Samedi dernier, deux jours avant la publication de la bande-annonce, la une de La Tribune était consacrée à Lac-Mégantic. D’une part, le gouvernement fédéral mettait fin aux négociations pour les expropriations pour le futur chemin de contournement. Puis un groupe citoyen portait en appel le jugement contre le CP, concernant sa responsabilité dans le déraillement ferroviaire.
Tout ça démontre bien une chose : le dossier n’est pas clos. Et ça, inévitablement, ça signifie que certaines cicatrices sont encore vives. Pour une partie de la population, même presque dix ans après, les émotions sont encore trop fortes pour être capables de regarder une série télévisée sur la tragédie de Lac-Mégantic.
Et il faut vraiment manquer d’empathie pour ne pas être capable de comprendre ça.
Je lisais les commentaires entourant la bande-annonce et plusieurs répondaient avec un manque de tact que ces gens ont juste à ne pas l’écouter, la série, si c’est trop difficile.
Si ce n’était que ça. Évidemment que personne ne les force à écouter. Sauf que ce n’est pas juste une question d’écouter ou de ne pas écouter.
Ce n’est pas juste une tragédie ferroviaire, c’est une multitude d’histoires personnelles et intimes, de deuils, de blessures, de cœurs brisés, de rêves avortés, d’une communauté traumatisée. Et c’est de ça que la série va parler.
Il est normal que des gens touchés directement par cette histoire s’inquiètent par la façon dont leur histoire, leurs émotions, leur vie vont être présentées au reste de la population. Surtout que la série s’annonce assez riche en émotions.
Personne n’aime parler de ses cicatrices en public, alors imaginez quand une personne que vous ne connaissez pas décide de parler de votre cicatrice au reste du Québec. Il y a de quoi avoir un stress et des inquiétudes, même si on fait confiance à cette personne.
C’est un exercice délicat, sensible, qui ne peut pas se faire n’importe comment.
Je salue d’ailleurs l’équipe derrière la série qui est venue à Lac-Mégantic, qui a rencontré des survivants et des survivantes, des témoins, des victimes.
Reste à voir comment tout ça sera transposé. Ce n’est pas un gage de réussite, mais on sent au moins une volonté de respecter les personnes touchées. Une étape trop souvent négligée, même si elle est essentielle dans ce genre d’exercice.
Parce que tout ça est plus une question de comment qu’une question de temps.
Est-ce trop tôt pour une série sur la tragédie? C’est normal que plusieurs soient inconfortables, mais c’est une réponse incomplète.
À partir de quand peut-on revenir, dans une œuvre artistique, sur un drame déchirant, sur une catastrophe qui a dévasté une communauté?
Il n’y a pas de réponse unique. Si les gens touchés par Mégantic peuvent trouver ça encore un peu tôt, je suis persuadé que plusieurs de ces personnes ont écouté des séries comme Dahmer, sur un tueur un série, ou Scandal, sur de véritables histoires d’agressions sexuelles, ou Deepwater, sur l’explosion d’une plateforme pétrolière dans le golfe du Mexique. Netflix pullule de séries similaires à Mégantic, mais sur des communautés qu’on ne connait pas.
Ça n’a pris que cinq ans avant d’avoir deux films à gros budget sur le 11 septembre 2001. Je suis pas mal sûr que les familles et les proches des victimes ainsi que les survivants et survivantes de cet attentat avaient les émotions pas mal fortes encore en 2006.
Quand ça ne nous touche pas directement, on a souvent envie de connaitre l’histoire, de comprendre ce qui s’est passé. En fait c’est tellement populaire que bien des films se targuent de s’inspirer d’une histoire vraie, alors qu’en fait, ils ont pris qu’une anecdote lue dans un journal et ont inventé une histoire autour de cette anecdote et finalement, à peine 10 % du film est «vrai».
N’empêche, le fait que l’histoire racontée, malgré son horreur ou son drame, ait «vraiment eu lieu» attire toujours la curiosité.
Mais chaque fois, il y a des gens directement concernés, probablement encore ébranlés par cette histoire en question. Comme en ce moment, avec Mégantic. La seule différence, c’est que cette fois-ci, c’est proche de nous. Plus que Hôtel Rwanda sur le génocide rwandais.
La question n’est donc pas tant si c’est moral de porter à l’écran la tragédie de Lac-Mégantic. Ou si c’est trop tôt. Il faut plus se questionner sur le processus. Est-ce bien fait? Respecte-t-on les personnes touchées? La population concernée a-t-elle été consultée? Quelles sont les intentions?
Ça, on va le savoir une fois la série diffusée.
Mégantic n’est pas la première œuvre inspirée par la tragédie, d’ailleurs. La pièce de théâtre Les Hardings en parle aussi. Ce n’est pas de la même façon, pas aussi frontal, mais l’inspiration est là. Et la pièce a été bien accueillie. Parce qu’elle n’a trahi personne. Faite avec respect.
Et si la série est bien faite, elle va aider bien des gens à comprendre le drame, autrement que comment nous, les médias, en avons parlé. Peut-être même contribuer à conscientiser sur les dangers concernant le transport ferroviaire. Elle peut nourrir une solidarité envers ce que traverse encore la communauté. Mais surtout, elle peut témoigner et perpétuer une certaine mémoire, aider à ne pas oublier. Le pire, ce serait peut-être de les oublier.
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