[ Climat de travail malsain: le maire de Trois-Rivières prend un temps d’arrêt ]
Dans la région, des maires et mairesses ont déjà jeté la serviette, devant des climats malsains, des différends irréconciliables, de l’intimidation, pour éviter d’y laisser leur peau. Acceptant aujourd’hui de lever le voile sur ce qu’ils ont vécu, tout le monde s’entend pour dire que si chacun doit apprendre à faire son propre examen de conscience, il faudra aussi que Québec accompagne davantage les municipalités si on souhaite continuer d’intéresser les candidats potentiels à se présenter.
Il y a quatre mois, la mairesse de Saint-Élie-de-Caxton, Gina Lemire, a démissionné. Une décision que personne ne voyait venir, alors que la nouvelle élue n’avait pas encore fait une première année de mandat. Jusqu’à aujourd’hui, elle avait refusé de commenter publiquement son départ. Après quelques mois de repos, et devant les événements qui viennent bousculer la vie municipale de Trois-Rivières, elle s’est sentie interpellée et a accepté de se confier.
«Pour moi, la politique municipale ça a été très dur, épouvantable même. Je ne parle pas tant des citoyens. Quand on se présente, on s’attend à se faire interpeller, que les gens s’expriment et qu’ils ne soient pas toujours d’accord. Ça, c’est correct, ça fait partie de l’aventure. Mais la dynamique à l’interne, c’est lourd. C’est dur», explique-t-elle.
Sans vouloir trop entrer dans les détails de son expérience personnelle, Mme Lemire confie tout de même avoir eu de grands problèmes communicationnels avec le reste de son conseil et avec sa direction générale. Elle a également senti, un moment, avoir perdu la confiance de son équipe devant des événements qui, soutient-elle, ne relevaient pas d’elle, de sa compétence, ni de son rôle. À force d’avoir l’impression de ramer à contre-courant, elle ne cache pas que sa santé physique et psychologique en a pris un coup, et qu’elle a préféré quitter avant d’en subir de plus lourdes conséquences sur le plan personnel.
«J’étais au bout du rouleau. J’ai eu besoin d’aide, de soutien psychologique. Aujourd’hui, après quatre mois, je peux dire que je vais mieux, mais au début, je pleurais tous les jours. Ça a été une période très difficile dans ma vie. Je n’ai aucun regret, même que je suis contente d’être partie», ajoute-t-elle.
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Cette semaine, elle a eu une bonne pensée pour le maire de Trois-Rivières, Jean Lamarche. «Je ne veux pas me prononcer sur ce qui a pu se passer, mais par contre je sais comment il doit se sentir en ce moment. J’espère qu’il prend soin de lui et qu’il est bien entouré», signale-t-elle.
À Pierreville, au Centre-du-Québec, l’ancien maire Éric Deschesneaux avait lui aussi démissionné en cours de mandat à l’automne 2020, après avoir été victime de menaces et d’intimidation par des individus mécontents de certains dossiers, qui étaient même allés jusqu’à s’en prendre à son orientation sexuelle pour le dénigrer.
«Quand ça vient toucher ta vie privée, quand ça affecte directement ton conjoint, tes proches, ta famille, ce n’est plus normal. C’est juste malsain et il faut se demander ce qui compte le plus: la politique ou notre santé», croit celui qui, depuis, a pris beaucoup de recul. Partageant maintenant sa vie entre Pierreville et Québec, Éric Deschesneaux ne cache pas qu’il lui aura fallu beaucoup de temps avant de se sentir à l’aise de se promener à nouveau dans la municipalité.
«Dernièrement, j’ai pris la parole dans certains dossiers comme citoyen, et certaines personnes ont encore tenté de me museler. On me disait de me taire, puisque ce n’était plus moi qui étais en poste. Mais comme citoyen, j’ai aussi le droit de m’exprimer. Aujourd’hui, je recommence à me promener dans le village, à être davantage présent. Mais la première année, je ne sortais pratiquement pas, c’était trop sensible», continue-t-il.
