Steve Lamy est l’une des trois victimes de René Kègle qui a récemment été condamné à la prison à vie pour des homicides commis en octobre 2018, à quelques jours d’intervalle.
Barbare, cruel, atroce... Tous ces mots se valent pour qualifier les crimes perpétrés par celui qui, quatre ans plus tard, a plaidé coupable à trois accusations réduites de meurtres non prémédités et à une accusation de tentative de meurtre.
Je ne referai pas le résumé de «La cavale meurtrière de Kègle» que vous pouvez lire ici. Joëlle Lamy était présente dans la salle lorsque le récit des dernières heures de son frère a été exposé au tribunal. Les détails sont à donner froid dans le dos.
«C’est dégueulasse», lâche Joëlle Lamy qui a spontanément accepté de parler de sa propre souffrance depuis la mort horrifiante de son frère. J’avoue avoir été surprise. Je m’attendais à ce qu’elle décline, prétextant que le sujet serait trop difficile à aborder ou qu’elle souhaitait tourner la page maintenant que René Kègle avait plaidé coupable.
«Mon frère, je vais toujours en parler. C’est important», m’a-t-elle dit avant de mentionner que les années passent, mais des images continuent de hanter ses jours comme ses nuits.
«Je me réveille en criant»... Pour réaliser que ce n’était pas un mauvais rêve.
Joëlle Lamy est revenue vivre à Trois-Rivières en 2014, après avoir vécu une quinzaine d’années à Sherbrooke. Serveuse dans un restaurant, la femme de 44 ans vit seule avec son chat.
«Mon frère est là», souligne-t-elle en pointant le portrait d’un garçon d’environ 3 ans. Un blondinet. Joëlle a récupéré cette photo quelques heures après avoir appris que le corps de Steve se trouvait vraisemblablement dans son véhicule incendié.
La femme se souvient d’avoir averti son entourage en s’emparant du cadre: «Ça, c’est à moi. Je ne sais pas ce qui va arriver, mais je pars avec. Si on le retrouve ou si Steve réapparaît, je lui redonnerai, mais là, c’est à moi.»
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Steve était de neuf ans son aîné. Lorsque Joëlle était une fillette de 6 ans, il était un adolescent de 15 ans. La femme garde le souvenir d’un grand frère qu’elle aimait «tellement», mais qui devait parfois trouver sa petite sœur «achalante», ajoute-t-elle avec affection pour celui qui n’était pas le genre à partager ses émotions.
Steve Lamy était entrepreneur en construction. Son père Michel lui a appris le métier avant que celui-ci travaille pour son fils.
«Encore la semaine passée, un gars m’a dit: ‘‘Tu es la sœur de Steve? Une chance que je l’ai eu! Il m’a aidé en me proposant de travailler pour lui’’», relate Joëlle avant de mentionner que sur un chantier, son frère ne faisait pas l’unanimité. On l’aimait beaucoup ou, à l’inverse, on détestait celui qui ne se gênait pas pour élever la voix.
«Il fallait que ça marche à sa manière», explique Joëlle en ajoutant que Steve préférait la solitude à la compagnie des gens. Elle ne le voyait pas souvent, mais se faisait une joie de l’appeler le jour de son anniversaire.
Joëlle Lamy était au travail lorsque le mercredi 10 octobre 2018, une collègue s’est mise à crier en apprenant que la fille de son ex, Ophélie Martin-Cyr, avait été retrouvée morte dans un champ.
«Je n’en revenais pas!», se souvient Joëlle qui, de retour à la maison, a écouté le bulletin de nouvelles pour apprendre qu’un véhicule incendié avait été retrouvé avec un corps et les restes d’un autre corps à l’intérieur.
«Ben voyons! Mais qu’est-ce qui se passe à Trois-Rivières?», s’est-elle demandé avant d’éteindre son cellulaire pour la nuit. À son réveil le lendemain matin, une amie lui avait laissé un message voulant que René Kègle était recherché pour meurtre, dont celui de la jeune Ophélie.
Joëlle n’a fait ni une ni deux et a appelé son frère qui connaissait bien René Kègle. Plusieurs années auparavant, Steve avait été en couple avec la sœur de celui-ci. Il côtoyait toujours leurs parents qui étaient également des amis.
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«Ça n’a pas de sens! Je pensais à la mère et à la sœur de René et je me disais qu’elles ne devaient pas bien aller.»
