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Waxpen: quand la vie dérape au bout de la vapoteuse

La consommation de waxpen peut paraître banale, car elle s’apparente à la vapoteuse, mais les risques liés à cette consommation sont grands.

CHRONIQUE / Le silence est parfois lourd dans la maison de Sophie* ces jours-ci. Il tranche avec ces moments où sa grande fille, Anne-Julie*, vivait encore à la maison, dans le secteur Cap-de-la-Madeleine à Trois-Rivières. Mais depuis quatre mois, Anne-Julie est plutôt au Centre Jeunesse, en raison de sa dépendance à la waxpen, cette drogue dérivée du cannabis qui est de plus en plus présente dans les écoles secondaires du Québec, dont ici en Mauricie et au Centre-du-Québec. Dans quelques jours, la jeune femme de 16 ans fera son entrée au centre Le Grand Chemin, où elle suivra une thérapie fermée de plusieurs semaines pour tenter de reprendre le contrôle sur sa vie. Pour Sophie, c’est à la fois un soulagement et une immense peine... et elle sait que la vie ne sera plus jamais la même.


«Je n’exagère pas quand je dis que je suis traumatisée à vie. Comment sera notre vie après ça? Oui, elle s’en va faire une thérapie, mais pour toujours on va vivre avec cette cicatrice, et le doute qu’elle puisse rechuter. Je me demande si je serai un jour capable de lâcher prise, par exemple de la laisser aller seule au dépanneur, sans surveillance», évoque la maman qui a vu la vie de sa famille chamboulée depuis un an.

Avant cet épisode, Sophie ne connaissait pas l’existence de la waxpen, une drogue illégale au Québec, mais facilement accessible sur le web et très prisée des adolescents. Ayant le même fonctionnement qu’une vapoteuse, la waxpen propose toutefois l’inhalation d’un dérivé du cannabis à concentration extrêmement élevée, parfois jusqu’à 99% de THC, alors que la concentration légale maximale au Québec est de 30% et que la majorité des produits en circulation proposent une concentration de 15% à 20%. L’effet est donc instantané, très puissant, et la dépendance peut se développer beaucoup plus rapidement, expliquent les spécialistes en toxicomanie.

Pour les besoins de cette chronique, j’ai moi-même cherché où je pouvais acheter de la Waxpen, savoir si c’était facile d’accès. En quelques secondes, sur les réseaux sociaux, j’ai pu trouver des annonces en proposant. Même pas besoin de connaître les rouages du dark web...

Les produits vendus sur le web ressemblent à ceci, et sont très attirants pour les adolescents, qui sont la clientèle visée.

Pour Sophie, rien ne laissait entrevoir ce qui se tramait. Sa fille avait beaucoup d’amis, de connaissances, mais était également une jeune femme influençable vivant parfois de l’anxiété. Difficile de savoir à quel moment elle a commencé à consommer cette substance, mais la maman soupçonne que tout ait dégénéré le jour où elle lui a signé des autorisations de sortie de son école secondaire le midi.

«En très peu de temps, elle a pris beaucoup de poids. Elle était très sédentaire, parfois agressive. L’apparence n’avait plus d’importance pour elle, et c’était comme si rien ne la motivait. Elle n’avait plus le goût de faire quoi que ce soit. Et plus ça allait, plus je remarquais des choses qui ne tournaient pas rond», relate la maman.

Ces messages reçus disant que sa fille devait de l’argent à des personnes, ces voitures luxueuses de l’année conduites par des gens qu’elle ne connaissait pas et qui arrêtaient devant la maison pour discuter avec Anne-Julie, les sorties de plus en plus fréquentes et longues chez les amis, cette insistance toujours plus forte de sa fille pour avoir de l’argent. Des cachotteries, des mensonges. Même cette fois où, dans un excès d’agressivité, Anne-Julie a poussé sa mère dans les escaliers.

Et ce moment que la maman n’oubliera jamais, où elle a localisé sa fille dans un boisé grâce au signal GPS de son cellulaire. Anne-Julie était à ce point intoxiquée qu’elle a confié à sa mère vouloir en finir avec la vie.

Lorsque la maman s’est résignée à fouiller la chambre de sa fille pour savoir ce qui se tramait, elle a découvert toutes ces vapoteuses illégales que la jeune fille utilisait depuis quelques mois déjà. L’intervention de la DPJ a été une nouvelle fois demandée, la jeune adolescente s’est retrouvée en Centre Jeunesse. Dernièrement, il a été décidé qu’elle entrerait en thérapie fermée pour traiter cette dépendance et tenter de reprendre le contrôle sur sa vie.

«Elle m’a dit que je lui avais sauvé la vie. Moi, j’ai du mal à ne pas me sentir tellement coupable de tout ce qui arrive. Je me suis questionnée énormément, et je le fais encore, à savoir ce qui aurait pu être fait pour éviter ça. Mais c’est tellement peu connu. Et encore maintenant, j’ai connaissance que certains de ses amis continuent de consommer, mais les parents ne sont pas conscients des risques, ils ne réalisent pas ce qui se passe, parce que c’est très méconnu», constate-t-elle.