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Autant pour Gina Lemire qu’Éric Deschesneaux, il est évident que les élus municipaux ne sont présentement pas suffisamment encadrés pour pouvoir exercer leur travail, et que l’aide de Québec sera plus que jamais nécessaire si on souhaite que les gens continuent de vouloir s’impliquer en politique municipale.
«On a besoin d’aide! Quand on arrive en politique municipale, souvent le maire ou les conseillers n’ont aucune expérience, ne connaissent pas bien leur rôle, leurs responsabilités. Ça va prendre plus qu’un petit cours sur l’éthique et la déontologie en début de mandat pour y arriver. À Saint-Élie, on avait déposé un avis de motion pour dire qu’on acceptait l’aide du ministère, pour qu’une personne vienne assister à toutes nos réunions pour mieux nous guider. Aux dernières nouvelles, cette personne n’a pas encore été envoyée par le ministère pour venir au conseil. Si on avait eu un meilleur soutien, je crois qu’il y a des mots qui n’auraient pas été prononcés, des solutions qui se seraient trouvées», soutient Gina Lemire.
«La Commission municipale n’est pas assez au fait de ce qui se passe sur le terrain. Oui, il y a des plaintes qui se déposent, des vérifications qui se font, mais rien n’est fait ensuite. On a souvent l’impression qu’ils ne veulent pas s’en mêler. Et lorsqu’ils font des enquêtes, c’est comme s’il fallait faire le travail à leur place qu’il fallait leur fournir quelque chose de déjà tout mâché. La Commission municipale a un rôle de chien de garde, mais je ne sens pas que ce rôle est assumé pleinement», commente Éric Deschesneaux.
À Shawinigan, le maire Michel Angers a lui aussi dû faire face à la tempête lors de l’émission par la Santé publique d’un avis d’ébullition préventif qui a touché les citoyens pendant plusieurs mois l’an dernier. S’il continue de naviguer à travers la houle de l’épineux dossier de l’eau potable, Michel Angers est catégorique: c’est à travers la solidarité de l’équipe du conseil municipal et des fonctionnaires qu’il a réussi à tenir le coup.
«La pression était énorme, mais on a traversé ça en équipe et on a su s’élever au-dessus de la mêlée. L’appui de mon conseil a très certainement été central dans la façon dont j’ai affronté le dossier. Ici, j’ai toujours voulu travailler dans la transparence avec mon conseil, les conseillers sont au courant de tout ce qui se passe, des moindres détails. Ça fait partie de la stratégie. Oui on a des débats animés entre nous en privé, mais toujours respectueux. Je n’ai jamais voulu travailler par majorité ou par négociation, mais par consensus. Est-ce que ça fait toujours l’affaire de tout le monde? Non! Mais en bout de ligne, le conseil en arrive à un consensus et parle d’une seule voix», explique-t-il.
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Or, de faire de la politique municipale en Mauricie, avec une couverture médiatique très importante, génère aussi de la pression, et l’avènement des réseaux sociaux a aussi changé le visage de la politique, croit Michel Angers. «C’est un niveau politique très près des citoyens, mais il faut avoir la couenne très dure», se contente-t-il de dire.
C’est aussi pour cette raison que les trois élus estiment que davantage d’aide et d’encadrement sont nécessaires. «Quand on y va, on y va avec notre coeur, avec nos convictions et pour aider le monde. Mais quand on voit ce qui se passe réellement, on se demande qui aura envie de s’impliquer à l’avenir. Pour moi, en tout cas, c’est terminé», tranche Gina Lemire.
«Personnellement, ça m’inquiète énormément, car c’est un enjeu fondamental de notre démocratie. Sur les médias sociaux, on voit et on entend des choses de plus en plus cruelles, ce qui me fait craindre que des candidatures intéressantes, il y en aura de moins en moins s’il ne se passe pas quelque chose», ajoute Michel Angers.
«Ce qu’on va finir par attirer, ce sont les trolls qui viennent pour leurs intérêts propres, qui ne s’impliquent pas pour les bonnes raisons. Oui, chacun de nous doit faire son examen de conscience. Mais collectivement, on doit aussi se demander quel genre de politique municipale on veut», est d’avis Éric Deschesneaux.