Dans le dernier épisode de la saga Twitter, Elon Musk a enfin pris la tête du réseau social pour la modique somme de 44 milliards de dollars US, il y a un peu plus d’une semaine. Depuis, c’est un peu la panique.
Après avoir montré la porte à Parag Agrawal, le patron de Twitter et les membres du conseil d'administration, il compte se débarrasser d’environ la moitié des employés de l’entreprise (rien que ça).
Du côté des utilisateurs, l’inquiétude se fait sentir notamment chez les chercheurs, journalistes et personnalités publiques qui craignent que la plateforme devienne un nid de désinformation d’extrême droite.
Le milliardaire se présente comme fervent défenseur de la liberté d’expression (étant lui-même un troll notoire à ses heures) et a mentionné à de nombreuses reprises son désir d’assouplir la modération sur la plateforme. Des groupes de défense des droits civiques s’en sont mêlés et ont fait part de leurs craintes face aux retours de personnalités problématiques comme Donald Trump.
Ça fait beaucoup, mais je ne suis même pas là pour vous parler de tout ça. C’est ce petit tweet qui m’intéresse:
«Le système actuel de seigneurs et paysans de Twitter pour savoir qui a ou n'a pas une coche bleue est une connerie. Le pouvoir au peuple ! Bleu pour 8$/mois», peut-on lire sur sa publication.
Ici, notre cher Elon parle du badge circulaire sur lequel se trouve un petit crochet à droite de son nom d’utilisateur. Peut-être que ça ne vous dit pas grand-chose, mais sur les réseaux, ce petit crochet a gagné une valeur inestimable.
Pourtant, à la base, ce n’était qu’une fonctionnalité de sécurité.
De sécurité à popularité
À la base, ce petit badge bleu était une façon de certifier qui se trouve derrière un compte utilisateur.
En d’autres termes: ça servait à départir les faux comptes de personnalités connues des vrais. Le premier cas de «vol d’identité» sur Twitter, si on peut le nommer ainsi, serait celui de Shaquille O’Neal, le célèbre joueur de basketball. Le New York Times raconte qu’en 2008, le sportif s’est créé un compte Twitter, car il avait appris que quelqu’un se faisait passer pour lui sur la plateforme.
Alors que ce type d’incident devenait de plus en plus courant, la plateforme a mis en place un système de badge d’authentification. Le système n’est pas sans failles et, avec le temps, certains voient cette petite marque bleue comme une approbation des propos de certaines personnalités publiques de la part de Twitter.
Le fameux crochet bleu a également migré sur d’autres plateformes comme Facebook et Instagram.
Si aujourd’hui, tout le monde peut faire une demande de certification de compte, ce n’est pas si évident d’y accéder (croyez-moi, je gère plusieurs pages de réseaux sociaux). Pour se faire, il faut remplir certains critères et fournir aux plateformes la documentation adéquate.
Par la suite, le réseau social décidera si vous avez droit à ce badge ou non. Sur quels critères d’analyse exactement? Ce n’est pas toujours clair…
Ce qui est embêtant, c’est qu’avec le temps, ce petit crochet bleu a gagné beaucoup de valeurs aux yeux de certaines personnes. La pandémie a même accentué le phénomène alors que plusieurs journalistes et chercheurs ont été encouragés à se le procurer.
«Moi je l’ai fait dans le contexte de la COVID. Je suis dans toutes sortes de réseaux de gens qui s’écrivent des messages privés sur la question de la désinformation sur Twitter et ils disaient: “bon, si vous êtes quelqu’un qui intervient sur la désinformation ou la pandémie, c’est bon de faire certifier votre compte, parce que ça va vous donner encore plus de crédibilité”», témoigne Colette Brin, professeure titulaire au département d’information et de communication de l’Université Laval.
Bon, Colette Brin dit ne pas donner trop d’importance à cette certification. Si elle devient payante, elle l’abandonnera, c’est tout, mais pour certains, c’est une réelle consécration.
Même le rappeur Koriass se vante de son compte «verified» dans l'une de ses chansons. Être vérifié, c’est montrer qu’on est un «vrai», une personnalité connue, que notre personne et ce que l’on dit valent plus que ce qu’avance le bas peuple.
L’importance que l’on a donnée à ce badge, Elon Musk en a bien conscience et il n’est pas le premier à monnayer la chose.
«Il y a des gens qui vont vendre leur accompagnement dans la démarche pour accéder à un crochet bleu en disant: moi je connais les secrets pour y arriver», indique Nellie Brière, conférencière et consultante en communications numériques et réseaux sociaux.
«En réalité, ces gens n’ont pas de secrets, mais des contacts privilégiés parce qu’ils font du volume […] ou ils travaillent en lien avec un diffuseur qui fait en sorte qu’ils ont accès à un représentant [du réseau social] qui va ajouter le compte sur la liste.»
Je le conçois, ce badge offre une protection à celui ou celle qui l’adopte: Nellie Brière m’explique aussi qu’il aide certains journalistes et activistes à ne pas voir leur compte bloqué lorsque des autorités tentent de faire taire leur plateforme.
Par contre, comment se fait-il que l’on ait donné autant d’importance à cette petite tache bleue socialement? Il suffit qu’un douchebag avec trop d’argent décide de changer les règles du jeu pour que cette marque perde tout son sens.
Alors Elon, tu veux redonner le pouvoir au peuple? Plutôt payer pour ton investissement qui t'a coûté beaucoup trop cher, oui… On peut être en colère pour plusieurs raisons devant cette situation. Personnellement, je me suis sentie bête. J’étais moi-même tombée dans le piège: je voulais acquérir le crochet bleu pour ma propre notoriété.
Sur ce réseau social souvent infect, peut-être que Musk nous aura mis face à nos propres insécurités et notre propre égo. Le crochet bleu pour lequel les gens auront tant travaillé sera accessible à n'importe qui pour 8$ par mois. Peut-être devrions-nous chercher notre valeur ailleurs.
De toute façon, Twitter n'est que la 15e plateforme sociale où il se trouve le plus d'usagers actifs par mois, selon Buffer.... On en parle autant dans les médias, peut-être parce que les journalistes y sont tous.
Sortons un peu de notre entre-soi et allons explorer d'autres plateformes moins toxiques s'il vous plaît.