«On est très complémentaires. J’amène les opportunités d’affaires et Emmanuelle fait en sorte que ça s’intègre parfaitement dans les opérations», résume Julie Rainville dont le rôle est justement orienté vers les ventes et le développement des affaires. «Julie s’occupe de tout ce qui est à l’extérieur de la boîte, et moi ce qui est à l’intérieur», illustre pour sa part Emmanuelle qui voit donc davantage à l’administration de cette entreprise de Saint-Mathias-sur-Richelieu, en Montérégie, spécialisée dans la fabrication et la location de plateformes de travail, d’ascenseurs de chantier ou de monte-charges.

Deux têtes valent mieux qu’une

Pourtant, leur père Armand ne croyait pas aux bienfaits d’une direction bicéphale, trop risquée selon lui, et voulait qu’une seule de ses filles, Emmanuelle, assume la présidence. Emmanuelle et Julie tenaient mordicus à être présidentes ensemble.

«On a été challengé, des gens nous disaient que ça ne fonctionnerait pas, que c’est parce que je n’étais pas capable d’assumer mon leadership. Mais je voyais tout le potentiel de ce qu’on pouvait accomplir en étant les deux ensemble», souligne Emmanuelle. Et non seulement d’un point de vue professionnel. «On s’est aussi beaucoup entraidé comme femmes, comme mères de famille ayant chacune quatre enfants», renchérit Julie.

Six ans après leur accession à la coprésidence de l’entreprise, Emmanuelle et Julie Rainville perpétuent les valeurs de respect, de bienveillance et d’humilité véhiculées par leur père. «Elles souhaitent faire briller l’entreprise et les employés, bien avant elles-mêmes. Elles donnent la chance aux gens de se réaliser, de se démarquer», commentent des employés de l’entreprise.

Une gestion participative

Peu après son arrivée dans l’entreprise familiale, en 1999, Emmanuelle et son père ont mis en place un programme de gestion participative. «On voulait créer une force humaine, une culture familiale qui amènerait tous les employés à être davantage impliqués dans la croissance de l’entreprise», explique Emmanuelle Rainville.

Encore aujourd’hui, les quelque 140 employés sont très au fait de ce qui se passe dans l’entreprise, alors qu’ils sont notamment informés de sa situation financière et de son budget. Ils décident aussi de leurs propres salaires et horaires de travail, des avantages sociaux et choisissent leurs chefs d’équipe.

Ainsi est né, il y a une quinzaine d’années, le projet de la garderie Fraco Mousses implantée dans un bâtiment historique délabré qui a été rénové bénévolement par des dirigeants et employés. Cette garderie comble non seulement les besoins des parents-employés de Fraco, mais sert aussi à d’autres familles de la communauté, certaines en situation plus vulnérable.

Redonner au suivant

Emmanuelle Rainville s’est aussi impliquée dans le développement d’une coopérative de solidarité, Lucioles, qui soutient les parents vivant certaines difficultés en offrant notamment des services d’orthophonie aux enfants de 0-5 ans afin de les aider à mieux intégrer le système scolaire. Julie Rainville, pour sa part, a participé l’an dernier à la Route des Possibles, un programme qui amène des femmes d’affaires à être des mentores auprès de jeunes femmes en situation de précarité ayant un intérêt pour l’entrepreneuriat.

«C’est important, comme entrepreneure, de s’impliquer dans la communauté. De créer de la richesse pour la redonner au suivant», souligne Emmanuelle Rainville. «On peut avoir des valeurs humaines et faire des profits», ajoute Julie Rainville. La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre, dit l’adage qui s’applique parfaitement aux soeurs Rainville dont le père est souvent qualifié de «socialiste». Elles ont d’ailleurs baigné dans cet univers depuis leur tout jeune âge, alors que leur père monoparental gérait au début une entreprise de construction dans la maison familiale qui hébergeait aussi une dizaine de maçons venus de la Gaspésie.

Emmanuelle et Julie Rainville, qui ont remporté le prix Leadership, Femme d’exception lors du dernier concours des Mercuriades, ont aussi appris à évoluer dans une industrie majoritairement masculine. «Le secteur de la construction est encore très macho, Il n’y a pas de problèmes avec nos employés, mais surtout avec des clients ou fournisseurs. Et principalement aux États-Unis et en Europe, alors que les mentalités ont évolué pour le mieux au Québec», constatent-elles. De mauvaises expériences dans le passé font d’ailleurs en sorte qu’elles n’acceptent plus de repas en tête-à-tête avec un client et ne veillent jamais tard aux foires et expositions professionnels auxquelles elles assistent.

+ 3 questions à Emmanuelle et Julie Rainville

1.Quel est le meilleur conseil que vous avez reçu ou que vous aimeriez avoir reçu?

«Le meilleur conseil que nous avons reçu, qui vient de notre père, est de toujours nous référer à nos valeurs dans la prise de décision et dans le choix de nos partenaires et employés. En nous référant à nos valeurs, nous sommes en paix avec les décisions prises, même lorsque le résultat n’est pas nécessairement ce que nous avions souhaité. Celui que nous aurions aimé avoir reçu : Ne jamais garder quelqu’un parce que tu penses qu’il est irremplaçable!»

2. Qu’est-ce qui vous motive, comme entrepreneures, comme dirigeantes?

«Ce sont les humains et les projets que nous réalisons ensemble. Nos clients, notre équipe, nos partenaires, nos fournisseurs… c’est pour eux que tout ça fait du sens! Ce sont les projets d’envergure que nous réalisons avec les défis techniques que notre équipe sait si bien surmonter!»

3. Quel souvenir souhaitez-vous laisser de votre parcours d’entrepreneures?

«L’esprit d’équipe, les relations que nous avons créées à travers le temps, la transparence et l’intégrité.»

En collaboration avec l’École d’Entrepreneurship de Beauce