Chronique|

Le «jeudi noir» de Shawinigan

Ne reste plus que des cicatrices toujours bien visibles de la glorieuse époque de la Belgo.

CHRONIQUE / «Je ne veux pas être celui qui va mettre la switch de la ville à off.»


Ce propos tenu à l’époque par l’homme d’affaires et gestionnaire, mais aussi alors conseiller municipal, Alain Beauparlant, aurait pu avoir un sens prémonitoire.

Il était surtout le reflet d’un état de morosité très répandu chez plusieurs en raison de la situation déclinante que traversait la ville de Shawinigan et sur un avenir qui apparaissait de plus en plus bouché.



À peine un an plus tard, les événements allaient donner raison à ses inquiétudes quand en novembre 2007 fut annoncée, vers la fin de la journée, la fermeture de la papetière Belgo.

Le ciel gris de ce 29 novembre venait de se transformer en «Jeudi noir à Shawinigan», le titre qui coiffera la manchette du Nouvelliste, le 30 au matin.

Le pire, c’est que c’est plutôt une petite griserie qui avait envahi la population de Shawinigan cette journée-là, convaincue d’avoir plus que de très grosses chances d’obtenir dans la soirée la Finale des Jeux du Québec. L’échec connu, le moral était à terre.

Quelques mois plus tard, à la fin de l’hiver, au moment où les derniers travailleurs quittaient, remplis d’émotions, la Belgo, c’est la tenue de la Coupe Memorial pour 2009 qui allait être refusée aux Cataractes.



«Une troisième claque sur la gueule de Shawinigan», a-t-on commenté, comme s’il n’y avait plus aucune issue pour se relever un peu la tête, pour s’en sortir, se relancer.

Shawinigan, bien malgré elle, aurait pourtant dû être habituée aux fermetures de ses grandes usines, celles qui avaient fait sa gloire industrielle et même généré, au début des années 1960, la moyenne de revenu par habitant la plus élevée au Canada.

Parce que justement, depuis une quarantaine d’années, ces grandes usines fermaient les unes après les autres leurs portes... définitivement.

Parce qu’avec la nationalisation de l’électricité, Shawinigan avait perdu les avantages énergétiques dont elle s’était servie pour les attirer la Shawinigan Water and Power. Mais aussi parce qu’on passait de la chimie industrielle à la pétrochimie ou qu’après quelques décennies, certaines productions étaient rendues au bout de leur procédé. Peut-être parce que le laboratoire syndical qu’avait favorisé une concentration industrielle inédite autour d’une superbe chute harnachée rendait frileux les gros investisseurs.

Pour l’une ou l’autre ou pour toutes ces raisons, les usines fermaient et en même temps, le tissu économique s’y désagrégeait à vue d’œil.

Car c’était aussi toute la Mauricie qui perdait alors ses emplois à un rythme infernal.



Alors qu’on commençait à se remettre de la fermeture, dans la décennie 1990, de la PFCP puis de Tripap, à Trois-Rivières, Kruger venait de mettre au rancart une de ses machines à papier et la Wayagamack en avait mis une aux arrêts. À La Tuque, Smurfit Stone (WestRock) licenciait 140 employés et plusieurs scieries étaient contraintes à réduire, mais surtout, à cesser leurs opérations. À Louiseville, Canadel avait réduit de 600 ses effectifs et à Bécancour, Norsk Hydro venait aussi d’abandonner sa production de magnésium.

On a évalué les pertes d’emplois dans les seules grandes entreprises de la région à 2000. Et ce n’était que la pointe d’un iceberg beaucoup plus imposant.

On comprend que dans ce contexte, la fermeture de la Belgo ait été perçue comme un séisme socio-économique à Shawinigan.

Presque au cœur de la ville, les murs de briques rouges de la Belgo, qui avait été mise en chantier en 1900 par des intérêts belges, faisaient partie de l’image de Shawinigan depuis sa fondation, en 1901.

