voitures ne peuvent y avoir accès, personne ne peut avoir accès?

C’est un peu ça qui ressort de toute cette tempête dans le verre d’eau : un déplacement de frustration.

Empêcher des gens de flâner sur le pont juste parce que les automobilistes doivent faire un détour pendant la construction du rond-point, ça n’aide pas les automobilistes, ça ne fait pas avancer les travaux plus rapidement, ça ne fait pas disparaitre les bouchons de circulation.

Cette vidéo, qui n’était qu’une invitation à un brainstorm, ne méritait pas les insultes et les dénigrements que Laure Letarte-Lavoie a reçus.