En avril dernier, alors que le CIUSSS Mauricie et Centre-du-Québec lançait une campagne de recrutement pour trouver de nouvelles familles d’accueil sur le territoire, les places en famille d’accueil avaient un taux d’occupation oscillant entre 95% et 98%. Il n’y avait pratiquement plus de marge de manoeuvre. Maude, elle, hurlait dans sa voiture en entendant cette nouvelle, elle à qui on venait de refuser d’accueillir un second enfant chez elle pour des raisons qu’elle qualifie aujourd’hui d’illogiques.
L’histoire de Maude débute bien avant qu’elle n’envisage de devenir famille d’accueil via la banque mixte. Pendant plusieurs années, Maude a été en couple avec Francis*. Il y a quelques années, le couple s’est séparé en bon terme.
Maude, qui a toujours rêvé de devenir maman, mais qui rencontre des difficultés à concevoir de manière naturelle, a donc choisi de proposer d’accueillir un enfant de la DPJ via la banque mixte, un projet qu’elle a porté comme célibataire. Sa candidature a été retenue, elle a passé avec succès toutes les évaluations nécessaires pour que son dossier soit accepté. Quelques mois plus tard, cet enfant est arrivé dans sa vie. D’un placement temporaire, le placement de Charlie en est devenu un jusqu’à majorité, et Maude entamera bientôt des démarches pour pouvoir adopter légalement l’enfant. Charlie, désormais, c’est le centre de sa vie!
«Je n’ai jamais vu ça comme étant une job, un contrat. Pour moi, adopter un enfant par le biais de la banque mixte, c’est un projet de vie. Il y a tellement d’enfants ici qui ont besoin qu’on les aime et qu’on s’en occupe. J’offre une famille, un foyer à mon enfant et je souhaite lui donner la meilleure vie possible», souligne-t-elle.
Il y a deux ans, Francis a repris contact avec Maude, et les deux conjoints ont recommencé à se fréquenter. Maude en a évidemment avisé son intervenante à l’application des mesures, comme elle se doit de mentionner tout changement important à sa vie, ce qu’exigent les critères de la DPJ pour les familles d’accueil. L’intervenante a rencontré Francis à quelques reprises. Elle a même fait venir son plumitif, et tout était en règle. Le couple a pu recommencer sa relation, cette fois en prenant en considération que Charlie faisait maintenant partie intégrante de la vie de Maude. Francis a embrassé le projet avec elle.
Récemment, le couple a souhaité accueillir un autre enfant, cette fois en portant comme couple ce projet via la banque mixte. Or, c’est là que tout a dérapé. Le service de l’évaluation n’avait pas été informé que Francis faisait désormais partie de la vie de Maude, et qu’il habitait avec elle et Charlie. Francis n’avait donc pas été évalué en bonne et due forme selon les critères de l’évaluation.
«J’avais avisé la DPJ oui, mais par le biais de mon intervenante. Mais moi, quand on me dit que je dois aviser la DPJ, j’estime que c’est ce que j’ai fait. Je n’ai pas gardé ça secret, j’ai donné l’information», convient-elle.
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L’évaluation a accepté de rencontrer Francis afin de valider si, d’abord, il pouvait être considéré dans le dossier de Charlie. Il aurait été rencontré environ deux heures. Les intervenantes au dossier de Charlie qui sont chargées de l’application des mesures n’auraient pas été consultées.
«Avec les intervenantes à l’application des mesures, ça va numéro un! Elles font un travail extraordinaire, et elles le voient bien que nous sommes une bonne famille, que notre milieu est parfait pour un enfant. J’aurais aimé qu’elles puissent le dire. Elles m’ont dit fréquemment que nous étions une très bonne famille d’accueil, même exemplaire. Mais on ne leur a même pas demandé leur avis», précise-t-elle.
Selon Maude, l’évaluation a refusé que Francis soit considéré comme famille d’accueil pour Charlie. Le dossier a été fermé, tout simplement. Ils ne s’opposeraient pas à sa présence dans la maison, mais seule Maude continuerait d’être considérée comme famille pour Charlie. On leur a également reproché d’avoir envisagé un processus de procréation assistée, en attendant de savoir s’ils pouvaient déposer un dossier pour une seconde adoption. Et alors qu’ils auraient pu présenter une nouvelle demande pour un second enfant lorsqu’ils auraient atteint deux ans de vie commune, la DPJ a fermé le dossier avant ce terme, leur indiquant que ce ne serait tout simplement pas possible.
