Cette histoire glauque a de nouveau fait la manchette cette semaine avec la publication par La Presse d’une enquête remettant en question un reportage du Devoir d’il y a deux ans.
La Presse a révélé que des «victimes» de Lacroix identifiées par Le Devoir, regrettaient de l’avoir dénoncée, avouant même qu’elles s’étaient senties forcées à le faire.
À l’époque, avaient-elles été emportées par le souffle du concept en vogue de la «masculinité toxique» création d’un néoféminisme selon moi plus revanchard qu’humaniste? Je ne le sais pas dans l’absolu, mais permettez-moi de croire que oui.
Cela dit, je préfère qu’ici on examine la notion d’agression sexuelle en 2022 et la confusion qui entoure ce «crime». Qu’est-ce qui en constitue un exactement aux yeux de la loi? Il y a eu une vague de dénonciations publiques, parfois vraies, mais aussi parfois portées jusqu’aux tribunaux sans qu’il y ait condamnation, rappelons-le, depuis le mouvement #MoiAussi lancé il y a cinq ans. De quoi parle-t-on vraiment?
Mais d’abord à tout seigneur, tout honneur : merci à Isabelle Hachey de La Presse et à Marie-Ève Tremblay de Cogeco Média de nous rappeler qu’au chapitre des inconduites et des agressions sexuelles, les choses ne sont pas toujours claires. Rien n’est simple. Mais voilà, la complexité des rapports humains n’est pas toujours un frein aux jugements péremptoires et injustes.
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Si #MoiAussi a permis de démasquer autant des monstres sacrés d’Hollywood que des entraîneurs de sport québécois, il a aussi condamné au pilori des gars qui ne méritaient pas ça. «Pas grave, ils paient pour ceux dont les crimes demeurent impunis», disent certaines. Imaginez si des tribunaux déclaraient coupables des innocents au nom du bien commun !
L’enfer étant pavé de bonnes intentions, #MoiAussi n’est pas uniquement un mouvement bienveillant envers ces femmes – toujours trop nombreuses! - qui subissent de la violence sexuelle. C’est aussi un catéchisme qui entend contrôler celles qui rejettent ces idéologies victimaires. Un catéchisme qui fait de la place à celles qui exploitent les ambiguïtés de la vie dans un but de vengeance.
On ne me fera pas avaler qu’une main posée trop longtemps sur une épaule, un flirt insistant ou même un baiser volé par un amoureux éconduit sur le coin de la rue constituent des agressions sexuelles criminelles. En droit, l’intention compte.
Une anecdote: dans les années 90, j’avais un patron qui, les soirs de tombée, quand nous devions travailler tard, distribuait spontanément des massages dans le cou aux filles sans demander la permission. Il ne m’est jamais passé par l’esprit qu’il s’agissait d’une agression sexuelle alors qu’aujourd’hui, cela pourrait être compris comme tel. Et puis, si je n’avais pas aimé son geste, je n’avais qu’à dire «non merci» ou «décolle». En tout cas, moi, c’est comme ça que je me sentais. Jamais je n’aurais pensé appeler la police ou, pire, l’accuser publiquement et anonymement d’être un salaud.
Il m’est par ailleurs arrivé de me retrouver, de mon plein gré, dans des situations extrêmes d’où tout consentement était absent alors que ma petite voix intérieure m’avait dit de prendre mes jambes à mon cou. Je l’avoue sans culpabilité. Une agression sexuelle n’est JAMAIS la faute de l’agressée mais je crois aussi que nous sommes les premières responsables de notre propre protection.
Si la confusion règne autour de l’accusation d’agression sexuelle, c’est en partie parce que le Code criminel canadien l’a voulu ainsi. Autrefois, la loi parlait de viol, tentative de viol et attentat à la pudeur. En 1983, on a changé tout cela pour agression sexuelle niveau 1, niveau 2 et niveau 3. Se voulant moderne, le législateur a erré.
C’est au niveau 1 qu’on s’y perd : il s’agirait de voies de fait qui porteraient atteinte à l’intégrité sexuelle sans causer, ou peu, de blessures corporelles. Vaste et vague comme définition. Ainsi, en 2001, un tribunal ontarien a statué qu’une «demande de l’accusé visant à obtenir de la part du plaignant une gratification de nature sexuelle peut, selon les circonstances, constituer une agression à caractère sexuel» (R. c. Higginbottom).
Une demande? Selon les circonstances ou selon des critères objectifs?
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Plus encore qu’elle ne m’indigne, la haine des hommes chez certaines jeunes féministes que je lis et entends un peu partout, sur les réseaux sociaux notamment, me terrifie. Autant que la haine des femmes chez certains hommes.
La dénonciation extrajudiciaire de crimes parfois indéfinissables crée peut-être un sentiment de justice mais le gouffre qui se creuse entre les femmes et les hommes finira par emporter notre humanité commune.
Et puis, quand toutes se disent victimes, victime ne veut plus rien dire. Surtout quand le crime n’en est pas un.
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Lise Ravary est journaliste depuis 40 ans et a tout fait dans le métier, que ce soit à la radio ou dans des magazines et des journaux, de Montréal à Toronto, en passant par Londres et Alexandria, avant de devenir observatrice et commentatrice à temps plein. On peut lire ses opinions dans nos pages deux fois par semaine.