Chronique|

Un sujet trop délicat

En allant affirmer lors d’un débat la semaine dernière devant des gens d’affaires à Trois-Rivières que 80% des immigrants s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français et n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise, Jean Boulet s’est attiré les foudres de tous les partis et même de son propre chef.

CHRONIQUE / Si je prononce le mot immigration, allez-vous arrêter de lire cette chronique?


Je pose la question parce que durant cette campagne électorale, chaque fois qu’on a abordé le sujet de l’immigration, soit que quelqu’un s’est placé dans une position délicate, soit qu’on a lancé des promesses qui n’ont pas de sens, soit qu’on a avancé des chiffres peu crédibles ou soit que le sujet soit trop délicat pour en débattre.

Pourtant, s’il y a un sujet important, que l’on doit aborder, c’est celui de la présence d’immigrants au Québec. Surtout lorsqu’on regarde notre taux de natalité. Et pas seulement chez nous, mais dans la plupart des grandes démocraties à travers le monde.



Mais ce qui m’agace le plus, c’est qu’on n’est jamais capable de s’en parler correctement. On n’a pas la maturité pour discuter de ce sujet, sans que ça vire au psychodrame.

La déclaration de Jean Boulet sur l’immigration est pour moi l’exemple parfait. En allant affirmer lors d’un débat la semaine dernière devant des gens d’affaires à Trois-Rivières que 80% des immigrants s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français et n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise, il s’est attiré les foudres de tous les partis et même de son propre chef.

Mais regardons les chiffres ensemble. Je regardais les chiffres de 2004 de l’Institut de la statistique, sur l’arrivée des immigrants au Québec. Ils étaient 85% à choisir Montréal comme ville d’adoption. En 2017, ils étaient 78% à faire le même choix. En 2020-2021, 65% des immigrants se sont installés sur l’île de Montréal. Si on tient compte des agglomérations de Longueuil et Laval, cette proportion passe à 77%.

Avouons qu’on n’est pas si loin du 80% avancé par M. Boulet.



Pour ce qui est de la langue française, 77% de ceux qui choisissent Montréal ont une connaissance du français. Dans le reste du Québec, ça monte à 89%.

Je vais nuancer ici par contre. Avoir une connaissance du français est bien différent de la maîtriser et de vivre dans cette même langue.

Pour ce qui est du taux d’emploi des immigrants, c’est là où la déclaration de Jean Boulet fait mal. Il est faux de prétendre que la plupart des immigrants ne travaillent pas: 65,2% des immigrants ont un emploi, comparativement à 63,7% pour le reste de la population.

Allons dans une autre direction. Mon collègue Alexis Samson disait cette semaine au 106,9, que si la phrase était aussi scandaleuse qu’on le prétend depuis trois jours, pourquoi aucun candidat sur le même panel que M. Boulet, lors du débat, ne l’a repris ou questionné?

Il a raison.

Pourquoi ça aura pris une semaine avant que ses propos fassent grand bruit? Pourquoi aucun journaliste qui couvrait le débat électoral n’a cru bon en faire mention? Avouons que la question se pose n’est-ce-pas?



Mais revenons au sujet tabou qu’est l’immigration. Et ça ne date pas d’hier.

Pendant des années, on a refusé de parler d’immigration.

La déclaration de Jacques Parizeau sur le vote ethnique, après la défaite du référendum, avait fait des ravages.

Combien de fois avons-nous subi des commentaires disgracieux de la part de certains de nos compatriotes au pays, à l’effet que nous étions des racistes et des xénophobes?

La crise des accommodements raisonnables nous a permis d’en reparler enfin, avant que le code de vie d’Hérouxville nous fasse très mauvaise presse encore une fois. Nous étions à nouveau les pas fins qui ne voulaient pas accueillir d’étrangers sur nos terres.

Triste constat.

Pourtant, le Québec est une terre d’accueil extraordinaire. Et la province a toujours été une terre d’immigration.

Des exemples de gens, venus des quatre coins du monde, qui ont choisi le Québec pour s’y établir et qui mènent une vie heureuse, sont nombreux.



Entre 2012 et 2017, la majorité des immigrants provenaient de pays comme la Chine, la France, l’Inde et l’Algérie. Ceux qui ont choisi le Québec entre 2007 et 2016, arrivaient d’Haïti, des Philippines, de la Tunisie, de l’Iran, du Congo, du Maroc, de la Moldavie et de la Côte d’Ivoire.

Des nouveaux arrivants qui, pour la plupart, parlent français à leur arrivée.

Plusieurs d’entre eux habitent Montréal. C’est vrai. Les chiffres le disent. Par contre, plusieurs régions du Québec se sont dotées de politiques d’immigration pour attirer ces gens dans nos régions.

Le but premier est de les attirer ici, de les intégrer le plus rapidement possible, pour qu’ils acceptent de s’établir ici à long terme.

Malheureusement, plusieurs régions ont manqué de ressources pour accompagner ces personnes dans leur processus d’acclimatation. Les organismes font pourtant de petits miracles, compte tenu des budgets disponibles.

Au cours de la première année de son mandat, le gouvernement de la CAQ avait annoncé un investissement supplémentaire de 70 millions $ pour l’accueil des nouveaux arrivants.

Le problème est qu’avec la pénurie de main-d’oeuvre, les besoins sont encore plus présents. Les entreprises ne savent plus vers qui se tourner pour recruter du personnel. Mais la paperasse est compliquée. Les délais sont longs au fédéral.

Êtes-vous surpris?

Je veux bien qu’on accueille plus d’immigrants d’année en année, mais assurons-nous que nous le faisons pour le bien de notre province, mais aussi pour le bien de ces gens, qui ne demandent qu’à s’intégrer, qu’à vivre ici, chez nous, dans ce qui sera leur futur chez-eux.

Et essayons de voir l’immigration comme un atout pour notre société et non pas comme une épine dans le pied.

Ce serait un début.