Chronique|

Esprit de Noël, es-tu là ?

CHRONIQUE / J’aime Noël. Que ce soit la musique de Noël, les décorations de Noël ou les films de Noël, je crois que j’aime tout de Noël. Enfin, presque tout, car il y a certaines choses que j’aime moins, à commencer par la frénésie qui entoure cette fête, et en particulier l’orgie de consommation qui en découle. C’est peut-être moi qui est naïf ou vieux jeu, mais il me semble que cela trahit le véritable esprit de Noël. En réalité, si j’aime Noël, force est de constater que je n’aime pas ce que cette fête est devenue.


Alors que la période des Fêtes devrait être une occasion de repos et de réjouissance, elle est au contraire devenue synonyme de stress et d’hyperconsommation. Vendredi fou, Cyber lundi, Boxing Day, etc., Noël a carrément été pris en otage par la société consumériste. Tout cela n’est pas anodin, car pour plusieurs personnes, Noël rime maintenant avec fatigue et endettement. Que ce soit sur le plan psychologique ou financier, cette course folle exerce sur nous une pression qui peut s’avérer néfaste à bien des niveaux.

Et si on s’offrait un Noël différent ? Un Noël plus humble. Pendant mes années d’études en philosophie, j’ai découvert plusieurs écoles de pensée qui proposent de réviser notre conception du bonheur et de la réussite. Des écoles de pensée qui nous invitent à « voir petit » afin de renouer avec des valeurs plus profondes. Plusieurs d’entre elles se basent sur l’ascétisme, une discipline volontaire du corps et de l’esprit qui vise la perfection morale. Dit comme ça, la chose peut sembler peu attrayante et irréaliste, mais concrètement cela consiste à adopter un mode de vie plus modeste axé sur les valeurs spirituelles plutôt que sur les valeurs matérielles.



Cette doctrine était relativement populaire dans la philosophie antique (chez les cyniques et les stoïciens, notamment), mais aussi dans plusieurs grandes religions comme le bouddhisme et le christianisme. Dans tous les cas, il s’agit de trouver le bonheur dans la simplicité. Une leçon qui peut paraître simpliste, voire un peu clichée, mais qui n’en est pas moins pertinente à une époque où la croissance est devenue un véritable dogme.

Diogène, le plus célèbre des philosophes cyniques, prenait d’ailleurs pour modèles les animaux et les enfants, qu’il jugeait plus proches de la condition divine et de la vie heureuse que la plupart des humains. Parce qu’ils savent se contenter de peu, les animaux et les enfants auraient en effet une disposition naturelle pour le bonheur, disposition que nous perdons avec l’âge en raison des besoins que nous nous créons sans cesse. Pourtant, avoir un toit sur la tête, de quoi mettre dans notre assiette et être entouré des gens qu’on aime (et qui nous aiment) devrait largement suffire à trouver le bonheur.

Si cela est vrai, alors pourquoi tant de personnes peinent-elles à y parvenir ? Pour les cyniques, la réponse est simple : si les êtres humains sont malheureux, c’est parce qu’ils se laissent berner par la fausse conception du bonheur véhiculée par la société, à savoir un bonheur basé sur l’accumulation de la richesse et la réussite sociale. Quant aux enfants, s’ils deviennent rapidement « gâteux », c’est entièrement notre faute, et plus généralement celle de la société, parce que nous leur enseignons que pour être heureux, il faut voir toujours plus grand.

À l’instar des cyniques, les bouddhistes et les chrétiens aussi plaident en faveur d’un mode de vie ascétique. Dans le bouddhisme, le bonheur consiste à trouver la voie du milieu, c’est-à-dire à éviter les extrêmes que sont l’austérité et l’abondance. Évidemment, dans une société de consommation comme la nôtre, la moindre privation apparaît comme intolérable tellement nous sommes habitués à carburer aux excès. Mais pour les bouddhistes, il s’agit simplement de renouer avec les plaisirs simples, c’est-à-dire ceux qui relèvent de la stricte nécessité.



Dans le christianisme, le renoncement est élevé au rang de vertu dans la mesure où il profite aux plus démunis. S’exprime alors le véritable esprit de Noël, qui est à l’origine une fête chrétienne dont le sens est intimement lié à l’espoir d’un monde meilleur, c’est-à-dire un monde plus juste. Or, cela n’est possible que si nous acceptons de faire preuve d’abnégation, c’est-à-dire de sacrifier un peu (voire beaucoup) de notre bien-être personnel au profit du bien commun. Pour les chrétiens, c’est ironiquement le seul moyen de trouver le bonheur. D’ailleurs, ne dit-on pas qu’il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir ?

Cette année, pour Noël, je nous souhaite donc de renouer avec la simplicité. Je nous souhaite de trouver la force de renoncer à tout ce superflu que nous tenons pour nécessaire alors qu’il ne fait qu’ajouter à nos malheurs. Bref, je nous souhaite de renouer avec le véritable esprit de Noël, lequel se nourrit davantage de l’humilité que de l’abondance. Mais est-ce encore possible ?

***

Sébastien Lévesque enseigne la philosophie au Cégep de Jonquière depuis 15 ans. Celui qui est surtout intéressé par les questions relatives à l'éthique et à l'épistémologie des sciences publie des textes de façon régulière dans Le Quotidien depuis plus de 10 ans. Avec ses chroniques, il cherche notamment à faire la promotion de la pensée rationnelle et critique.