Chronique|

La vie comme un marathon

CHRONIQUE / Chaque lundi matin, je m’offre un temps d’arrêt. Une pause avant de plonger dans le tourbillon effréné de mes occupations hebdomadaires. J’en profite pour écrire. Parfois cette chronique. Parfois autre chose. Pour ce faire, je m’installe habituellement à l’une des banquettes du Café Morgane, au centre-ville de Shawinigan. Une routine tellement bien ancrée qu’il n’est pas rare que les employées amorcent la préparation de mon allongé en me voyant franchir le seuil de la porte.


Avant de poser mes doigts sur le clavier de mon portable, j’observe de longues minutes les gens autour de moi. Je porte attention à l’odeur du café, au décor, à la musique, au temps qu’il fait à l’extérieur. Cette semaine, j’ai pris conscience que cet intermède est bien souvent le seul arrêt que je m’accorde. Ce qui est nettement insuffisant pour entretenir une bonne santé psychologique, j’en conviens.

En dehors de cet instant matinal, j’ai la fâcheuse habitude de combler à tout prix chaque seconde de ma journée. Physiquement, mais surtout mentalement. À plancher sur mille et un projets, à plonger tête première dans une multitude d’implications et à rester continuellement à l’affût de la moindre information qui circule.



Cette obsession pour la productivité a un effet pervers: j’ai la désagréable impression de perdre mon temps si je ne fais rien.

Des cas comme le mien, la psychologue Sara-Maude Joubert en voit régulièrement passer dans son bureau, qui porte le joli nom de «Les Psy trucs». J’étais donc curieux de connaître son point de vue sur le sujet. «Je fais souvent le parallèle avec des patients avec un marathon. Nos emplois et nos responsabilités d’adultes impliquent des efforts soutenus. Ce n’est souvent pas quelque chose de difficile en soi, mais ce qui rend le tout éreintant c’est que ça ne lâche jamais... comme un marathon! Et comme dans un marathon, pour être capable de terminer la course, c’est essentiel d’avoir des points d’eau et des pauses à des cadences régulières sur le parcours», m’a-t-elle répondu, avant d’ajouter: «les gens très perfectionnistes, particulièrement, ont tendance à percevoir les comportements pour prendre soin de soi comme une perte de temps... comme si cela diminuerait leur performance au marathon! En fait, c’est l’inverse. Prendre des pauses, des moments de ressourcement, etc., c’est se donner les conditions nécessaires pour terminer la course et vouloir en refaire une autre éventuellement.» Je ne vous cacherai pas que ces explications m’ont amené à jeter un regard introspectif sur l’organisation de mes journées.

Parmi les nombreuses occupations qui meublent mon quotidien, il y a celle de collaborateur au Nouvelliste. Au départ, j’avais l’impression que le fait d’être si occupé, jour après jour, serait à coup sûr une source intarissable d’inspiration pour la rédaction de cette chronique hebdomadaire. Mais régulièrement, alors que la semaine s’achevait, je faisais un surprenant constat: je n’avais pas trouvé le sujet pour ma prochaine chronique. Pourtant, j’avais assisté à des activités culturelles variées et j’avais rencontré une multitude de gens. Le hic, c’est qu’à travers tout cela, je n’avais pas pris le temps de m’offrir une pause, de vider mon esprit pour laisser place à la réflexion. Pourquoi? À cause de cette fichue impression qu’il ne faut pas s’arrêter. Qu’il faut immanquablement combler chaque instant. Parfois par des réalisations qui procurent satisfaction et fierté. Parfois par des petits gestes anodins beaucoup moins valorisants, comme celui de profiter du moindre moment libre pour sortir mon téléphone et jeter un coup d’œil aux réseaux sociaux. Ai-je manqué quelque chose pendant qu’il était dans ma poche? Ainsi, au lieu de m’offrir un temps d’arrêt, si bref soit-il, je continue plutôt à gaver mon cerveau d’informations, souvent superflues.

Lundi matin, avant d’entamer cette chronique, je sirotais un allongé, comme d’habitude. Je n’avais pas entré dans mon portable le code donnant accès au wifi de l’établissement. J’ai respiré. Simplement. Grâce à cette pause, le sujet d’aujourd’hui s’est imposé de lui-même. Après ma séance d’écriture, j’ai quitté le café, satisfait, prêt à poursuivre mon marathon, avec en tête ces mots de Sara-Maude Joubert: «en somme, prendre des pauses c’est être efficace et sérieux vis-à-vis notre travail et nos responsabilités. C’est faire de soi un modèle sain pour les autres, que ce soit nos collègues, nos employés ou nos enfants.»



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À la fois auteur, communicateur et entrepreneur, François St-Martin est impliqué dans le milieu culturel depuis près de 30 ans. Son parcours l’amène à explorer différentes facettes des arts et de la culture, dont la scénarisation de bandes dessinées. Au cœur de sa démarche: l’amour de la langue française et le désir de poser un regard bien personnel sur le monde qui l’entoure.