L’histoire de Gilbert n’est pas facile à entendre. Pendant plusieurs années, elle s’est résumée à de la maltraitance, à des gens qui ont abusé de lui physiquement, psychologiquement et financièrement. Au point où il ne savait plus reconnaître sa propre valeur. Au point où il ne savait plus à qui faire confiance.
Une histoire qui a finalement été judiciarisée. Frappée d’une ordonnance de non-publication, il nous est impossible de vous en dévoiler tous les détails. Une chose est certaine, Gilbert a vécu l’enfer!
Le jour où il a enfin pu se sortir de cet enfer, il a enfourché son vélo et a cherché de l’aide où il le pouvait. Il est allé cogner à la porte d’un organisme communautaire de son quartier. Sans argent, sans logis, ne possédant que ce qu’il avait sur le dos, Gilbert se demandait bien où il allait puiser la force de continuer. Dans cet organisme, on lui a tendu la main et on l’a emmené jusqu’au Centre le Havre de Trois-Rivières, là où on accueille quotidiennement les personnes en situation d’itinérance et de rupture sociale.
«Je suis arrivé à l’hébergement d’urgence et je me souviens, je ne faisais que pleurer. Je n’avais plus de repères. Je ne savais plus où j’étais, et même qui j’étais. Mais ils m’ont accueilli sans me juger, ils m’ont ouvert la porte toute grande», se souvient-il.
La reconstruction, dans de pareilles circonstances, elle est longue. Un jour après l’autre, Gilbert réapprenait à reconnaître sa valeur, ses envies, ses motivations. Au bout d’un mois et demi à l’hébergement d’urgence, il a été transféré au centre d’hébergement de transition, où il a vécu près d’un an, avant de se trouver un logement et de déménager pour amorcer une nouvelle vie.
Il y avait cependant longtemps que Gilbert Demers n’avait pas travaillé. En raison d’une vilaine blessure à la jambe, il n’avait pas pu poursuivre son travail de gardien de sécurité. Ne possédant qu’un secondaire 3, les employeurs prêts à l’embaucher ne couraient pas les rues. Gilbert a longtemps vécu de l’aide sociale, avant de vivre cet épisode qui a empoisonné sa vie pendant plusieurs années.
Après son passage au Havre, il a fait un séjour au Service d’intégration au travail (SIT) comme magasinier. Un travail qu’il a bien aimé. Mais dans cette nouvelle vie qui se présentait à lui, il a eu envie de terminer ce qu’il n’avait jamais eu la chance de compléter: ses études secondaires.
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C’est ce qu’on lui a proposé au Havre, grâce au programme Habiter le milieu qui m’entoure. Un programme mis en place en collaboration avec le centre de services scolaire et le ministère de l’Éducation et qui permet aux gens parfois de reprendre les études là où ils ont arrêté, ou encore de s’engager dans un processus d’alphabétisation, ne serait-ce que pour devenir fonctionnel en société, un facteur incontournable de la réinsertion sociale.
«C’est un programme qui se déploie soit dans des classes réduites avec un accompagnement personnalisé, ou encore grâce à un volet culturel. À l’aide de sorties culturelles par exemple, on va tenter de comprendre ce qui stimule, ce qui intéresse la personne, et de voir si elle entre dans un processus d’apprentissage par la curiosité», résume Karine Dahan, directrice clinique au Havre.
Dans le cas de Gilbert, c’est sur les bancs d’école qu’il a pu reprendre le chemin de la scolarisation, notamment avec le soutien de sa professeure Julie Fillion, qui oeuvre auprès de cette clientèle en processus de réinsertion.
«Il y a des gens pour qui c’est important d’obtenir le diplôme afin de retourner sur le marché du travail, mais ce n’est pas toujours ça. La plupart du temps, c’est surtout pour reprendre confiance en soi. Se fixer un objectif, être capable de faire les choses, d’aller jusqu’au bout de ce qu’on entreprend, de retrouver sa place dans la société. C’est beaucoup plus qu’un simple diplôme», constate Karine Dahan.
Mais la route n’a pas été facile chaque jour. Combien de fois Gilbert a songé à tout lâcher durant les six mois qu’a duré le programme? Spécialement quand il était question du module de sciences naturelles... Mais sa professeure Julie Fillion a choisi de lui faire passer ce module en dernier. Une fois qu’il avait vécu autant de succès avec les autres modules, il devenait plus difficile de laisser tomber aussi loin dans le processus. Le fil d’arrivée était à portée de main.
Ce mois-ci, Gilbert a reçu un diplôme par la poste. Un diplôme qui attestait qu’il avait réussi ses équivalences du secondaire. Il est allé acheter un cadre pour le mettre dedans. Un cadre en bois traité, parce que c’était beaucoup plus joli qu’un cadre blanc ou noir. «Ça va être tellement beau sur mon mur», confie-t-il en riant.
En ce samedi 12 novembre, Gilbert Demers soufflera 69 bougies sur son gâteau d’anniversaire. Retournera-t-il au travail? Ce diplôme lui donne envie de nous dire que oui. «J’ai aimé ma carrière dans le monde de la sécurité. Peut-être qu’ils me réembaucheraient. Mais je sais que je ne suis plus très jeune. Et si personne ne veut m’embaucher, ce n’est pas grave, je prendrai ma retraite. Moi, je voulais aller au bout de quelque chose et c’est ce que j’ai fait. J’ai accompli quelque chose et il n’y a personne qui va me rabaisser ou me manipuler pour m’enlever ça», lance-t-il, souriant.
Dans le document qui atteste sa réussite, un mot a été souligné: persévérance. Un mot qu’il ne connaissait pas encore très bien il y a quelque temps. «Moi je disais que j’étais tête de cochon! On m’a dit que j’étais persévérant. Je pense que j’aime mieux ça. Ça prouve que j’ai fait des efforts, que j’ai pris confiance en moi», ajoute-t-il.
Gilbert range précieusement son diplôme et son cadre en bois traité dans son sac. Il est heureux d’avoir pu raconter son histoire, et ne se doute pas à quel point il pourrait à lui seul en inspirer d’autres.
«Je ne sais pas si je suis un modèle. Ce que je sais par contre, c’est qu’il n’y a plus jamais personne qui va réussir à venir me démolir».