Les faits
La vidéo que me soumet Mme Perreault est une tirade sous-titrée en français de l’animateur de Fox News (et relayeur fréquent de désinformation sur toutes sortes de sujets) Tucker Carlson, qui affirmait il y a quelques mois que les vaccins contre la COVID nuiraient au bon fonctionnement du système immunitaire. Il y a littéralement des centaines d’études qui ont été publiées depuis le tournant de 2021 sur l’efficacité et les effets secondaires associés aux vaccins anti-COVID, mais M. Carlson n’en cite que deux — et pas d’une manière exemplaire, disons.
La première est un article paru en juin dans Food and Chemical Toxicology qui propose des mécanismes théoriques par lesquels les vaccins à ARN-messager (soit ceux de Pfizer et de Moderna) pourraient possiblement, peut-être, en principe, causer des effets secondaires graves. Plusieurs de ses auteurs, il vaut la peine de le noter, trainent derrière eux un lourd passé de désinformation. Stéphanie Seneff, par exemple, est une chercheuse en informatique — ceci n’est pas une erreur : pas virologie, pas immunologie, pas épidémiologie, mais bien informatique — qui s’est «bâti» une sulfureuse réputation en science en liant de manière extraordinairement spéculative le glyphosate, un herbicide, à l’autisme et à toute une série de maux modernes. De même, Dr Peter McCullough, un cardiologue américain, a multiplié les déclarations publiques antivaccin et/ou en faveur de «remèdes» contre la COVID, comme l’hydroxychloroquine et l’ivermectine, même après qu’il eut été démontré qu’ils n’avaient aucune efficacité.
Leur article dans Food and Chemical Toxicology a été dénoncé à de nombreuses reprises comme étant de la pure spéculation et certains chercheurs, comme le professeur d’oncologie (le texte fait aussi des «liens» avec le cancer) à l’Université de Bordeaux Jacques Robert, ont même demandé sa rétractation. Essentiellement, tous ces gens reprochent à l’article de ne présenter pratiquement aucune donnée sur les vaccins eux-mêmes, mais de partir d’études au sujet des effets néfastes d’autres vaccins ou de la protéine de spicule du virus lui-même (alors que les vaccins à ARNm en présentent une version modifiée) et d’en étendre, sans motif raisonnable, les conclusions aux vaccins anti-COVID.
M. Carlson ne mentionne aucune de ces critiques, mais parle de cette «étude» comme d’une preuve scientifique solide.
L’autre étude sur laquelle il s’appuie est le commentaire d’un chercheur japonais, Kenji Yamamoto, paru en juin lui aussi dans le Virology Journal [http://bitly.ws/v7ox]. M. Yamamoto prend pour point de départ une étude de The Lancet et en conclut que les vaccins contre la COVID entraîne une baisse de la fonction immunitaire au bout de 8 mois. Or quand on lit l’article du Lancet [http://bitly.ws/v7oF], on se rend vite compte qu’il ne dit absolument rien de tel. Tout ce qu’il a mesuré, c’est une baisse graduelle de l’efficacité des vaccins contre les infections au SRAS-CoV-2 (toutes gravités confondues) pendant les 9 mois suivant la deuxième dose, et que cette baisse était concentrée chez les gens âgés mais que la protection contre les formes graves se maintenait mieux. Il n’y a rien d’anormal à ce qu’un vaccin bloque moins bien les infections au bout d’un certain temps puisque le corps finit par produire moins d’anticorps.
Entre ça et l’affaiblissement généralisé du système immunitaire que propose M. Yamamoto, il y a un fossé absolument immense que rien ne lui permettait de franchir. Au contraire, The Lancet concluait que «ces résultats renforcent le niveau de preuve en faveur de l’administration d’une troisième dose en tant que rappel». Alors le chercheur japonais, qui n’en était d’ailleurs pas à ses premières faussetés anti-vaccin [http://bitly.ws/v7pJ], a clairement tordu les évidences qu’il présente.
De cela non plus, M. Carlson ne dit rien — et les auteurs de la vidéo qu’a vue Mme Perreault se sont apparemment contentés de traduire ses propos sans rien valider.
De manière générale, «il est farfelu de dire qu’un vaccin peut diminuer l’efficacité du système immunitaire, dit Denis Leclerc, chercheur en immunologie à l’Université Laval. Un vaccin, c’est par définition pro-inflammatoire, il faut que ça active ton système immunitaire pour bien fonctionner. À ma connaissance, il n’y a pas d’exemple de ça [une baisse généralisée de l’immunité causée par un vaccin, ndlr] dans la littérature scientifique».
Même son de cloche du côté de Dr André Veillette, clinicien-chercheur en immunologie à l’Institut de recherche clinique de Montréal : «Ce que les vaccins font, et surtout les vaccins à ARNm, c’est d’induire une réponse immunitaire. C’est une réponse plutôt inflammatoire, c’est pour ça que ces vaccins-là vont provoquer de la fièvre, des rougeurs, etc., et aussi de rares cas de myocardites. Mais il n’existe aucune évidence de gens chez qui ça affaiblir la fonction immunitaire.
«Cette obsession-là qu’on voit chez certains vient du fait que si tu stimules continuellement le système immunitaire, alors là oui, il peut finir par montrer des signes d’épuisement, poursuit Dr Veillette. Mais ça, on voit ça dans des cas d’infection chronique comme le VIH ou dans certains cas de cancers. Là, le système immunitaire va être stimulé 24h sur 24 pendant des mois, et c’est à ce moment-là qu’on peut voir des signes d’épuisement de nos cellules immunitaires. Mais dans le cas des vaccins, on parle plutôt d’une fois aux six mois pour ceux qui vont chercher leurs rappels, l’ARN du vaccin est rapidement dégradé et la protéine de spicule [du vaccin] disparaît rapidement elle aussi, alors ça ne peut pas épuiser le système immunitaire.»
Verdict
Complètement faux. Des deux articles savants cités par Tucker Carlson, l’un est purement spéculatif et l’autre est basé sur une interprétation totalement abusive d’une autre étude, sur la perte d’efficacité des vaccins anti-COVID au bout de quelques mois. Aucun de deux n’a convaincu grand-monde dans la communauté scientifique — ils ont plutôt été dénoncés comme des travaux de piètre qualité servant à donner une apparence de crédibilité aux thèses anti-vaccin.
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