Revenons d’abord à la Chine. Justin Trudeau a finalement remisé sa déclaration trompeuse selon laquelle l’intégrité de nos élections n’a jamais été compromise. En fournissant cette réponse à tous ceux qui l’interrogeaient sur l’ingérence chinoise, le premier ministre donnait l’impression que le système électoral n’avait jamais subi les assauts de l’empire du Milieu. C’était faux.
Justin Trudeau l’a admis mercredi en répondant à Pierre Poilievre qui le harcelait à ce sujet depuis la veille. «Le Canada et ses alliés sont régulièrement ciblés par des États étrangers, comme la Chine, y compris pendant les élections», a-t-il dit. On doit reconnaître au chef conservateur la capacité — rare au Parlement — de détecter sur-le-champ qu’on répond à côté de ses questions et de revenir à la charge. C’est à force de questions répétées (huit mardi seulement) que le premier ministre a fini par clarifier ses propos.
Deux choses peuvent parfois être vraies. Ainsi, la Chine peut s’être ingérée dans les élections canadiennes sans que l’intégrité de celles-ci n’ait été compromise. Après tout, le reportage de Global du mois dernier soutenait qu’au moins 11 candidats à l’élection de 2019 auraient reçu clandestinement de la Chine environ 250 000$. Pour donner un ordre de grandeur, il y a eu, à l’élection de 2019, un total de 2146 candidats. Les dépenses électorales combinées des six principaux partis (libéral, conservateur, vert, populaire, Bloc et NPD) ont totalisé environ 69 millions de dollars auxquels il faut ajouter les dépenses de chaque candidat, qui étaient plafonnées à environ 100 000$ chacun. L’affaire, bien que très inquiétante si elle s’avérait, ne serait quand même pas assez significative pour entacher le résultat global.
On doit maintenant espérer que les libéraux remiseront aussi leur ligne d’attaque consistant à dire que les conservateurs ne s’intéressent à l’ingérence chinoise que pour contester, à la manière d’un Donald Trump, la légitimité de l’élection.
Nous rapportions il y a deux semaines cette accusation outrancière de la part d’une députée et le premier ministre, loin de s’en dissocier, l’a reprise à son compte. M. Trudeau a soutenu la semaine dernière que «des gens» jouent «des jeux qu’on a vus au Sud de la frontière» sans jamais préciser ce qu’il avait en tête. Quand même la GRC annonce qu’elle ouvre une enquête générale sur l’ingérence chinoise, «incluant dans les processus démocratiques», on ne peut plus dire que ce sujet relève de la partisanerie.
L’Inde dans tout ça
Devant les preuves qui s’accumulent d’une Chine qui ne respecte rien, le Canada amorce donc sa diversification économique et diplomatique dans la zone pacifique. Dans le document de 27 pages dévoilé dimanche, l’Inde est présentée comme «un partenaire essentiel». Normal: avec ses 1,4 milliard d’habitants, elle est la «plus grande démocratie du monde» et sera dès l’an prochain le pays le plus populeux de la planète.
Pourtant, tout ne tourne pas rond au pays des vaches sacrées.
Comme l’expliquent les chercheurs du CERIAS Mathieu Boisvert et Catherine Viens, depuis que Narendra Modi a pris le pouvoir en 2014, il y poursuit une politique nationaliste agressive visant à faire de l’Inde un pays hindou. Les minorités religieuses sont réprimées. Les accrocs à la liberté de la presse se multiplient aussi.
Dans ce contexte, New Delhi dénonce sévèrement le séparatisme sikh — le sikhisme est une religion très minoritaire en Inde, mais majoritaire dans la région indépendantiste du Punjab. Comme le Canada accueille la plus grande diaspora sikhe au monde, il est fréquent que les dirigeants indiens l’accuse d’abriter des agitateurs séparatistes. Les ministres sikhs de Justin Trudeau et le chef du NPD sont parfois mis dans ce sale panier. C’est pour cette raison qu’on dit que le Canada et l’Inde n’entretiennent pas de bonnes relations.
Encore lundi, le Globe and Mail publiait une entrevue avec le haut-commissaire indien qui demandait à Ottawa de juguler les velléités séparatistes des Sikhs canadiens. Il en avait particulièrement contre la tenue récente à Brampton et Mississauga de référendums sur la séparation du Punjab. Le haut-commissaire rappelait que l’Inde n’aurait jamais, elle, appuyé la séparation du Québec.
C’est un peu comme si dans les années 1990, Jean Chrétien avait demandé au président Mitterand de faire taire les Québécois qui parlaient d’indépendance en France et finançaient le PQ. Bonjour la crise diplomatique!
Cet été, le haut-commissariat a aussi exhorté un festival torontois de retirer l’affiche d’un film qui montrait une divinité hindoue en train de fumer une cigarette.
L’Inde n’opère peut-être pas, comme la Chine, des «postes de police» clandestins pour harceler ses ressortissants, mais elle tente quand même d’étendre la portée de son projet politique au-delà de ses frontières.
Comme le dit la doctorante Viens, «la question n’est pas de savoir si c’est mieux la Chine ou l’Inde. C’est un faux débat. Mais il faut regarder l’Inde. On manque de regard critique sur l’Inde. […] Il faut être lucide. Il faut regarder l’état des questions démocratiques et des droits humains en Inde.»
Le NPD a d’ailleurs demandé au gouvernement jeudi de ne pas, au nom d’impératifs économiques, fermer les yeux sur les abus croissants du régime Modi. Comme l’Inde vient de prendre la présidence du G20, le NPD réclame du Canada qu’il boycotte toute activité à venir au Cachemire, territoire contesté où vivent une majorité de musulmans de plus en plus brimés.
On a pu constater ces jours-ci que la Chine a pris une telle place dans notre société que certains en perdent leurs repères. Ce cher Jacques Frémont, recteur de l’Université d’Ottawa, a une fois de plus fait preuve d'indigence intellectuelle en expulsant les caméras de la conférence de l’ambassadeur chinois et en abaissant les rideaux pour le soulager de la vue de quelques manifestants ouïgours.
Que le Canada se diversifie sur la scène internationale est une bonne chose. Mais si la Chine nous enseigne quoi que ce soit, c’est qu’il faut voir venir de loin les régimes qui méprisent les droits de leurs citoyens et les traiter avec circonspection. Espérons qu’Ottawa restera lucide dans sa quête de nouveaux amis.