Si je vous parle de tout ça, c’est bien évidemment en raison de l’immense succès de la série Dahmer, sur Netflix. Dahmer raconte l’histoire de Jeffrey Dahmer, un tueur en série américain surnommé « le cannibale de Milwaukee ». Personnellement, je ne connaissais pas Dahmer, j’étais donc curieux de découvrir son histoire. Et à ma grande surprise, je n’ai pas seulement découvert l’histoire de Dahmer, mais aussi — et peut-être même surtout — celles de ses victimes et des familles touchées par ses crimes. C’est d’ailleurs là la principale force de cette série : ce n’est pas seulement le récit d’un tueur, c’est aussi un véritable drame social. Ainsi, en plus de la psychologie du tueur, des thèmes comme le racisme systémique et le « privilège blanc » serviront de trame de fond à la série. Bref, je recommande !
Mais pourquoi sommes-nous autant fascinés par les tueurs en série, et plus largement par ce qui nous dégoûte ? Est-ce malsain ? Il n’y a pas de réponse claire à ces questions, mais tout indique que si nous aimons les histoires de tueurs en série, c’est notamment parce que nous sommes curieux de comprendre ce qui se passe entre leurs deux oreilles. Autrement dit, nous souhaitons comprendre ce qui peut bien pousser des êtres humains à commettre de telles atrocités. Les personnages « déviants » nous permettent aussi de nous rassurer sur notre propre normalité.
En un sens, cette fascination morbide n’est pas sans rappeler notre propension à aimer avoir peur, ce qui peut paraître étrange et paradoxal quand on y pense. En effet, pourquoi sommes-nous attirés par ce qui nous dégoûte et nous fait peur ? Possiblement parce que la peur est une sorte de système d’alarme, un réflexe de survie qui se doit d’être régulièrement activé afin de demeurer « à jour ». En jouant ainsi sur nos peurs (ou en jouant à avoir peur), nous nous assurons donc que notre système d’alarme fonctionne bien, un peu comme lorsque nous testons notre détecteur de fumée pour nous assurer qu’il effectue bel et bien son travail lorsque nécessaire.
Mais qu’est-ce qu’un tueur en série ? L’expression « tueur en série » vient de l’agent du FBI Robert Ressler, criminologue spécialisé dans le profilage psychologique. C’est lui qui a inspiré le personnage de Bill Tench dans la série Mindhunter (autre série que je vous recommande chaudement). Typiquement, le tueur en série commet une série de crimes qui, s’ils ne sont pas interrompus par leur arrestation ou autres motifs, risquent de se perpétuer dans le temps. Et contrairement aux crimes passionnels et vénaux, les tueurs en série agissent compulsivement en s’en prenant à des victimes qu’ils ne connaissent généralement pas, sans raison apparente. Il y a cependant des « patterns », qui constituent en quelque sorte la signature du tueur en série. Aussi dérangé psychologiquement soit-il, le tueur en série a habituellement un modus operandi. Celui-ci est aussi sa principale faiblesse, car en reproduisant compulsivement des crimes similaires, il devient « profilable », donc un peu plus prévisible.
Les tueurs en série sont-ils des « monstres » ? D’entrée de jeu, rappelons qu’expliquer n’est pas excuser. Considérant la teneur des crimes perpétrés par ces individus, il peut être tentant de les déshumaniser. Au fond, si les tueurs en série n’étaient que des monstres ou le Mal à l’état pur, cela nous épargnerait de devoir chercher à les comprendre, voire à ressentir de l’empathie pour eux. Mais ce serait passer à côté d’une formidable occasion. Voici quelques faits :
- Plus de 90 % des tueurs en série sont des hommes ;
- Plus de 80 % d’entre eux sont des individus blancs de type caucasien ;
- 60 % d’entre eux avaient moins de 30 ans lorsqu’ils ont commis leur premier crime.
De toute évidence, les tueurs en série ne sont pas des créations ex nihilo, mais bien le produit de leur environnement familial et/ou social. Bien que ça ne soit pas systématique, plusieurs d’entre eux ont par ailleurs subi des sévices sexuels ou des déviances physiques ou morales dans l’enfance, ce qui tend à expliquer pourquoi ils reproduisent la même chose à l’âge adulte, sous une forme amplifiée. Quant aux troubles mentaux innés, ils ne concernent apparemment qu’une infime minorité de tueurs en série. Des études ont été menées sur le cerveau de certains d’entre eux, notamment John Wayne Gacy, et les analyses n’ont rien révélé d’anormal. Autrement dit, on ne naît pas tueur en série, on le devient.
Quoi qu’il en soit, notre fascination pour les tueurs en série n’a rien d’anormal ou de malsain, bien au contraire. Il s’agit de se questionner, individuellement et collectivement, sur les racines du mal. Et l’enjeu est majeur, car ce n’est qu’en comprenant mieux les tueurs en série, et plus particulièrement les déterminants de leurs crimes, que nous parviendrons peut-être à les prévenir.