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Grand Marché: «I went to the market mon p'tit panier (percé) sous mon bras»

Pour donner un peu d'air au Grand Marché, la ville de Québec vient de lui consentir une nouvelle aide de 45 000 $. Cela porte le total des prêts et subventions à près de 600 000 $ depuis 2019.

CHRONIQUE / Après trois années et demie d'activités grevées par la pandémie et maintenant l'inflation, le Grand Marché d'ExpoCité peine à remplir ses promesses.


Des producteurs y font d'excellentes affaires, mais d'autres s'essoufflent. Quelques-uns songent à partir après Noël.

On aimerait un achalandage plus soutenu pendant toute l'année.

Pour donner un peu d'air au Grand Marché, la Ville de Québec vient de lui consentir une nouvelle aide de 45 000 $. Cela porte le total des prêts et subventions à près de 600 000 $ depuis 2019.

L'administration Marchand renonce aussi à une partie des bénéfices qui lui reviendraient le jour où le marché serait rentable.

Un renoncement théorique, car on ne voit pas ce jour où le marché dégagera des surplus.

L'hypothèse est aussi improbable que le partage des profits de l'amphithéâtre prévu au contrat avec Québecor le jour où les Nordiques reviendraient.

L'idée d'un marché à ExpoCité a germé autour de 2015.

Le maire Labeaume cherchait alors par tous les moyens à animer le voisinage du nouvel amphithéâtre qu'il venait de construire.

Un groupe de travail sur l'avenir d'ExpoCité a proposé d'y ramener une vocation agricole.

Le rapport signé par Daniel Gélinas (ex DG du Festival d'été) ne parlait pas alors de démanteler pour ce faire le marché du Vieux-Port.

Avant même la signature des contrats d'architectes, le maire

Labeaume avait promis que le marché d'ExpoCité serait «un des plus beaux en Amérique», a rapporté Le Soleil.

Avait-il dit le plus beau au monde? Ça lui ressemblerait, mais je ne peux le jurer. Peut-être l'a-t-il pensé.

La facture initiale de 19 M $ a rapidement grimpé. Dès 2016, l'opposition pressent que «ce projet sera générateur de déficits».

On savait le pari incertain lorsque l'administration Labeaume a finalement inauguré le nouveau marché d'ExpoCité, au printemps 2019.

Un pari incertain, mais pas déraisonnable.

Le marché allait perdre ses clients naturels du Vieux-Québec ainsi que les touristes et visiteurs qui y venaient au hasard de leurs promenades.

La Ville espérait en retour attirer une nouvelle clientèle de voisinage dans Limoilou bien que les revenus y sont souvent modestes. Elle visait aussi les clients des quartiers du nord qui trouveraient plus facile de s'arrêter à ExpoCité que d'aller stationner au Vieux-Port.

Les choses ne se sont pas passées comme prévu.

La pandémie a plombé la première année d'opération. Moins de réceptions. Moins d'occasions de mettre des produits de niche sur les tables. Moins de clients pour s'arrêter au marché en rentrant du bureau.

L'inflation des derniers mois ne fut rien pour aider les choses.

C'est chouette un marché.

La fraîcheur, la qualité et le savoir-faire; le soutien à l'économie régionale; le contact avec les producteurs et artisans; les odeurs, les couleurs, le caractère unique des produits; le bruit des matins agités pendant la saison des récoltes. La liste pourrait s'allonger.

Dans un monde idéal, on voudrait des marchés publics partout, dans tous les quartiers, plutôt que des WalMart.

Ces marchés ne peuvent cependant satisfaire les besoins des familles qui peinent à boucler leur budget. Ils ajoutent à l'offre alimentaire des quartiers, mais ne remplacent pas les supermarchés et les grandes surfaces.

Il faudra l’avoir en tête si la CAQ maintient son projet de reconstruire le marché Champlain au quai des traversiers.

Acheter au marché coûte plus cher. La ville et les marchands n'aiment pas que les médias le disent, mais c'est la réalité.

Ce n'est pas un reproche aux marchands. C'est la fatalité des petits volumes des producteurs locaux.

