Les faits
Il y avait déjà un petit nombre d’études qui avaient été faites sur le télétravail avant la pandémie, mais, comme on s’en doute, on assiste à une véritable explosion depuis. Cependant, ce déluge de travaux n’a pas (du moins pas encore) permis de dégager de portrait très clair de la situation, à part sans doute le fait qu’il s’agit d’une question beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît à première vue.
De manière générale, les études faites avant la pandémie trouvaient des effets assez positifs au télétravail, tant sur la productivité que sur des indicateurs de santé mentale et de satisfaction au travail (stress, épuisement, etc.) qui sont eux-mêmes des prédicteurs de la productivité, lit-on dans une revue de littérature parue cette année dans BMC – Public Health. Les résultats n’étaient pas unanimes — quelques-uns de ces travaux n’ont trouvé aucune association significative avec la productivité ou le bien-être — parce qu’il y a plusieurs facettes au travail à la maison qui peuvent être autant bénéfiques (plus d’autonomie et de flexibilité, moins de temps passé en transports, etc.) que nocives (isolement social, coordination plus difficile, etc.). Mais dans l’ensemble, les résultats, bien que peu nombreux, penchaient assez clairement du côté positif.
Depuis le début de la pandémie, cependant, il s’est publié pas mal d’autres études qui dressent un portrait plus sombre du télétravail. Sauf qu’il faut les prendre avec un certain grain de sel, avertit Annick Parent-Lamarche, titulaire de la Chaire UQTR Junior sur les pratiques en gestion des ressources humaines, le bien-être et la performance au travail. «Les études avant la pandémie portaient sur du télétravail qui avait été planifié, alors que ça n’était pas toujours le cas avec le virus, surtout pendant la première vague, dit-elle. […] Pendant la pandémie, le télétravail a souvent été imposé aux travailleurs, qui n’étaient pas toujours bien équipés, il y a eu les fermetures d’école, etc.» Tout cela a pu détériorer les conditions dans lesquelles le travail de la maison se faisait et assombrir plus ou moins artificiellement le portrait.
Par exemple, une étude japonaise réalisée au printemps 2020 a comparé la productivité d’employés du secteur manufacturier qui télétravaillaient ou qui continuaient de se rendre au bureau — au Japon, les firmes avaient le choix. Les premiers, dans cet article, se sont avérés clairement moins productifs que les seconds, mais une grande partie de la différence s’expliquait par des problèmes de communication et d’équipement informatique. Des travaux chinois ont tiré des conclusions semblables.
De la même veine, une étude parue dans le Journal of Occupational Health a conclu que les gens de 50 ans et plus qui ont dû travailler de chez eux en juin et juillet 2020 montraient plus de signes de stress, d’anxiété, de solitude et de difficulté à dormir que ceux qui se rendaient au bureau, mais que cet écart disparaissait quand on annulait l’effet de la sévérité des mesures sanitaires en place dans les pays à l’étude.
Bref, tout indique qu’il régnait des conditions assez particulières pendant la première vague de COVID-19 qui ont influencé les résultats des études sur le télétravail. Mais cela montre quand même que ce dernier, s’il peut très bien convenir à beaucoup de gens, n’est pas non plus une solution universelle — ses résultats varient en fonction du contexte.
Et peu de choses illustrent aussi bien l’influence du contexte que deux études québécoises qui sont arrivées récemment à des conclusions complètement opposées, du moins en apparence. Chercheuse en administration à l’Université Laval, Caroline Biron a mesuré la performance et la détresse psychologique de 1450 travailleurs (présentiel, télétravail ou hybride) à cinq reprises entre avril 2020 et novembre 2021. «À la première mesure, dit-elle, il y avait autant de détresse chez les télétravailleurs que chez les autres, soit environ 49-50 % de détresse pour chaque groupe. Mais après, il y a un écart qui s’est creusé et dès la troisième mesure [fin 2020, NDLR], il y avait nettement moins de détresse chez les télétravailleurs que chez les autres [autour de 50 % de détresse en présentiel contre 30-32 % en télétravail, NDLR].
Mme Biron a observé le même genre d’évolution sur la productivité, qui était plus faible à la maison au printemps 2020 avant de rattraper celle du bureau par la suite.
Mme Parent-Lamarche a elle aussi fait le même genre d’étude, mais ses chiffres ont au contraire montré «des niveaux de stress plus faibles et un bien-être psychologique plus élevé en télétravail pendant le premier confinement. Sauf que ça ne s’est pas maintenu par la suite. Pendant les vagues subséquentes, les télétravailleurs étaient moins engagés que les autres dans leur travail et avaient plus l’intention de quitter leur emploi, ce qui est un indicateur de faible productivité. On pense que ça pourrait s’expliquer par le fait que le premier confinement a permis à certaines personnes de souffler un peu, mais qu’ils auraient fini par se tanner de l’isolement par après», relate-t-elle.
Malgré les apparences, cependant, il n’y a pas forcément de contradiction entre ces deux études — qui n’ont pas encore été publiées dans des revues savantes dans le cas de Mme Biron, notons-le. En fait les deux peuvent être vraies, mais chacune pour un type d’échantillon en particulier. Mme Biron décrit le sien comme étant largement représentatif de la population en général, alors que Mme Parent-Lamarche a pour sa part étudié des employés de «PMO» (petites et moyennes organisations). «Ça pourrait être des travailleurs qui ont un plus grand besoin d’affiliation sociale parce qu’ils sont habitués à une certaine proximité avec leurs collègues», suggère Mme Parent-Lamarche pour expliquer les écarts entre ses résultats et ceux de Mme Biron.
Dans tous les cas, cela montre bien à quel point les vertus (ou les inconvénients) du télétravail peuvent varier selon le contexte. Mme Parent-Lamarche a aussi trouvé dans une étude parue le mois dernier dans Evidence-Based HRM que les effets variaient selon le secteur économique, les travailleurs du secteur public semblant en bénéficier davantage.
Verdict
Pas clair. Il y a des études qui penchent des deux côtés, tant dans celles qui mesurent directement la productivité que chez celles qui en mesurent les déterminants (comme la santé mentale). Il semble que les effets, bénéfiques ou délétères, du télétravail dépendent beaucoup du contexte et de nombreux facteurs, ce qui pourrait expliquer les résultats un brin «éparpillés», pour ainsi dire.
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