Chronique|

Gros mots et télétravail

Le bras de fer est engagé entre les 35 000 fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada et le Conseil du Trésor.

CHRONIQUE / Ainsi, 35 000 fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada (ARC) pourraient se donner des votes de grève en pleine période des impôts. Ça promet!


Le président du syndicat des employés de l’ARC, Marc Brière, a l’impression de se faire niaiser par son employeur, avec la complicité de la présidente du Conseil du Trésor, la ministre Mona Fortier.

Au point où M. Brière a sorti de gros mots, la semaine dernière, en entrevue avec mon collègue Antoine Trépanier.



Marc Brière, président du syndicat des employés de l’ARC.

«Tabarnak, s’il faut fermer l’Agence du revenu, on va la fermer. Et si c’est pendant la période de l’impôt, ça sera pendant la période de l’impôt. Et s’ils ne sont pas contents, je m’en câlice», a-t-il lancé.

Si l’on en croit la partie syndicale, c’est l’intransigeance de la partie patronale au sujet du télétravail qui a fait achopper les négociations et une courte tentative de médiation.

La ministre Fortier veut forcer le retour au travail des fonctionnaires en mode hybride, soit l’équivalent de deux à trois jours par semaine au bureau. Le problème, c’est qu’elle a été très vague sur les motivations du gouvernement à imposer un retour en présentiel à ce moment-ci, alors qu’une vague de virus remplit les hôpitaux de patients à pleine pelletée.

Quand on veut imposer un virage important à une organisation, il faut deux choses: d’abord énoncer un objectif clair, crédible, preuves solides à l’appui. Et ensuite prendre le temps de bien expliquer à tout le monde l’importance de se rallier autour des objectifs. Or, dans les deux cas, c’est un échec pour la ministre Fortier, qui avait peu d’explications convaincantes à offrir pour étayer sa décision d’imposer un retour à un mode de travail hybride.



Mona Fortier, présidente du Conseil du Trésor.

Par exemple, pourquoi cette insistance de la ministre à forcer des gens à se côtoyer dans des milieux clos, pas toujours très bien ventilés? Là-dessus, la ministre s’est contentée de dire que son gouvernement suivait les recommandations de la santé publique. Un peu mince comme explication.

Et pourquoi deux à trois jours par semaine? Pourquoi pas une seule journée? Ou quatre? Là-dessus non plus, la ministre n’avait pas d’explications solides à fournir. Sinon que le travail en personne permet des gains impossibles à obtenir en télétravail, comme de bâtir l’esprit d’équipe, la cohésion, la collaboration. C’est vrai, mais pas de manière égale pour tout le monde. Il y a des types de boulots qui se font très bien à distance, comme le soutien informatique. Alors que d’autres tâches se font mieux en présence les uns des autres.

La ministre Fortier souhaite rétablir une certaine équité avec son mode de travail hybride. Mais imposer arbitrairement deux à trois jours en présentiel à tout le monde n’est pas en soi une garantie d’équité.

L’intransigeance de la ministre a mis en furie les syndicats. Marc Brière représente 35 000 fonctionnaires de l’ARC qui travaillent, pour la plupart, à partir de la maison. Et qui y ont pris goût. Ils se trouvent plus efficaces. Ils ont l’impression que leur qualité de vie a grimpé d’un cran. Ils sont moins stressés. La conciliation travail-famille est plus facile…

Bref, les fonctionnaires tiennent au télétravail. Beaucoup.

Et s’il y a un enjeu qui peut les mobiliser contre leur employeur, c’est bien celui-là. La ministre Fortier est venue donner des munitions aux syndicats de fonctionnaires en se montrant intransigeante sur la question du télétravail. En outre, je suis convaincu qu’une bonne partie de la population se reconnaît dans les revendications des fonctionnaires. Surtout dans la région d’Ottawa-Gatineau, où la majorité des gens travaillent pour le fédéral ou bien vivent avec un conjoint qui le fait.

Pas pour rien qu’un Marc Brière, se sent légitimé de sortir les gros mots. Il sait que ses membres sont prêts à sortir dans la rue et à paralyser le gouvernement s’il le faut sur un enjeu comme le télétravail.