Chronique|

Après «La Belle et le Bête»!

Pierre Fitzgibbon

CHRONIQUE / Étant donné qu’il s’y connaît, on pouvait presque en venir à la conclusion cette semaine que le superministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon aurait peut-être, sous couvert de ce qui s’est appelé un comité ministériel, concocté un genre de chasse sous le modèle de la Roue du Roy… comme on la pratique, mais en tenues médiévales, entre richards… sur l’île de la Province.


La Roue du Roy, c’est un périmètre carré, mais ça peut aussi être un cercle, en clairière, où un certain nombre de chasseurs prennent position, à l’affût. Au centre, on laisse s’échapper un à un des faisans qui tentent de franchir la ligne de tir des chasseurs. Rares sont les oiseaux qui y survivent. Après chaque lancement d’oiseau, les chasseurs changent de position.

C’est à ce genre de chasse, mousquet bien rempli, qu’a participé cet automne, sur cette île du Memphrémagog, le ministre Fitzgibbon et pour laquelle il a été, en ne s’en formalisera pas, une fois de plus fortement critiqué pour ses fréquentations fortunées.



Sauf que dans cet encerclement de ministres pour cette analogique Roue du Roy, gouvernementale, la perdrix avait un nom: Sophie Brochu.

C’est du moins ce que donnait à penser le feu extrêmement nourri, cette fois en direction du ministre et même du premier ministre François Legault. Une salve venue évidemment de toutes les oppositions politiques, mais aussi des nombreux analystes et commentateurs médiatiques, à la suite de l’annonce de la démission de Sophie Brochu de son poste de pdg d’Hydro-Québec.

Il y avait des méchants!

L’immense popularité acquise auprès des Québécois par Mme Brochu, deux ans après son entrée en fonction, mais trois avant la fin de son mandat, ouvrait évidemment la porte toute grande à toutes les suspicions et à un scénario qui aurait pu s’appeler «La Belle et le Bête».



Certes, il y a eu cet automne quelques flammèches entre elle et son nouveau ministre qui autorisaient en hypothèse de telles conclusions. La présidente d’Hydro n’avait pas caché craindre que les hydrowatts québécois soient bradés, à prix de Dollarama, par le ministre Fitzgibbon pour attirer des entreprises, que le souci environnemental d’Hydro ne soit plus un souci et que le plan de transition énergétique de la société d’État soit déjà rangé pour s’empoussiérer sur une tablette. Et qu’il faille obligatoirement, selon les vœux du PM, harnacher de nouvelles rivières.

Mme Brochu a eu beau s’être appliquée, avec toutes les qualités communicatives qu’on lui connaît, à assurer qu’il n’y avait aucun différend entre elle, son ministre ou son gouvernement, qui pouvait expliquer son départ, il en est resté un doute.

Sophie Brochu

Par intelligence diplomatique sans doute, on retiendra que cette dame, dans laquelle on aimait se trouver des ressemblances, un genre d’ADN collectif, aura quitté ce qu’elle qualifiait de «meilleur emploi au monde», avec grande classe.

Maintenant, la vision du gouvernement Legault d’accroître la production hydroélectrique et de s’en servir comme facteur de développement économique a-t-elle un sens?

S’il y a une région qui doit répondre oui, c’est bien la Mauricie.

Outre la richesse forestière, on doit plus d’un siècle de prospérité à l’hydroélectricité, le grand facteur d’attraction industrielle utilisé par la Shawinigan Water and Power.



Le ministre Fitzgibbon aime bien les alumineries pour ce qu’elles génèrent en salaires, en retombées économiques générales, en valeur d’exportation… et en revenus fiscaux multipliés pour l’État. Une grande valeur ajoutée à chaque kilowatt vendu.

C’est vrai que le tarif industriel grande puissance, à 5 cents le kwh, que paient au moins maintenant les alumineries québécoises, sur la base de leurs tarifs reliés au prix de l’aluminium, peut paraître vraiment trop bas.

C’est quand même ce qui avait, sous René Lévesque, convaincu la française Pechiney-Eugine-Kuhlmann de construire à Bécancour ce qui est devenue l’Aluminerie de Bécancour.

Après plus de 35 ans, l’usine y emploie toujours un millier de personnes, à salaires supérieurs. Ce tarif préférentiel a aussi justifié la construction, presque dans notre cour, de l’aluminerie de Deschambault.

C’est vrai que l’A.B.I. a récemment été classée dans le Top Ten des entreprises les plus polluantes au Québec, ce qui ne peut que désespérer les environnementalistes de savoir que le gouvernement veut continuer de privilégier ce secteur industriel.

Mais justement, dans les intentions gouvernementales de décarbonation industrielle, les alumineries sont ciblées. Il serait justement temps qu’Alcoa réinvestisse dans ses vieilles cuves de Bécancour en y substituant, idéalement, le procédé moderne Elysis, inventé par une société montréalaise, qui élimine les émissions de GES.

Une remise à niveau souvent réclamée par le syndicat qui rassurerait sur l’avenir de l’usine et de ses employés, sur les entrées de taxes de Ville de Bécancour… et pour la stabilité de l’économie régionale.

D’ailleurs, le ministre a prévenu qu’il allait hausser les tarifs pour le secteur de l’aluminium et qu’ils seraient établis en fonction de leur mérite environnemental. Un bel argument pour inciter Alcoa à enfin moderniser ABI.



D’autre part, puisqu’il faut accroître la production hydroélectrique, on peut penser qu’Hydro donnera suite à ses projets de modernisation de plusieurs de ses centrales en Haute-Mauricie, ce qui se traduira en centaines de millions $ d’investissements.

On pourrait aussi justifier la remise plus rapide en production de Manouane Sipi, ce qu’attendent la Ville de La Tuque et la nation Atikamekw, et la reconstruction de la centrale historique de Saint-Narcisse. Deux projets hydroélectriques qui jouissent, ce qui est difficile de nos jours à obtenir, d’une grande acceptabilité sociale.

Mais surtout, c’est tout le dossier de la filière batterie, dont la région devrait être la grande privilégiée, qui devrait largement profiter des avantages énergétiques venant du plan gouvernemental.

Avec son énergie propre, le Québec détient un levier majeur pour compenser en partie la profusion de dollars que font miroiter nos voisins américains pour s’accaparer de la filière batterie.

Il ne s’agit pas d’entreprises comme les centres de données ou de traitement de bitcoins qui sont énergivores mais qui créent peu d’emplois et génèrent peu de retombées économiques.

Entre une filière batterie verte québécoise et une filière américaine, on sait où la planète sera le mieux servie.

À la liste des noms qui sont avancés pour succéder à la pdg Sophie Brochu, mais aussi à la présidence du conseil d’administration, on devrait ajouter celui de Nicole Coutu, directrice générale d’A.B.I. mais aussi PDG d’Alcoa Canada… qui a succédé à Jacynthe Côté, qui occupait ces mêmes fonctions et qui était devenue présidente du c.a. d’Hydro-Québec.

Après, on pourra dire: «La Belle et le Bête?» Et puis après!

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Coup de cœur: À Amélie Mafogué-Tadie, cette préposée aux bénéficiaires qui était sur le point d’être refoulée dans son Cameroun d’origine, en espérant que le sursis de 60 jours qui lui a été consenti lui soit favorable... ainsi qu’à ses bénéficiaires.

Coup de griffe: Les USA sont divisés en deux; le Brésil est divisé en deux; et Trois-Rivières, avec son conseil municipal, aussi.