Gatineau a peut-être gagné une manche, comme le dit M. Moran, mais certainement pas la guerre.
Tout reste à faire. Le combat est loin d’être terminé.
À preuve, quelques heures à peine après que le conseil municipal ait opposé son veto à la démolition de l’authentique maison-allumette du 207, rue Notre-Dame-de-l’Ile, le promoteur annonçait son intention de poursuivre la discussion devant les tribunaux. Du point de vue de NDI Champlain, la maison-allumette est moins un trésor du patrimoine qu’un taudis bloquant la route au projet de 159 logements qu’il veut construire sur le quadrilatère -- avec le soutien des associations de constructeurs de maisons.
L’ennui, c’est qu’une partie de la population entretient la même vision réductrice du patrimoine. Au spectacle d’une maison-allumette, certains Gatinois voient moins un témoin de l’histoire de la région qu’une bâtisse toute croche, envahie par les broussailles, à la peinture écaillée et au toit en guingois. Un taudis tout juste bon à la démolition qui entrave la bonne marche du progrès.
D’autres villes, comme Alexandria en Virginie, ont mieux compris tout le potentiel touristique et économique qu’on peut tirer des quartiers historiques. J’ai écrit une chronique là-dessus. Gatineau aurait intérêt à aller voir ce qui se fait ailleurs, et vite. Québec aussi a adopté en quatrième vitesse un règlement avec du mordant pour mieux protéger son patrimoine. Tout ça sous l’impulsion du nouveau maire Bruno Marchand. Là-dessus aussi, j’ai écrit une chronique.
[ Un patrimoine qui vaut cher ]
Il reste que, pour une fois, mardi, une majorité d’élus s’est opposée à la démolition. Le conseil municipal envoie le signal qu’il est un peu plus difficile qu’avant de démolir du patrimoine bâti à Gatineau. Les promoteurs vont en prendre bonne note. D’ailleurs, c’aurait été un scandale que les élus approuvent la destruction d’un des plus authentiques témoins du passé industriel de Gatineau en plein mois du patrimoine!
[ Enfin, Gatineau se réveille ]
La décision du conseil municipal est cependant une courte victoire. Certes, le promoteur n’a pas le droit de démolir la propriété - à l’exception de la rallonge arrière qui n’a, de toute manière, aucune valeur patrimoniale. Il ne peut pas démolir, mais rien ne l’oblige non plus à rénover ou restaurer cette authentique maison-allumette. Ce qui nous rappelle douloureusement que Gatineau a manqué l’occasion de la protéger par une citation historique par le passé. Maintenant, il est trop tard.
Cette victoire est aussi fragile parce que le conseil envoie des signaux contradictoires.
Tout en vantant sa valeur patrimoniale, le conseiller Mario Aubé a voté POUR la démolition du 207, rue Notre-Dame-de-l’Ile. Or son vote a une valeur symbolique. M. Aubé est non seulement le président du comité consultatif d’urbanisme, il préside aussi le comité consultatif sur le patrimoine. Un élu dans sa position devrait se donner comme mission de défendre le patrimoine bâti avec la dernière énergie. Le voilà qui laisse aller sans combattre un bâtiment d’une valeur d’authenticité supérieure. Avec un allié comme M. Aubé, le patrimoine n’a pas besoin d’ennemis.
Le président du comité exécutif, Daniel Champagne, a raison quand il dit qu’il faut cesser de défendre les maisons-allumettes à la pièce et développer une stratégie pour protéger les grands ensembles patrimoniaux. Mais il n’y a pas de temps à perdre. Avec la crise du logement, la pression se fait de plus en plus forte pour construire partout. Le patrimoine bâti de Gatineau a déjà assez souffert des incendies, des expropriations et des démolitions.