Toujours autonome, malgré les deux cancers qui la rongent, elle habite seule une chambre modeste, mais proprette, dans une résidence privée de Gatineau. Et c’est ici qu’elle souhaite finir ses jours. «Moi, j’aimerais rester ici le plus longtemps possible. Mourir dans mon lit, durant mon sommeil, sans souffrir. C’est arrivé à une autre résidente ici, et c’est la grâce que je me souhaite.»
Ce matin-là, j’accompagne Geneviève Robert, technicienne en service social au CISSS de l’Outaouais. Son boulot: coordonner le soutien à domicile d’une cinquantaine de «clients» dans les secteurs de Hull et Aylmer. Ce qu’elle fait au moyen d’appels téléphoniques réguliers et de visites à domicile.
Cette dame, qui souhaite finir ses jours à la résidence, est notre première cliente de la journée. Geneviève a été avisée d’un changement à son état de santé. Sa visite vise à s’assurer que le soutien à domicile reste approprié. Elle nous attendait dans son fauteuil roulant, au milieu d’un intérieur sobrement meublé. Un lit, une causeuse, un frigo, une télé qui joue en sourdine… J’ai noté, comme une incongruité, l’éléphant en peluche qui dormait sur l’oreiller.
«Vous êtes donc bien belle!», lui lance Geneviève. La dame rougit. «J’ai engraissé, s’excuse-t-elle. À cause des médicaments contre le cancer… et la bouffe de la résidence. On mange bien ici!»
La dame a le cancer du foie et des os. Elle se rend seule à ses traitements, grâce au transport adapté. Sa vision est altérée par la maladie. Elle n’arrive plus à lire ou écrire. «Je retiens par cœur la date et l’heure de mes rendez-vous médicaux. Ça exerce ma mémoire», ironise-t-elle.
Malgré tout, son moral est bon. «Je ne peux lire ou écrire, mais je peux encore jouer aux cartes. Une chance que j’ai ça! Ça m’empêche de penser au cancer. J’ai de bonnes amies à qui je peux parler», confie-t-elle à Geneviève.
Bien plus que ses cancers, c’est bel et bien d’avoir pris du poids qui la taraude. «C’est drôle, je m’en fais plus pour ma grosseur que pour les traitements!» Elle a besoin de vêtements plus grands, plus chauds pour l’hiver. Geneviève lui propose d’arranger une sortie au magasin avec les gens de Remue-ménage, un organisme à but non lucratif qui fournit des services de soutien à domicile à Gatineau. C’est ce même organisme qui vient lui donner un bain, faire la lessive et la commande d’épicerie.
L’entrevue dure 45 minutes. Geneviève écoute, prend des notes, s’assure que les besoins de base sont comblés. Réussit-elle à s’habiller le matin? Oui, mais c’est dur, répond la dame. Pourquoi ne pas demander de l’aide? Parce qu’ici, il faut payer pour tout, vous savez…
La fin de l’entrevue prend un tour émotif. La dame évoque son divorce. Elle remercie le CLSC de l’avoir aidée à se sécuriser et à se réorganiser après la rupture. Alors que nous partions, elle exprime ce souhait déchirant: celui de mourir ici même, à la résidence. Dans ce chez-soi minuscule, mais réconfortant.
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Le pourra-t-elle?
«Je vais revenir pour en jaser», lui promet Geneviève.
Sondage après sondage, les Québécois manifestent leur désir de vieillir le plus possible à domicile. Le boulot de Geneviève, c’est de tout faire pour réaliser ce souhait. Qui permet, par la bande, d’éviter de coûteuses hospitalisations.
On se rend ensuite à l’unité de soins de la même résidence où vivent les gens atteints de troubles cognitifs. Au poste de garde, la préposée s’ouvre à Geneviève de son problème: l’un des résidents atteints d’Alzheimer a des problèmes de «comportements». Lors des repas dans la salle commune, il cible une résidente et se masturbe sous la table. «On dirait que des jours, il ne pense qu’à ça. Si tu as des idées de solutions, je suis preneuse!» soupire la préposée. Nous allons voir le monsieur dans sa chambre. Il est tranquille, assis devant la télé. Geneviève lui fait un brin de jasette. De retour au poste de garde, la préposée précise que le monsieur a des signes précurseurs (il fixe une femme avant d’avoir ses «comportements»). De plus, dès qu’il est dans sa chambre, il n’en sort pas de lui-même. Geneviève promet de revenir avec des solutions.
Dernier arrêt au domicile d’un couple d’octogénaires. Ils habitent une grande maison baignée de lumière. «C’est mon mari qui l’a construite», dit fièrement la dame. Elle soigne son homme atteint d’Alzheimer depuis plus de 10 ans, mais sent ses forces décliner. À 83 ans, elle le lave encore tous les jours, marche avec lui, le fait chanter…
Très bien organisée, la dame a dressé une liste des sujets qu’elle veut aborder avec la travailleuse sociale. Son mari vient s’asseoir avec nous. Il fait rire Geneviève avec un clin d’œil. À moi, il lance une boutade: je te watche!
La dame s’informe des démarches à effectuer pour faire homologuer le mandat de protection (jadis d’inaptitude) de son mari. Elle en a besoin pour effectuer des transactions sur des placements. Le processus est compliqué. Même si les volontés du mari sont notariées, un médecin et une travailleuse sociale doivent valider le document. Un processus qui peut prendre des mois…
Pendant ce temps, l’état du mari se dégrade. Il parle moins. Renâcle à se faire laver. La dame devient émotive. Elle voit venir le jour où ses forces manqueront. «Pourriez-vous, à titre préventif, ouvrir un dossier à mon nom pour du soutien à domicile?» demande-t-elle à Geneviève qui compte déjà une liste de 50 clients. «Je ne peux me permettre d’avoir des clients inactifs», répond-elle avec une grande douceur.
Geneviève promet de faire intervenir des expertes pour voir ce qui ne fonctionne pas avec la douche du matin. «Elles vous proposeront des stratégies, du soutien…» La dame respire mieux. «L’important, c’est qu’on reste ici, à la maison. Sa santé est bonne. On sort marcher tous les jours. On vit dans la maison qu’il a bâtie…»
«C’est ce que vous voulez, rester à la maison le plus longtemps possible?», s’enquiert Geneviève.
«Oui, mais pas juste ça. Je veux rester le plus longtemps possible en couple avec lui», dit-elle.
C’est la grâce que je vous souhaite, madame.