«On nous reproche un manque de transparence, alors que justement, nous avons été transparents avec eux. On a tout dit, on a tout montré. C’est comme si, lorsque tu vas vers la banque mixte, tu appartiens à l’État. Tu es un employé de l’État 24 heures par jour et il ne peut rien arriver d’autre dans ta vie. Mais ce n’est pas ça la vraie vie. Des changements dans une vie, ça arrive et ça se justifie. On ne peut pas empêcher les gens d’avancer dans la vie. Si c’est ça, on va éliminer énormément de candidats potentiels pour la banque mixte, on n’en trouvera jamais», constate la maman dans la trentaine.
Selon le CIUSSS Mauricie et Centre-du-Québec, à l’heure actuelle, 25 enfants dont un processus d’adoption via la banque mixte pourrait être envisagé sont en attente d’une place. Un nombre qui fait sursauter Maude. «Ça n’a aucun sens», murmure-t-elle.
À la Fédération des familles d’accueil et des ressources intermédiaires du Québec (FFARIQ), qui représente les droits de milliers de familles d’accueil au Québec, la présidente Geneviève Rioux estime qu’on ne peut pas, à l’heure actuelle, se permettre de refuser des gens qui sont déjà évalués positivement selon les critères de l’établissement.
«On peut se permettre de refuser ceux qui ne répondent pas aux critères. Même qu’on ne manquera jamais assez de familles pour faire des compromis sur les critères, car le bien-être des enfants est primordial. Mon problème avec cette histoire est que la dame est déjà famille d’accueil», constate la présidente de la FFARIQ.
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«On a décidé qu’elle avait commis une faute, alors qu’il m’apparaît qu’il y a possiblement eu un manque de communication. Et là, on lui donne une tape sur les doigts, alors que pour elle, ça vient compromettre complètement un projet de vie», se désole Mme Rioux.
Pour la présidente de la FFARIQ, cette histoire représente bien le manque de soutien des ressources autant que celui donné aux familles d’accueil. Elle est d’ailleurs d’avis qu’il importe qu’on considère les familles d’accueil davantage comme des partenaires, puisqu’elles ont tout autant à coeur le bien-être et la sécurité des enfants qui sont placés dans ces milieux.
Au CIUSSS Mauricie et Centre-du-Québec, on ne peut évidemment pas commenter un dossier précis pour préserver la confidentialité. Toutefois, la responsable des communications, Geneviève Jauron, explique que dans un processus d’adoption, toute personne dont la situation conjugale évolue doit en saisir la DPJ. C’est un élément incontournable compris dans l’entente dès le départ, et la personne qui est évaluée positivement possède toutes les informations, y compris les coordonnées des personnes à joindre, pour aviser des changements. «Nos processus sont extrêmement rigoureux et visent à s’assurer du bon développement de l’enfant mais aussi de la stabilité du milieu dans lequel il évolue. Ce sont des critères qui sont établis à l’échelle provinciale», précise-t-elle, citant au passage qu’un couple qui souhaite entamer un processus d’adoption doit, par exemple, habiter ensemble depuis au moins 24 mois.
«Les décisions qui sont rendues se basent très souvent sur plusieurs critères, et non un seul. Maintenant, nous comprenons aussi qu’une personne ou un couple qui n’est pas retenu selon les critères peut vivre de l’insatisfaction, et nous les invitons à communiquer avec nous quand c’est le cas», ajoute Mme Jauron.
Cette dernière ajoute qu’il est généralement dans les bonnes pratiques de mener un seul projet à la fois, toujours dans le but d’assurer la plus grande stabilité possible pour l’enfant au coeur du projet.
Pour Maude, la page n’est pas encore complètement tournée sur son projet. Laissant échapper un long soupir, elle se demande seulement si ce n’est parce qu’elle n’est pas encore capable d’en faire son deuil. «J’ai eu la chance dans la vie de connaître c’était quoi avoir un frère, une soeur. Ça a été une de mes plus grandes richesses. J’aurais tellement voulu pouvoir offrir ça à Charlie aussi», confie-t-elle, émotive.
*Les prénoms des conjoints et de l’enfant ont été modifiés pour ne pas qu’ils puissent être identifiés.