Un détail, vous direz. Peut-être pas tant que ça.
Quand je pense à un accident, je pense à glisser sur un trottoir verglacé, je pense à un accident de la route, je pense à trébucher dans un escalier. Il y a dans la notion d’accident une odeur de fatalité. C’est un accident, on n’y peut rien, ça arrive.
Quand je pense à un accident, je ne pense pas, spontanément, à un élève en colère, qui se saisit d’un objet pour le lancer. Peut-être que oui, l’objet finit par atteindre «accidentellement» la prof. Mais est-ce pour autant un accident? N’est-on pas plutôt devant un acte de violence intolérable?
Le choix des mots a son importance ici. Et je serais curieux de savoir si la prof qui a reçu l’objet par la tête est d’accord avec la version de l’«accident».
Cela dit, je n’ai pas eu le fin fond de l’histoire de ce qui s’est produit à l’école du Lac-des-Fées, la semaine dernière. Il a fallu appeler une ambulance pour venir au secours d’une prof ensanglantée. Sa blessure était sans gravité et son corps s’en est vite remis, nous a dit la présidente de son syndicat. Mais son âme? C’est une autre affaire. Cette prof demandait du renfort dans sa classe spécialisée depuis le mois de décembre. Sans succès, apparemment.
De l’altercation entre la prof et l’élève, j’en sais ce que la direction de l’école a bien voulu en dire dans une lettre pour rassurer les parents: c’est un accident. J’en sais ce que le syndicat en a dit dans une entrevue au Droit: c’est un objet lancé violemment par l’élève qui a atteint la prof à la tête. Par accident? Peut-être bien. Les deux versions des faits ne sont pas incompatibles.
J’en sais aussi ce que le Centre de services scolaires des Portages-de-l’Outaouais (CSSPO) a bien voulu nous en dire: rien. Ou plutôt: pas de commentaires, c’est un dossier sensible, confidentiel à bien des égards. Bien sûr! On ne va pas faire le procès d’un élève sur la place publique. Dans ce genre de dossier, la vérité n’est jamais toute blanche ou toute noire. Et je me garderai bien de blâmer un enfant ou ses parents sans savoir ce quoi il en retourne.
N’empêche que dans un dossier pareil, le CSSPO devrait au moins faire état de ce qui s’est réellement passé à l’école du Lac-des-Fées. Son silence cautionne l’explication donnée dans un premier temps par la direction de l’école: c’est un accident.
Or décrire une violente altercation entre un élève et une prof comme un «accident» donne l’impression d’un «cover-up», d’un maquillage de ce qui s’est réellement produit. Et c’est grave. Ça donne l’impression d’une institution plus préoccupée de préserver son image que de voir la réalité en face.
Et la réalité, c’est que les centres de services scolaires du Québec ont déclaré deux fois plus de gestes violents l’année dernière qu’en 2018-2019, soit avant la pandémie, apprenait-on la semaine dernière. Le Journal de Montréal, lui, rapportait que le nombre d’enseignants indemnisés après avoir subi de la violence à l’école avait augmenté de 65 % en un an seulement.
Pourquoi ce regain de violence? Vit-on le ressac de la pandémie? Paie-t-on le prix pour avoir privé nos jeunes de sports, d’amis et d’école pendant deux ans? Est-ce que l’irrespect et l’incivilité qui se manifestent librement sur les médias sociaux sont en train de se transposer dans la vie réelle? Est-ce que la pénurie de personnel, le manque de ressources spécialisées, la pression pour ajouter des élèves dans les classes et l’épuisement généralisé expliquent en partie ce regain de violence?
Je l’ignore. Tout ce que je sais, c’est que tout cela n’arrive pas par accident. Tant mieux, dans le fond. Les accidents, on n’y peut rien. Tandis que la violence, on peut essayer d’en dresser le portrait, d’en trouver les causes. Ça commence par plus de transparence, plus de rigueur de la part des Centres de services scolaires au moment de faire l’inventaire des gestes violents dans les écoles. On le doit aux enseignants qui se font garrocher des objets par la tête.