«La complexité est un défi à la connaissance, à la pensée, à l’action. Notre réalité, qu’elle soit physique, biologique ou sociale, est un cocktail étrange d’ordre, de désordre et d’organisation.» (Extrait de la Conférence inaugurale qu’Edgar Morin a prononcée au Congrès mondial pour la pensée complexe, à l’UNESCO, 2016.)
À l’approche du vote crucial du 3 octobre, il est grand temps de contribuer à la mise en perspective de quelques éléments fondamentaux. Ces derniers constituent en quelque sorte des propositions venant s’intégrer à un socle sur lequel nous pouvons appuyer une décision à prendre. Je vais les ancrer autour de trois questions.
1. La liberté semble être centrale, du moins pour une formation politique. Mais de quelle liberté est-il question?
2. L’économie semble être capitale dans le débat… mais de quelle économie parle-t-on?
3. Le pronom personnel utilisé par bon nombre de candidats à la fonction de premier ministre, est le «je». Pourquoi le «je» occupe-t-il autant de place dans l’espace collectif?
La liberté?
Voilà une notion réfléchie par l‘humanité depuis des siècles. Les philosophes, le champ des sciences humaines, la littérature sont quelques-uns des secteurs porteurs de cette résonnance, déterminante dans l‘expérience humaine, à la fois sur un plan individuel et collectif. La liberté comme source d’expression du «je-à-tout-prix» qui impose ses lignes de pensée? Attention! La liberté, levier pour le retrait de l‘État, le désengagement étatique, la promotion d’un monde libertarien, voire un tantinet chaotique? Attention!
Nommons un chat un… chat! La liberté couvre un spectre très large au point de vue de la sémantique. Elle est inévitablement à mettre en corollaire avec le fait que nous vivons en société, en collectivité, en communauté humaine, avec du vivant autour de nous. À vrai dire, je ne suis pas une personne seule, vivant sur une île déserte à exprimer MA liberté.
Je conclus cette courte réflexion sur un appel de Rawls, philosophe américain, qui avance que «chaque personne a une même prétention indéfectible à un système pleinement adéquat de libertés de base égales, qui soit compatible avec le même système de libertés pour tous – pour toutes.» Cet appel est clair; exercer sa liberté, c’est un acte qui doit bien entendu s’effectuer sur une base individuelle, mais également, sur une base collective, avec rigueur, ouverture, dans la recherche d’équilibre entre soi et l’autre.
L’Économie?
Tout pour l’économie? Ici, nous nous situons dans le combat des chiffres, largement répandu chez les leaders politiques… Plus ou moins de nouveaux arrivants pour combler les emplois? Pénurie de main-d’œuvre et hausse des salaires à venir? Créer de la richesse, mais pour qui? Le discours économique occupe beaucoup de place dans l’espace public. Cela s’effectue notamment au détriment du champ de la culture, déjà relayé dans l’ombre du sacré Temple du sport. L’économie vient également positionner au second rang toutes les questions écologiques. Pourtant, dans l‘acception générale, écologie et économie réfèrent à des mouvements assez proches, voire interdépendants. «Écologie», composé du grec «maison» et «discours» (CRNTL) correspond à ce lien indéfectible entre le Vivant-Humain et le Vivant-Nature, et «économie», faisant davantage référence à l’«ordre par lequel les choses sont administrées» (CRNTL). Ces deux mots demeurent fondamentalement liés. L’un doit nécessairement amener l’autre, soit l’existence de la maison et la façon dont elle est «administrée».
Il nous faut de ce fait ouvrir l’économie sur l’écologie. Des emplois, bien entendu, pour permettre à l’humain d’occuper une fonction citoyenne, avec des conditions de travail décentes et des salaires permettant de vivre, cela dans des écosystèmes protégés, pour lequel le Vivant-Nature occupe une place majeure, à préserver.
JE ou nous?
Ici, il s’agit d’une question fond que je vais toutefois aborder succinctement. Un leader se devrait de prendre la parole au nom d’un mouvement, au nom d’autres personnes, ayant le mandat de le faire. Du «je» répété de l‘un avec grande insistance, à tout hasard premier ministre sortant, et chez l’autre, affirmant un «je pense que…» fort et engagé, le «je» est-il toujours nécessaire? Le «je» ne devrait-il pas parfois céder la place au «nous», le «nous» d’un collectif agissant, réflexif, interpellant…? Le politiste Philippe Braud ramène à notre réflexion qu’«en politique, plus encore qu’ailleurs dans la vie sociale, les mots sont des actes». (L’apport de la science politique à l’étude des langages du politique, 2010). Dans ce contexte de recherche de cohérence et de fidélité entre parole et action, les leaders politiques devraient voir à nous proposer des réflexions plus intimes, issues d’une personne portée par un «je», mais également des prises de paroles qui viennent s’ancrer plus largement, dans une espace de recherche collective, de cohérence d’un ensemble plus large que le seul «je», un «nous» assumé.
Sur ce, bon vote le 3 octobre. Il faut y participer en grand nombre, jeunes et moins jeunes.