Une année! Une année complète de vie municipale depuis l’élection de novembre 2021. Et pas l’année la plus reposante, croyez-moi. Dans la région, on a certes vu autant d’histoires positives que de dossiers épineux et de querelles disgracieuses.
Des démissions dans certains conseils municipaux aux rapports dévastateurs de la Commission municipale dans d’autres, du combat des Shawiniganais pour avoir accès à de l’eau potable à celui des Trifluviens pour espérer un conseil municipal qui puisse travailler dans une autre atmosphère que celle des perpétuelles chicanes, sans compter une campagne électorale provinciale qui est venue rebrasser les cartes à certains endroits et qui a forcé les sorties publiques pour faire entendre la voix des municipalités... Cette année n’aura pas été de tout repos dans le monde municipal.
Mais c’est avant tout la question de l’inflation qui représente aujourd’hui le plus grand défi auquel font face les villes et les municipalités du territoire. L’exercice budgétaire en cours de préparation un peu partout n’aura rien de simple, et risque de coûter cher aux contribuables. On se prépare au pire à bien des endroits.
Hausse drastique des prix lors d’appels d’offres pour les services essentiels, hausse des taux d’intérêt sur les emprunts qu’il faut continuer de rembourser, obligation de rencontrer les engagements pris dans les conventions collectives, voilà autant de défis qui obligent les conseils municipaux à devoir faire des choix difficiles sur ce qui peut être coupé.
Voilà également autant de raisons pour les organisations qui représentent ces municipalités, soit l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et la Fédération québécoise des municipalités (FQM), de demander aujourd’hui une aide urgente de la part de Québec pour les aider à absorber la facture et ne pas entièrement la refiler aux contribuables.
Car il faut le dire: la hausse de l’inflation a permis à Québec d’engendrer des revenus très intéressants en perception de TVQ. De 6 à 7 milliards de dollars, ont estimé certains spécialistes. Pendant ce temps, en raison de la hausse des coûts, les municipalités du Québec se sont appauvries de près d’un milliard de dollars. Et comme une municipalité, de par la loi, n’a pas le droit de faire de déficit, elle se doit de boucler un budget équilibré.
Pour y parvenir, elle doit augmenter ses revenus, ou alors diminuer ses services. Mais il y a des limites à ce qu’on peut couper. La hausse de taxes municipales devient alors la seule option envisageable parfois, d’autant plus qu’il s’agit là essentiellement de la seule source de revenus des municipalités. Un modèle fiscal complètement dépassé, on l’a dit maintes et maintes fois. Mais un modèle fiscal auquel Québec ne semble pas vouloir toucher pour le moment.
Que reste-t-il comme solution, alors? «On aimerait avoir une compensation de la part de Québec. Le gouvernement dit qu’il veut aider les citoyens à faire face aux défis de l’inflation. C’est ce qu’on veut aussi. Mais contrairement à Québec, nous n’avons pas les moyens de le faire. On veut travailler main dans la main avec le gouvernement pour y parvenir», signale Daniel Côté, président de l’UMQ et maire de Gaspé.
Pour lui et pour tant d’autres maires au Québec, il ne fait plus de doute que l’aide ponctuelle promise aux Québécois par François Legault durant les élections ne servira pas à grand-chose d’autre que d’éponger une bonne partie de la mauvaise surprise qui arrivera avec le compte de taxes municipales. Autrement dit, Québec aura le beau jeu de verser de l’argent aux citoyens, et les municipalités porteront l’odieux de venir la chercher dans leurs poches.
«C’est un peu comme si le père Noël s’en venait vous porter un cadeau, mais que nous étions le Grinch qui va venir vous le prendre», image Daniel Côté, non sans noter qu’aucun élu municipal au Québec n’a le goût de jouer ce rôle à l’heure actuelle.
Parmi les solutions proposées, outre cette aide ponctuelle, on avance différentes possibilités dans le milieu municipal. En attendant les prochaines négociations qui viendront avec le pacte fiscal, on propose de revoir le partage des revenus, notamment en lien avec la perception de la TVQ. À l’heure actuelle, les municipalités reçoivent l’équivalent de la croissance d’un point de TVQ, alors qu’ils réclamaient la totalité d’un point de TVQ il y a quelques années. Leur accorder cette aide viendrait déjà compenser une bonne partie des défis auxquels elles font face.
Car outre le fait d’offrir les services auxquels les citoyens sont en droit de s’attendre, la pandémie a révélé à quel point les municipalités pouvaient aussi avoir un rôle central à jouer dans le bien-être des communautés. C’est ce que note Jacques Demers, président de la FQM et maire de Sainte-Catherine-de-Hatley.
«Durant cette période, nous avons été plus près de nos citoyens que jamais. Chez nous, on s’était donné le mandat d’appeler toutes les personnes de 70 ans et plus au moins deux fois pour s’assurer que tout allait bien. On a investi plus de 6 M$ en aide financière pour garder nos entreprises à flot. On a demandé à notre personnel de se réinventer, de faire les choses autrement pour s’adapter à cette nouvelle réalité. De plus en plus, on constate que le tissu communautaire passe aussi par le monde municipal», considère M. Demers.
Or, cet hiver, à Sainte-Catherine-de-Hatley, il en coûtera 460 000 $ de plus que l’an dernier, uniquement pour faire déneiger les rues. Un seul soumissionnaire a bien voulu présenter une offre de services, et il venait de l’extérieur. Les autres n’ont pas souhaité soumissionner, par manque de main-d’oeuvre. Ils savaient trop bien qu’ils ne pourraient peut-être pas remplir leur part du contrat. Une réalité qui se vit partout.
«La proposition qu’on recevait était d’environ trois fois le prix qu’on payait auparavant. On a pu négocier avec le soumissionnaire, et finalement on a pu baisser ça à deux fois plus cher. Mais le citoyen ne verra pas le résultat de cette négociation. Ce qu’il va voir, c’est que ça lui coûte deux fois plus cher», considère Jacques Demers, qui a récemment écrit au ministre des Finances Éric Girard afin de lui demander de ne pas oublier les municipalités lorsqu’il élaborera son prochain budget.
«On nous parlait d’un bouclier anti-inflation. Eh ben nous, on aimerait beaucoup le voir, ce bouclier. Le problème est que si personne ne nous aide cette année, on va repousser vers l’avant ce qui doit être fait. Mais sur le plan des infrastructures, on ne peut pas prendre de retard, car on est en train de léguer un cadeau empoisonné aux prochaines générations. Plus on attend, plus ce sera dispendieux», ajoute Jacques Demers.
C’est donc avec bien peu de plaisir et d’enthousiasme que les gouvernements municipaux sont à boucler les budgets en prévision de l’année 2023, un peu partout au Québec. Ce premier anniversaire de vie municipale, il passe avec le goût amer d’une année qui n’aura pas été facile à traverser. L’espoir de pouvoir se faire entendre de Québec avant de mettre les comptes de taxes à la poste s’amenuise, mais il est encore là.
Il n’est pas encore trop tard.