Cette entente a d’abord obligé Ottawa à instaurer une prestation dentaire pour chaque enfant de moins de 12 ans n’étant pas couvert par une assurance privée. Les chèques de 1300$ (ou moins, le montant étant modulé selon le revenu familial) se veulent un programme de transition devant être remplacé d’ici la fin de 2023 par une véritable assurance dentaire pancanadienne. L’initiative s’est méritée bien des critiques: les montants versés pourront dépasser les frais déboursés par les parents, les vérifications seront minimales, les provinces offrant déjà une couverture dentaire n’obtiendront pas leur part du gâteau, etc. Mais voilà: le vite est l’ennemi du bien. C’était le prix à payer pour satisfaire un partenaire de coalition impatient de prouver qu’il n’avait pas bradé son âme. Reste à voir si Ottawa réussira à déployer une vraie assurance malgré la résistance des provinces.
Les libéraux ont aussi fait plaisir au NPD en instaurant des impôts supplémentaires pour les banques et les compagnies d’assurances: une ponction non récurrente de 15% sur les profits de plus d’un milliard de dollars, et une hausse permanente du taux d’imposition de 1,5 point de pourcentage sur ceux dépassant 100 millions. Ces promesses avaient été faites par les libéraux en 2021 pour voler au NPD une partie de son électorat. Elles ont finalement servi à se gagner l’appui des élus néodémocrates. Le résultat est, quand on y pense, le même.
Les libéraux ont aussi fait retirer du Code criminel certaines peines minimales. Ces peines avaient été maintes fois dénoncées, et parfois invalidées par les tribunaux, parce qu’elles privent les juges de la latitude pour adapter la peine aux circonstances particulières de chaque crime. Les libéraux ont toutefois moussé cette initiative législative comme un moyen de combattre le «racisme systémique» et de réduire la surreprésentation des Autochtones et des Noirs dans les prisons. Certes, il s’agit d’une marotte libérale, mais elle n’est pas pour déplaire à Jagmeet Singh. Ce dernier n’avait-il pas refusé qu’on traque les fraudeurs de la PCU au motif que cela affecterait surtout les personnes «racisées»?
L’année 2023 sera à peu près de la même eau. Les libéraux se sont engagés, dans leur entente avec le NPD, à faire voter une loi interdisant le recours aux briseurs de grève. Ils se sont aussi engagés à présenter une réforme de l’assurance-emploi. Ils sont attendus de pied ferme par les syndicats, qui veulent rendre le système plus généreux, et le milieu patronal, qui craint de nouvelles charges financières.
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On peut aussi se demander si l’influence du NPD n’explique pas, du moins en partie, le retour du Parti libéral du Canada à une posture franchement centralisatrice en matière de santé après avoir donné aux provinces plus de latitude en début de mandat. Encore lundi, Justin Trudeau déclarait à la CBC: «Cela ne sert à rien de mettre plus d’argent dans un système brisé. […] Un des seuls leviers que j’ai est de dire: ‘Je ne vous donne pas cet argent sans condition. Je vais pleinement participer au financement pourvu que de véritables améliorations soient apportées.’» François Legault avait-il entendu ces paroles avant de déclarer, au sortir de son tête-à-tête le lendemain, qu’il était «plus confiant» qu’avant que l’impasse se dénoue?
Des alliances nécessaires
La prochaine année forcera les libéraux à faire des compromis pour se rallier le NPD et/ou le Bloc québécois et faire adopter certaines initiatives législatives leur tenant à coeur. Pensons d’abord au contrôle des armes à feu. En insérant sans débat dans leur projet de loi C-21 une définition des armes d’assaut désormais interdites et une liste de celles-ci, les libéraux ont braqué tout le monde. Surtout quand on a découvert que certaines armes visées étaient utilisées par des chasseurs.
L’opposition est venue non seulement des conservateurs (comme c’est toujours le cas en ces matières), mais aussi du NPD, du Bloc et même de quelques libéraux! Le député néo-écossais Kody Blois a en effet qualifié de «problématique» le changement proposé. Le député du Yukon, Brendan Hanley, a indiqué qu’il ne pourrait appuyer la loi telle que rédigée. Son voisin des Territoires du Nord-Ouest, Michael McLeod, a exigé plus de temps pour l’étudier. Les premiers ministres de ces deux territoires — dont un est libéral — ont aussi dénoncé C-21.
Les libéraux devront aussi mettre de l’eau dans leur vin en matière de langues officielles. Les trois partis d’opposition entendent se liguer en février pour modifier le projet de loi C-13 afin d’obliger les entreprises sous juridiction fédérale opérant au Québec à respecter non pas la loi fédérale, mais la loi 101. Et tant pis pour Marc Garneau, qui avait déclaré que ce serait «une erreur» de «laisser le champ libre au Québec pour faire tout ce qu’il pourrait vouloir faire en matière de langue».
Pas d’élection
Au risque de se répéter, 2023 ne sera pas une année électorale. Personne n’a l’intention de retourner aux urnes. Justin Trudeau a appris à ses dépens qu’il est inutile de remettre en jeu le pouvoir qu’on détient déjà. Jagmeet Singh a réalisé qu’il détient en situation minoritaire plus de pouvoir qu’il n’en gagnera jamais à une élection. Quant à Pierre Poilievre, les sondages confirment qu’il a une popularité à redorer. Selon Angus Reid, ceux qui approuvent le chef conservateur (33%) sont bien moins nombreux que ceux qui le désapprouvent (53%). À pareille date dans leur leadership respectif, Stephen Harper, Andrew Scheer et Erin O’Toole affichaient des différentiels respectifs de +26%, 0% et -6%. C’est sans compter le Parti vert qui, maintenant qu’il s’est redonné Elizabeth May comme cheffe, doit renflouer ses coffres et rebâtir son organisation.
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Et le Bloc, dans tout ça? Sur certains enjeux, il pourrait être un allié tout aussi valable que le NPD pour les libéraux minoritaires. Mais ceux-ci n’ont pas pris l’habitude de varier leur partenaire de gouvernance. Dans ce contexte, on peut penser que l’intention d’Yves-François Blanchet de revenir à la charge en 2023 contre la monarchie fera chou blanc.
Tout le monde restera donc tranquille en 2023. Mais avec la récession qu’on nous prédit, ce sera peut-être seulement le calme avant la tempête… économique.
Cette chronique fait relâche pour les Fêtes. De retour le 13 janvier.