Avant de refaire sa vie dans l’Hexagone, Zar Ebrahimi était déjà comédienne dans son pays natal, où elle jouissait d’une grande notoriété. Une vidéo privée la montrant au lit avec un ancien fiancé est venue tout faire dérailler pour celle qui risquait des coups de fouet ou la prison, en plus d’être désormais interdite de travailler.
À 41 ans, Zar Ebrahimi n’a pas honte de son histoire. Pas plus qu’à 25 ans, d’ailleurs, au moment où elle a dû répondre aux questions des autorités iraniennes.
«J’ai commencé avec un mensonge, parce que je n’avais pas le choix. J’ai nié ma présence dans cette vidéo, alors que j’avais envie de dire : “c’est moi, c’est ma vie, c’est mon corps. Je voulais le faire, c’était pour l’amour, je n’ai pas honte”», raconte l’actrice, qui ne souhaitait pas nuire à ses proches ni subir les conséquences de son «crime».
Elle a donc joué le jeu.
«Pendant des mois, je me suis assise devant les interrogateurs et je leur mentais, relate-t-elle. Et ça me blessait. Je n’ai pas trahi les autres, mais j’ai quitté ce pays parce que je ne voulais pas me voir dans une situation de trahison envers moi-même.»
Sur une terre d’accueil dont elle ne parlait pas la langue, Zar Ebrahimi a d’abord occupé de «petits boulots» avant de se recréer un réseau pour renouer avec son vrai métier.
Un parcours qui fait d’autant plus comprendre la vive émotion qu’elle a ressentie en acceptant son prix d’interprétation à Cannes au printemps dernier.
«Quand je regarde tout ça avec le recul, c’est comme si quelqu’un d’autre avait vécu tout ça!» lance l’actrice.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/UQ4PYZWJXVEDTHDPSUWRLXTYVU.jpg)
Sans censure
Le passé de Zar Ebrahimi résonne aussi fort quand on sait que le film Les nuits de Mashhad n’aurait jamais pu être tourné en Iran sans être censuré.
Lui-même exilé au Danemark (le long métrage représentera d’ailleurs ce pays dans la course à l’Oscar international en 2023), Ali Abbasi s’est inspiré d’un véritable tueur en série qui assassinait des prostituées au début des années 2000.
Il y met en scène une sexualité explicite, des meurtres sordides.
Dans un contexte où les autorités conservatrices ne semblent pas pressées d’arrêter celui qui se targue de nettoyer la ville sainte de Mashhad, Zar Ebrahimi incarne une journaliste tenace, voire téméraire, menant l’enquête pour le démasquer.
«Avec tout ce qui se passe actuellement en Iran, on voit le film différemment, commente l’actrice. La brutalité qu’il y a dans ce film est devenue comme un miroir de ce qui se passe en Iran. C’est bizarre, on ne voulait pas faire ça. Mais c’est un peu la magie du cinéma dans le temps.»
Après sa présentation en compétition à Cannes, le film s’est attiré les foudres du gouvernement iranien, souligne Zar Ebrahimi. Elle-même dit avoir reçu des menaces.
«Le ministère de la Culture l’a dénoncé en disant que ça allait dans la direction des idées de [l’écrivain] Salman Rushdie. Moi, ça me fait plaisir d’être associée à Salman Rushdie! Ils disent que c’est un film contre la religion, contre l’Iran… Mais ils ne l’ont même pas regardé.»
L’actrice salue d’ailleurs le courage des artisans des Nuits de Mashhad, son réalisateur Ali Abbasi au premier chef.
«J’ai beaucoup de respect pour lui, parce qu’il pourrait se censurer pour garder la voie de l’Iran ouverte. Mais je pense que la question de faire un bon film, un vrai film était plus importante. Il voulait faire son cinéma à lui», décrit Zar Ebrahimi.
«Il ne voulait pas faire un film contre l’Iran, contre le gouvernement ou pour le féminisme, reprend-elle. Il voulait faire un film noir, un film de genre qui est lié à la société iranienne, mais qui pourrait être universel aussi.»
Les nuits de Mashhad sera présenté au cinéma dès le 18 novembre.