Chef élu du conseil de bande de Manawan, l’une des communautés atikamekw du Québec, Sipi Flamand ouvre ainsi un dialogue franc et un brin rêveur sur l’avenir qu’il faut, selon lui, repenser ensemble. D’entrée de jeu, il ne se gêne pas pour critiquer l’instance politique qu’il représente lui-même, le conseil de bande étant «une structure qui a été pensée et réfléchie par le Gouvernement, avec la Loi sur les Indiens».
La réflexion qu’il mène dans cet essai vise entre autres ceci: «Nous permettre de revoir quel mode de gouvernance nous conviendrait en respectant nos valeurs, notre philosophie. Je pense que c’est à ça qu’il faut réfléchir», indique le chef et militant sur un ton toujours posé, jamais précipité.
«La réconciliation, ce qu’on observe présentement, c’est comme une forme d’imposition. Quand on parle de décolonisation, c’est reconnaître que les Autochtones ont leur propre discours, ont leur propre mode de gouvernance. C’est en les écoutant qu’on peut recréer le concept de réconciliation et le développer ensemble», explique-t-il au téléphone.
Son court essai, en librairie depuis le 1er novembre, s’avère percutant sans toutefois attiser un sentiment de confrontation entre les groupes interpellés. Au contraire. L’auteur y prône le dialogue, la reconnaissance des savoirs autochtones, la coopération écologique, la création de nouveaux modes de gouvernance, bref: une décolonisation de l’espace mental et physique des peuples qui coexistent sur cette île de la Grande Tortue.
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Mais s’il est un groupe que le militant de 32 ans ne ménage pas, c’est celui de l’industrie extractiviste capitaliste (forestière, minière et énergétique). À son propos, Sipi Flamand se montre même assez vindicatif: «Les compagnies extractivistes, pour qui faire de l’argent constitue l’unique raison d’être ici sur la planète, considèrent l’Autochtone protecteur de l’environnement – de la Terre-Mère – comme un détracteur». Il poursuit: «Nos territoires sont en train de s’engloutir au profit d’un capitalisme sauvage, en raison d’une “réconciliation” extractiviste!»
Pourtant, interrogé à ce sujet, il ne désespère pas de décoloniser aussi cette relation: «C’est difficile de s’opposer à eux, mais c’est leur ouverture qu’il faut provoquer», estime-t-il. «Les Autochtones peuvent contribuer à amener des changements, par exemple en foresterie avec l’aménagement territorial, et utiliser leur savoir; les aînés autochtones connaissent bien le territoire, savent où il y a des sources d’eau, où les orignaux peuvent aller mettre bas. Ils connaissent le mode de vie des animaux, ils connaissent le territoire. En mettant en valeur leur savoir, leurs connaissances au sein des peuples autochtones, on pourrait apporter de gros changements au niveau de l’extraction des ressources naturelles».
Mais à savoir si une telle ouverture au dialogue existe, actuellement, au sein de ces industries, le chef autochtone répond, laconique: «Rarement.»
Regarder en avant
Le titre de l’essai, Nikanik e itapian, veut dire «regarder en avant» ou «regarder vers l’avenir» dans la langue maternelle nehiromowin (atikamekw) de Sipi Flamand. Après une introduction tirée d’un récit mythologique autochtone sur la création, l’auteur présente une mise en contexte de certaines conceptions de l’histoire coloniale et des mouvements de réconciliation actuels.
Il pose ensuite, comme principe de base à sa réflexion, une philosophie ancestrale qui tient compte des conséquences pour sept générations futures, de nos décisions et actions présentes. Ce que l’auteur appelle la Prophétie des Sept Feux.
«Si toutes les sociétés sur la planète se basaient sur le principe des sept générations, il y aurait une grande différence sur les plans politique, économique, social, culturel et spirituel (à moins que je ne sois un peu trop idéaliste, comme certains pourraient le penser) […].» Cette façon de tempérer ses propres affirmations entre parenthèses est typique de l’approche littéraire de l’essayiste.
«C’est ça l’objectif d’un essai, c’est confronter ses propres convictions, son discours et ce qu’on apprend aussi de l’histoire des relations qui ont été établies il y a longtemps. C’est dans cette perspective que j’ai réfléchi avec ce livre-là», commente-t-il à ce sujet.
Le cœur de l’ouvrage se déploie toutefois sur une quarantaine de pages où Sipi Flamand ouvre les vannes de son imagination pour projeter deux visions d’avenir et leurs conséquences dans 10 ans, 25 ou 50 ans. Ces visions d’avenir utopiste et dystopique – ou optimiste et pessimiste – montrent bien que la fenêtre de temps actuelle peut s’ouvrir sur des mondes diamétralement opposés. Ils seront conséquents à ce qu’on aura pris soin ou non d’envisager nos décisions dans l’intérêt des sept générations à venir.
Sipi Flamand, dont le nom traditionnel, Miaskom Sipi, signifie «à la rencontre de deux rivières» invite justement ses lecteurs à une rencontre. «Il faut trouver un moyen de se parler ensemble: tant avec le gouvernement qu’avec la société québécoise, la société canadienne et les communautés autochtones. Ce n’est pas écrit dans le livre, mais c’est dans cette voie-là qu’il faut aller», plaide l’auteur.