On ne va donc pas au marché pour les économies. On y va pour les produits et tout autant pour «l'expérience» et le plaisir.

J'ai ici mes réserves sur le Grand Marché, mais vous n'êtes pas obligés d'être d'accord.

Pour donner un peu d'air au Grand Marché, la ville de Québec vient de lui consentir une nouvelle aide de 45 000 $. Cela porte le total des prêts et subventions à près de 600 000 $ depuis 2019.

L'ancien pavillon du Commerce d'ExpoCité a été reconstruit avec faste et bon goût. La ville y a mis le prix, 25 M $, et ça paraît. Un décor haut de gamme et une belle lumière.

Sauf que je n'y retrouve pas l'ambiance d'un marché. J'ai l'impression d'un centre commercial ou de halles gourmandes avec ses espaces cloisonnés. Rien contre les halles. Je les fréquente aussi. Mais ce n'est pas pareil.

Cela tient à la profondeur de champ, je dirais. À ce sentiment d'abondance qu'on a au marché à la vue de l'enfilade des étals. À la proximité entre les producteurs qui partagent un espace et lui donnent son âme.

Je sentais cette ambiance dans l'ancien marché du Vieux-Port, malgré la vétusté du bâtiment.

Je la sens aussi au marché de Sainte-Foy. Une structure «signature», élégante et lumineuse, dont le seul défaut est de fermer l'hiver.

D'un regard, on y mesure l'ensemble de l'offre. Cela donne le goût d'en faire le tour avant de revenir sur ses pas et acheter.

Outre l'ambiance, c'est aussi la proximité qui nous mène au marché. On va au plus proche. Le moins de transport possible.

Avant d'aller plus loin, on voudra que l'expérience en vaille la peine.

Le Grand Marché se distingue ici par sa présence douze mois par année et par ses animations et événements.

Comment améliorer les performances du Grand Marché? Comment réussir, peut-être, à l'affranchir un jour des prêts et subventions de la ville?

Je ne saurais dire.

D'autant plus qu'on ne connaît pas vraiment l'état des lieux.

La Coopérative des Horticulteurs de Québec cache ses rapports financiers. Comme à la porte voisine, le gestionnaire de l'amphithéâtre.

Ils profitent d'immeubles construits avec l'argent public, mais ne rendent de comptes qu'en privé. J'ai de la misère avec le concept.

***

Si la solution était simple, les gestionnaires du marché auraient

trouvé déjà. On comprend qu'ils cherchent encore comment faire prospérer le marché.

Le marché a une partie de son sort entre ses mains, mais une autre lui échappe. L'état de l'économie, l'inflation, l'évolution du quartier voisin, une récession peut-être.

La conversion de Fleur-de-Lys en un quartier habité et celle de l'autoroute Laurentienne en boulevard urbain sont de bon augure. Cela voudra dire plus de clients potentiels et un accès à pied plus facile.

Je suis tenté de croire que le «mix» des commerces a aussi son importance. Comme sur les rues commerciales. Une bannière plus attractive peut faire une différence.

L'ajout de restaurants pourrait-il donner vie au marché le soir et y attirer une nouvelle clientèle? Pourrait-on en tirer de nouvelles synergies avec les producteurs?

Faut-il investir davantage pour mieux faire connaître l'offre du Grand Marché? Redire plus souvent la facilité de s'y rendre?

Toutes ces réponses peut-être, et d'autres.

Mais le facteur premier sera probablement le temps. Celui qu'il faudra pour ancrer le Grand Marché dans la vie de Québec.

Gilles Vigneault a gravé sa chanson «I went to the market» sur le label L'Escargot. Il faut savoir décoder les messages.

Un marché participe à la vie et à l’attrait d'une ville. Comme les espaces publics, les parcs, les salles de spectacles et les grands événements.

Cela implique presque toujours de l'argent public.

L'administration Marchand a promis au Grand Marché son «soutien indéfectible». Elle n’avait guère le choix.

Personne ne gagnerait à ce que la Ville largue le marché trop vite et prenne le risque de le perdre, sous prétexte qu'il n'a pas rempli encore toutes ses promesses et commande des fonds publics.