À l’organisme Action-Toxicomanie, dont le mandat est notamment de faire de la sensibilisation dans les écoles en Mauricie et au Centre-du-Québec de même que d’accompagner les jeunes aux prises avec des dépendances et accompagner leurs proches, on entend de plus en plus des histoires comme celle d’Anne-Julie. Selon la coordonnatrice clinique de l’organisme, Audrey-Ann Lecours, le phénomène de consommation de la waxpen s’est accentué au cours des deux dernières années, mais a connu une recrudescence très importante dans les derniers mois.

Audrey-Ann Lecours, coordonnatrice clinique de l’organisme Action Toxicomanie.

«Alors, lorsqu’on compare les chiffres entre l’année scolaire 2021-2022 et 2022-2023, qui n’est pas terminée, nous observons une augmentation de 38% de consommation de cannabis et de ses dérivés chez les élèves fréquentant les services d’Action Toxicomanie déployée dans les établissements scolaires de la Mauricie et du Centre-du-Québec», explique-t-elle. 

La consommation de cette substance peut entraîner plusieurs risques, note-t-elle, à commencer par des effets sur le sens de l’orientation, de la perception du temps, des troubles anxieux ou dépressifs, des augmentations des crises de panique et dans certains cas, des psychoses toxiques plus marquées. La manifestation la plus commune, d’ailleurs, observée chez les utilisateurs de cette drogue est certainement le syndrome amotivationnel, indique-t-elle.

Le service de police de Trois-Rivières est bien au fait de ce phénomène, alors que le policier affecté aux interventions dans les écoles secondaires, Samuel Milot, entend de plus en plus parler de cette drogue depuis la dernière année sur le territoire. En novembre dernier, il a cru bon de faire parvenir une communication aux écoles, la «Minute policière», traitant expressément de ce problème. Car même si la consommation de cannabis est depuis quelques années légale au Canada, la possession et la consommation de ces produits à très haute teneur en THC demeurent quant à elles illégales.

Au centre Le Grand Chemin, qui offre notamment des thérapies pour les adolescents aux prises avec des dépendances, on pense n’en être qu’au début des manifestations liées à la dépendance marquée à cette drogue. Certains jeunes sont entrés en thérapie au cours des derniers mois, mais on s’attend à en voir arriver de plus en plus.

Selon la spécialiste en activités cliniques au Grand Chemin, Marie-Josée Michaud, on a vu depuis un an la manifestation d’un phénomène à peu près jamais vu auparavant et qui serait directement lié à la waxpen: le syndrome d’hyperémèse cannabinoïde. Ce syndrome se manifeste par de violents maux de ventre et des vomissements quotidiens. Ce qui soulage les individus qui en sont atteints est une douche ou un bain dans une eau à température très élevée, au point d’en être dommageable pour la peau.

«Depuis que je suis dans le métier, ce sont des choses dont on entendait parler dans la littérature, mais qu’on ne voyait pas. Depuis un an, nous avons eu cinq jeunes qui ont vécu ça, juste chez nous», relate Mme Michaud.

Marie-Josée Michaud, spécialiste en activités cliniques au centre de thérapie pour adolescents Le Grand Chemin.

Dans le cadre des thérapies fermées du Grand Chemin, qui peuvent aller de huit à dix semaines, on tentera de travailler sur l’entretien motivationnel du jeune, en plus de l’amener à vivre d’autres expériences positives. Mais d’abord, tout reposera sur la relation de confiance que les intervenants pourront bâtir avec celui ou celle qui souhaite s’en sortir.

Cette relation de confiance, elle est aussi primordiale si, comme parent, on souhaite ouvrir le dialogue avec notre enfant sur le sujet. «Pour les parents, la chose la plus importante est de s’informer, car cette drogue et les façons de se la procurer sont encore trop méconnues des parents. Alors oui, il faut s’informer, et ne pas hésiter à ouvrir la discussion, à répondre à leurs questions. Il n’y a pas d’âge pour commencer à en parler», soutient Mme Michaud. Et évidemment, ne pas hésiter à demander de l’aide aux organismes spécialisés dans le domaine ou encore à la ligne Info-Social du 811.

Le centre de thérapie pour adolescents Le Grand Chemin est notamment implanté à Saint-Célestin, là où Anne-Julie ira bientôt suivre une thérapie fermée.

Pour Sophie et Anne-Julie, la partie n’est pas encore gagnée, mais la famille compte mettre tous les moyens en son pouvoir pour aider la jeune femme à se sortir de cette dépendance.

«Je crois que les parents auraient intérêt à être vigilants, à ne rien prendre à la légère et à avoir des yeux tout le tour de la tête. Mais surtout, intéressez-vous à ce que font vos jeunes, ne fermez les yeux sur rien. Moi, j’ai fini par écouter ma petite voix intérieure qui me disait que ça n’allait pas. On pense que ça ne nous arrivera jamais, mais ça peut tomber sur n’importe qui», confie Sophie.

*Pour protéger la véritable identité d’Anne-Julie et de Sophie, nous avons modifié leurs prénoms.