Ce jour-là, Steve n’a pas répondu aux appels et textos de Joëlle qui s’est tournée, en vain, vers son père. Silence radio. Pendant ce temps, une ex-conjointe de son frère la relançait, inquiète. «As-tu su pour René Kègle? Il est où ton frère?»
Joëlle ne comprenait pas le lien que faisait cette ancienne belle-sœur entre les deux hommes.
Michel Lamy a fini par donner signe de vie à sa fille pour lui apprendre de but en blanc qu’il venait de passer la journée avec des enquêteurs. Le véhicule incendié était celui de Steve dont tout le monde était sans nouvelles depuis le 8 octobre. Tout portait à croire que son corps était à l’intérieur de ce qui restait de sa voiture.
«Je criais. Je capotais.»
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Sous le choc, Joëlle s’est mise à frapper sur les murs avant d’être entraînée dans un tourbillon de questions.
«Pourquoi il est mort? De quelle façon? A-t-il souffert? Qui lui a fait ça?», se demandait la femme qui a assisté à l’enquête préliminaire de René Kègle pour le meurtre de son frère. Joëlle Lamy tenait à être présente aux audiences, quitte à entendre des détails «dégueulasses», répète celle qui a dû sortir de la salle à un certain moment, incapable d’en entendre davantage et de retenir sa colère envers l’accusé.
«En plus, il me regardait souvent avec son air piteux, en ayant l’air de dire: je m’excuse», décrit Joëlle avant de laisser tomber: «Parfois, je me dis que la race humaine est rendue tellement affreuse. Je ne peux pas croire qu’il a fait ça...»
La femme a récemment obtenu une copie des enregistrements des témoignages à l’enquête préliminaire. Elle a commencé à les écouter, à son rythme. Cela prendra le temps qu’il faut.
«J’ai besoin de tout savoir pour passer à autre chose», explique Joëlle Lamy qui ne garde aucune rancune envers Noémie Morin, la petite amie de René Kègle qui ignorait qu’il avait l’intention de s’en prendre à Steve Lamy lorsqu’elle l’a accompagné chez celui-ci.
«Je ne lui en veux pas du tout! J’aurais pu être à la même place qu’elle. Quand j’étais jeune, j’étais tellement naïve et manipulable. J’avais confiance en tout le monde. J’avais tellement besoin d’être aimée. Ça aurait pu m’arriver. Vraiment...»
Comme d’autres membres des familles des victimes, Joëlle Lamy a pu s’adresser à René Kègle en lui lisant une lettre dans laquelle elle est revenue sur son «calvaire» des quatre dernières années.
«[...] Arrives-tu à bien dormir? Fais-tu des cauchemars? Ton film d’horreur que je vis depuis cette fameuse journée du 8 octobre 2018, le revis-tu parfois? T’empêche-t-il de dormir? As-tu déjà vécu un deuil, René? Moi, le deuil de mon frère a commencé avec trop de colère, d’incompréhension, de regrets, de culpabilité, d’impuissance, de douleur, de pleurs, de frustration, de honte, de dégoût, de peur, de cris et j’en passe...»
Lorsque René Kègle a plaidé coupable avant d’être condamné à la prison à vie, Joëlle Lamy a pris le temps de serrer dans ses bras la sœur du meurtrier et ex-conjointe de son frère Steve.
«Je lui ai dit que je l’aimais super fort, que depuis le début, je pensais à elle et à sa mère, que je savais que ce n’était pas une épreuve facile. Ce n’est pas de leur faute. Ce n’est pas drôle pour elles d’être étiquetées à un tueur.»
Joëlle regarde en direction du cadre photo de son frère avec sa bouille d’enfant.
«J’aime parler de lui. Ça me fait du bien.»
Il lui arrive de se confier à des clients réguliers du restaurant où elle travaille. La serveuse leur propose parfois de lire la lettre qu’elle a écrite à René Kègle. «Il y en a qui pleurent», dit-elle, touchée par leur soutien des quatre dernières années.
Joëlle Lamy ne peut plus être la même depuis la mort de celui à qui elle parle aussi. Ça met du baume au cœur d’une petite sœur qui aime penser que son grand frère à la voix forte lui répond à travers son silence.
«Je suis plus capable qu’avant de m’exprimer et de m’affirmer. Je suis beaucoup plus capable de me respecter en mettant mes limites. J’ose croire que Steve m’aide d’en haut.»