L’horloge affiche 7h45. L’oeil se décolle tranquillement. À l’heure où certains sont encore en train de faire couler le café ou de se réveiller sous la douche, nous sommes une bonne trentaine de bénévoles prêts à mettre la main à la pâte pour le montage de ces précieuses boîtes qui feront le bonheur de tant de familles, pour qui l’année n’a pas été de tout repos. Inflation, hausse du panier d’épicerie, hausse du coût des loyers, factures toujours plus gourmandes... Ils ne sont pas loin de 100 ménages de plus à avoir demandé cette aide alimentaire cette année. En tout, ce sont 1426 familles très précisément qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts, qui ont levé la main pour pouvoir obtenir un petit coup de pouce.
C’est pour toutes ces personnes que la chaîne de montage a pris place dans cet immense entrepôt. Des jours de travail pour préparer cet atelier de montage afin de le rendre le plus efficace possible. Sur les tables s’entassent toutes ces denrées données par chacun d’entre vous lors de la dernière Grande guignolée des médias. Un peu plus à gauche, les immenses palettes de nourriture achetées grâce aux dons amassés sur le coin des rues, soit plus de 75 000 $ qui se sont transformés en cette grande chaîne de générosité. Denrées périssables, légumes, viande, pâtés, pains, margarine et même des toutous sont alignés, prêts à prendre place dans ces boîtes, soucieux de donner un brin de bonheur à un enfant qui attend chez lui que la livraison fasse naître cette magie.
Une magie qui s’assemble, un article à la fois. Huit heures et quart: c’est l’heure de commencer l’assemblage, justement. Dans mon petit coin d’entrepôt, on me charge des jus, ketchup, moutarde, céréales, fruits en conserve et soupes que ma voisine Joannie et moi alignons soigneusement pour que tout puisse y entrer une fois arrivé au bout de la chaîne. Joannie, intervenante à la Ressource F.A.I.R.E. qui vient en aide aux familles dans le besoin, a cette petite étincelle dans les yeux lorsque la machine se met en marche. Il y a quelques jours, elle était sur le coin de la rue, à amasser les dons. «Je trouve ça beau de voir ça, de voir que tout cet argent qu’on a pu amasser s’est ainsi transformé en nourriture. On boucle la boucle ce matin», confie-t-elle.
Cette grande chaîne de montage, elle est l’affaire des Artisans de la paix, mais de tellement d’autres organismes également. De Moisson Mauricie et Centre-du-Québec jusqu’à la Ressource F.A.I.R.E en passant par la Saint-Vincent-de-Paul, le Bon Citoyen, Ebyôn et tellement d’autres, ça prend visiblement toute une communauté pour combattre la pauvreté. Et plutôt que de travailler chacun dans son coin, c’est ensemble que les organismes ont choisi de faire affaire, pour que l’aide soit décuplée, pour que son rayonnement soit encore plus fort.
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Ça roule, ça roule sur la chaîne de montage. À peine a-t-on le temps de souffler que les boîtes défilent les unes après les autres. Céréales, fruits, ketchup, moutarde, jus et on envoie le tout à Diane qui a son bout de magie à créer elle aussi un peu plus loin sur la chaîne. Et ainsi de suite sur quelques dizaines de mètres de tapis roulant qui iront jusque vers la sortie, là d’où partent les camions de livraison. Car depuis la pandémie, on ne demande plus aux gens de venir chercher leur panier, on ira le porter à la maison.
Même le dimanche. Une première cette année, une cinquantaine de livraisons qui devront se faire cette fin de semaine. Parce que ces personnes, la semaine, ne sont pas à la maison. Elles travaillent. Un autre signe que la pauvreté a véritablement changé de visage. Même en travaillant à temps plein, souvent au salaire minimum, on n’arrive plus à subvenir aux besoins de base. Ça ne suffit plus.
La musique de Noël résonne dans tout l’entrepôt pour se donner un peu de pep entre deux boîtes de céréales et trois cartons de jus. Bing Crosby, Dean Martin, Michael Buble, Ginette Reno, Beau Dommage, la Compagnie Créole et, bien sûr, Mariah Carey (qui d’autre?) ajoutent leurs voix au montage pour rendre l’exercice encore plus dynamique. Difficile de ne pas s’improviser le micro dans la bouteille de ketchup quand l’occasion se présente. «All I want for Christmas is you», qu’elle dit!
On a perdu le compte. En est-on à 100, 200, 250 boîtes depuis le début de la journée? Tout va très vite et roule au quart de tour. Derrière moi, Sylvain, super bénévole dévoué, s’est chargé depuis le début de ravitailler mes tables pour ne pas que la chaîne se brise. À côté de lui, un groupe d’hommes bénéficiaires des services de la Maison Carignan sont venus aider aussi, et s’assurent de préparer les boîtes qui embarqueront sur la chaîne de montage. «As-tu besoin d’aide», me lance l’un d’eux, qui réalise vite que je vais bientôt manquer de cartons de jus. En deux temps trois mouvements, c’est un dossier réglé.
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La chaîne s’arrête vers midi. On aura finalement assemblée 398 boîtes. On met le tout sur pause, car pour le reste de la journée, ce sera la livraison. Demain matin, l’usine à magie reprendra de plus belle pour le bénéfice d’autant de familles, pour qui ce don fera véritablement une différence.
Les bras en compote et la musique de Mariah encore dans la tête, une belle fatigue s’installe. Celle qui nous rappelle qu’on a fait quelque chose de beau et de constructif en ce petit lundi matin frisquet. Celle qui nous fait du même coup réaliser que si on n’a pas à angoisser lorsqu’on se demande ce qu’il y aura sur la table pour souper, c’est que nous sommes privilégiés.