Mort de Joyce Echaquan: «Il y a encore du travail à faire»

Joyce Echaquan est décédée le 28 septembre 2020.

Il y a deux ans jour pour jour, Joyce Echaquan publiait une vidéo sur les réseaux sociaux, en direct de l’hôpital de Joliette, où elle recevait une pluie d'insultes de certains membres du personnel soignant. Le décès de la mère Atikamekw a bouleversé la province. Deux ans plus tard, il y a eu du chemin parcouru, mais il en reste encore à faire selon les différents intervenants rencontrés par Le Nouvelliste.


«Il y a encore du travail à faire. C’est une journée pour se rappeler qu’on doit continuer d’avancer», lance le chef de la communauté de Manawan, Sipi Flamand.

Le sujet est encore déchirant après deux ans. Le décès de Joyce Echaquan et les soins de santé à l’hôpital de Joliette sont même revenus en force durant la campagne électorale. François Legault avait déclaré lors du premier débat que la situation était «réglée» à l’hôpital où la femme autochtone est décédée. Il avait également accusé la communauté Atikamekw de ne pas vouloir régler le problème dans les jours qui ont suivi. Le chef caquiste a présenté des excuses quelques jours plus tard au mari de Joyce Echaquan, Carol Dubé. Il faut dire que les propos de M. Legault avaient été vivement dénoncés par les Atikamekws et par M. Dubé.

Le chef de la communauté de Manawan n’a pas manqué de rappeler les recommandations du rapport de la coroner Géhane Kamel à la suite aux audiences publiques sur les circonstances entourant la mort de Joyce Echaquan.

«Il y a celle qui demande au gouvernement de reconnaître le racisme systémique, mais aujourd’hui, le gouvernement sortant n’a toujours pas endossé ce mot-là. En même temps, la communauté de Manawan et la nation Atikamekw ont développé le principe de Joyce. On demande au prochain gouvernement de l’adopter et de le mettre en œuvre afin d’apporter des changements et des améliorations dans le réseau de santé publique tout en mettant de l’avant la sécurisation culturelle», souligne Sipi Flamand.

Sipi Flamand est le chef du Conseil des Atikamekw de Manawan.

«On tend la main au gouvernement pour travailler ensemble», insiste-t-il.

Il y a eu du chemin parcouru depuis le 28 septembre 2020 et on reconnaît certaines améliorations, certes, mais on est encore loin du but selon les intervenants.

«Les gens dénoncent plus, ils s’affirment plus. Les choses changent tranquillement. Peut-être pas à la vitesse qu’on voudrait, mais on voit qu’il y a une conscientisation, que les gens sont curieux sur la question autochtone, qu’ils veulent comprendre… C’est un des effets positifs. […] On sent qu’il y a une main tendue et une recherche de vérité», note Constant Awashish, grand chef du Conseil de la nation Atikamekw (CNA).

La population de la province avait subi un «énorme choc» lors des événements en 2020. Une prise de conscience «qui était nécessaire» et qui maintenant doit continuer de servir à corriger la situation selon la directrice générale du Centre d’amitié autochtone de La Tuque.

«C’est triste qu’une femme soit décédée dans ces circonstances pour faire avancer les choses. On avait déjà dénoncé la situation auparavant […] Les gens ont été vraiment secoués et ils ont vu à ce moment-là qu’il y avait un problème dans les services publics», commente Laurianne Petiquay.

«En même temps ça a ouvert une porte parce que ça devenait urgent. À différents niveaux, les gens étaient ouverts et conscients qu’il y avait un problème. Ils voulaient agir. […] On a été très sollicité par plusieurs partenaires. On a aussi vu une reconnaissance de l’importance de notre expertise et de notre savoir-faire. Je crois que ce n’est pas fini. Il faut davantage travailler ensemble, il ne faut pas seulement être consulté. Il faut construire les initiatives ensemble», plaide-t-elle.

Le travail s’est amorcé, mais il doit se poursuivre selon elle. Une vision partagée par le grand chef du Conseil de la nation Atikamekw.

«Avec le gouvernement provincial, c’est difficile. On a présenté le principe de Joyce qui est basé sur notre expérience, la doctrine, la littérature, des experts, des rapports d’enquêtes… Malheureusement, il y a quelqu’un qui a parti un débat sur un mot et on est pris dans ce tourbillon-là. […] On ne va pas travestir notre document pour des raisons politiques», commente Constant Awashish en ajoutant que plusieurs organisations avaient déjà adopté le principe de Joyce.

