Pour ma part, je pense au contraire que la publication de ce texte ne pouvait pas mieux tomber, car il exprime la nécessité de repenser le rôle et la formation des policiers, et plus largement notre système de sécurité publique. En fait, je constate surtout que l’idée d’abolir la police est très mal comprise. Pourtant, il suffisait de lire le texte en question pour comprendre que cette idée n’est pas aussi folle qu’il n’y paraît. En réalité, il ne s’agit pas d’abolir la police à proprement parler, mais de revoir son rôle et son financement. Le slogan Defund the police, souvent entendu lors de manifestations contre la brutalité policière, prend alors tout son sens. Mais qu’est-ce à dire exactement ? Et d’où vient cette idée ?
L’idée de « définancer la police » prend racine dans le contexte bien particulier des États-Unis et des tensions raciales qui l’animent. C’est effectivement lors des protestations suivant la mort de George Floyd qu’elle a été popularisée un peu partout aux États-Unis, mais aussi au Canada. Les membres de la communauté afro-américaine souhaitaient ainsi exprimer leur méfiance à l’égard des forces policières, mais aussi proposer une réflexion plus large. Car si cette idée est d’abord liée au mouvement Black Lives Matter, elle n’en est pas moins valable dans différents contextes.
Il est important de répéter qu’en dépit des critiques et des caricatures dont il est l’objet, le slogan Defund the police ne propose pas réellement d’abolir la police. Il s’agit plutôt d’imposer un changement de culture au sein des forces policières, et par ailleurs de couper une partie de leur budget afin de réinvestir ces fonds dans divers programmes sociaux et de prévention. Autrement dit, il s’agit d’attaquer le problème à sa source plutôt qu’adopter une approche de répression, laquelle a largement démontré son inefficacité.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que la criminalité et la violence n’apparaissent pas de nulle part, sans raison, mais sont au contraire le résultat des inégalités socio-économiques qui rongent notre société. Ce n’est donc qu’en s’attaquant à ses causes structurelles et systémiques que nous pourrons obtenir des résultats concrets et durables. Mais cela ne se fera pas en un jour. Ce sera un processus lent et difficile, mais néanmoins nécessaire. Concrètement, ce dont nous avons le plus besoin dans notre société, ce n’est pas davantage de policiers dans nos rues, mais d’organismes communautaires et d’intervenants psychosociaux sur le terrain afin de venir en aide aux personnes en situation de vulnérabilité et d’exclusion, ou encore pour établir des liens de confiance avec les jeunes issus des milieux défavorisés.
Évidemment, un tel projet peut sembler trop ambitieux, voire utopique, mais il s’appuie pourtant sur de nombreuses études qui démontrent que pour lutter contre la criminalité et la violence, les approches positives et préventives basées sur la diminution des inégalités socio-économiques sont bien plus efficaces que la répression. Tout cela n’est d’ailleurs pas sans rappeler la Stratégie canadienne sur les drogues et autres substances, une approche globale et collaborative axée sur la santé publique et sur des données probantes.
Finalement, le message est on ne peut plus clair : pour combattre efficacement et durablement la criminalité et la violence, il ne s’agit pas simplement de chercher à attraper et punir les « méchants », mais surtout de faire de l’éducation et de la prévention. Il n’a cependant jamais été question de carrément abolir la police. D’ailleurs, personne ne s’illusionne sur le fait qu’il y aura toujours de la criminalité et de la violence, donc que nous aurons toujours besoin d’une police. Il n’en demeure pas moins qu’un profond changement de culture s’impose.