Certes, il y avait bien certaines inquiétudes très présentes, en raison de la crise qui n’en finissait plus dans le secteur des pâtes et papiers, en raison de l’âge de l’usine, mais surtout de ses équipements, et d’une récente fusion entre Abitibi-Consol et Bowater qui annonçait une inévitable restructuration.

Si Belgo n’était pas exclue de la rationalisation prévisible, on croyait plutôt que si mauvais sort il y avait, il frapperait plutôt la Laurentide, dans le secteur Grand-Mère.

On avait bien investi quelques années plus tôt une quinzaine de millions $ (très peu en réalité) dans l’usine qui disposait d’un beau plan de pâte thermomécanique.

La fermeture de la Belgo en 2007 avait créé une onde de choc dans toute la région.

Dans les semaines précédentes, l’usine d’Abitibi-Bowater avait quand même hissé fièrement son nouveau logo sur la devanture de l’usine et des dirigeants s’étaient montrés rassurants auprès de Lise Landry, la mairesse d’alors, en lui assurant que Belgo n’était pas dans le collimateur des fermetures envisagées par la compagnie. Qu’on allait même y investir.



Et puis, on ne pouvait trouver meilleurs employés, expérimentés à souhait, mais compréhensifs en plus, de vrais partenaires puisqu’ils avaient, dès l’année précédente, consenti un gel de leurs salaires et concédé plus de souplesse dans les conditions de travail.

On aura usé à la corde la machinerie et tiré la sueur des hommes jusqu’à leurs dernières gouttes sans sourciller. La Laurentide, qui avait alors été épargnée, subira le même sort, dans une ambiance semblable, une décennie plus tard.

«Je savais déjà que l’usine de Rio Tinto Alcan allait fermer et que l’avenir de la Laurentide était plus qu’incertain», se rappelle Michel Angers, à son arrivée comme maire de Shawinigan.

Il n’a pas oublié toutes les tensions internes qui pesaient alors à l’hôtel de ville, la situation difficile qui régnait dans la ville et l’ambiance morose qui persistait un peu partout.

Moins d’un an après que les derniers employés eurent terminé leur travail à la Belgo, l’énorme traumatisme social causé par cette fermeture sévissait toujours.

«La Belgo, ça a été psychologiquement très lourd», reconnaît-il.

Mais Michel Angers avait présidé quelques années plus tôt, de 1998 à 2002, le Conseil local de développement.

À la lumière de la tendance industrielle qui affectait la ville et la région, il s’y était forgé une réflexion que Shawinigan se devait d’amorcer un virage vers les petites et moyennes entreprises.

Cette notion de «nous devons compter sur nous-mêmes», c’était devenu plus qu’une évidence.

«Avec notre comité de diversification économique, on s’est mis à l’œuvre dans ce sens. On s’est donné des axes de développement qu’on a ajustés à l’évolution des besoins. Ce n’est pas pour rien qu’on a adopté le numérique et l’électrification des transports», dit-il.

«Après quinze ans de reconversion, on a récupéré tous les emplois perdus. On est même en pénurie d’emplois.»

Ce qui ne l’empêche pas de prédire pour 2023 une année exceptionnelle. «Attendez voir!», annonce-t-il, énigmatique.

«On avait sans doute atteint le fond du baril, mais on a relevé nos manches et on s’est rebâti. La population de Shawinigan a été d’une résilience exemplaire. On peut dire: Mission accomplie!»

Avec toute sa portée dramatique, la fermeture de la Belgo aura peut-être été l’électrochoc dont avait besoin la ville de l’électricité.

La page est sans doute tournée, «mais, promet Michel Angers, on n’oubliera jamais la Belgo».

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Coup de cœur: Après le Noël du Pauvre, la région a de nouveau été d’une générosité exemplaire avec la Guignolée des médias, avec près de 200 000 $ en dons en argent et dix tonnes de vivres.

Coup de griffe: Quelle bonne idée! Les Québécois appelés à réduire leur consommation d’électricité, à baisser le chauffage, pour qu’Hydro-Québec puisse vendre aux Américains moins cher qu’on les aurait payés, ces kilowatts économisés...