«Il y a encore beaucoup de travail à faire pour la sensibilisation et l’éducation. Ça fait 150 ans qu’on nourrit des préjugés face aux autochtones, ça ne s’en ira pas du jour au lendemain», ajoute-t-il.

Constant Awashish souhaite que toutes les énergies soient mises sur l’amélioration des services aux autochtones.

Constant Awashish est le grand chef du CNA.

À Manawan, les élus ont décrété un jour férié pour permettre à tous les membres de la communauté d’honorer la mémoire de Joyce Echaquan et de se recueillir. Des activités sont prévues toute la journée dont une marche et l’inauguration d’un panneau honorifique au nom de Joyce.

«C’est une journée de commémoration et on demande à toute la communauté de Manawan de se mobiliser pour cette journée et de porter un vêtement de couleur mauve. C’est une journée pour parler d’elle, de son vécu… On veut célébrer la vie qu’elle menait dans la communauté», affirme le chef Flamand.

Formation sur les réalités autochtones


Alors que la nation Atikamekw est en mode recueillement et qu’elle travaille sur la suite des choses, dans le réseau de la santé on met en œuvre des mesures pour améliorer les relations avec les membres des Premières Nations.

Les travailleurs de la santé et des services sociaux du CIUSSS MCQ ont suivi la formation obligatoire sur les réalités autochtones qui avait été ordonnée par le gouvernement après la mort tragique de Joyce Echaquan. C’est plus de 75% du personnel qui a complété la formation d’une durée de 1h45.

«C’est vraiment une entrée en matière, c’est un éveil pour tous les employés du réseau […] Ce que l’on a comme retour des employés c’est souvent que c’est un rappel nécessaire de choses qu’on oublie. On parle de l’historique de la colonisation, des pensionnats…», indique Jennifer Petiquay-Dufresne, conseillère-cadre aux services autochtones et à la sécurisation culturelle du CIUSSS MCQ.

«Je pense que la formation ne répond peut-être pas à tous les besoins de tous les établissements, mais je pense qu’elle a été montée comme un coup d’envoi sur les connaissances de base sur lesquels on veut partir pour aller plus loin», ajoute-t-elle en précisant que les employés avaient une panoplie d’outils pour favoriser l'intégration de l'approche de sécurisation culturelle.

Elle reconnaît que le décès de Mme Echaquan a quand même «donné un genre coup de fouet au réseau» pour accélérer les actions sur le terrain.

Aucune plainte n’a été adressée à l’organisation concernant les formations, mais certains ont quand même fait savoir «qu’ils en auraient pris plus».

Plus tôt cette semaine, Radio-Canada dévoilait que des employés du réseau de la santé avaient manifesté un certain malaise concernant cette formation.

Le chef de la communauté Atikamekw de Manawan Sipi Flamand croit que la formation pourrait être révisée puisqu’elle a été mise en place avant la tragédie de Joyce Echaquan.

«Ce serait nécessaire d’apporter des mises à jour […] Ça date d’une autre époque. Avec ce qu’il s’est passé le 28 septembre 2020, c’est un tout autre enjeu. Je pense que le gouvernement du Québec et les communautés autochtones doivent travailler ensemble pour revoir cette formation», note Sipi Flamand.

«Il y a certainement des choses à améliorer et il y a une opportunité de revoir tout ça à la lumière de la tragédie de Joyce Echaquan», ajoute pour sa part Constant Awashish.

Les actions du CIUSSS MCQ concernant la sécurisation culturelle et les réalités autochtones vont toutefois plus loin que la formation, plusieurs initiatives ont vu le jour dans les dernières années. Des accompagnatrices en sécurisation culturelle ont également joint les équipes de Shawinigan et de Trois-Rivières en juillet. Elles ont effectué pas moins de 150 accompagnements et une centaine de rencontres d’interprétation.

«Ça fait une énorme différence», estime Mme Petiquay-Dufresne.

La plus récente nouveauté, c’est une page web totalement traduit en Atikamekw, lancé dans le cadre de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.

«On l’a monté spécifiquement pour améliorer l’accès et favoriser le rayonnement des actions que l’on fait en sécurisation culturelle», note Jennifer Petiquay-Dufresne.