Chronique|

Au sujet de ces jeunes athlètes qui s’effondrent...

Le joueur danois Christian Eriksen s'est effondré sur le terrain lors du dernier tournoi olympique de soccer.

SCIENCE AU QUOTIDIEN / «Que pensez-vous de la théorie du blogueur Augustin Hamilton, qui parle d’un syndrome de mort subite qui surviendrait chez des personnes en pleine santé et qui ont été vaccinées contre la COVID ? Est-ce vérifiable ? Je suis vaccinée et confiante mais d’où sort-il ses chiffres ?», demande Paulette Tennier.


Ce Augustin Hamilton est un militant anti-avortement qui tient un blogue sur le site de la «Campagne Québec-Vie». La plupart de ses textes tournent autour de l’avortement et des droits LGBTQ, qu’il dénonce systématiquement, mais il lui est arrivé d’écrire sur les vaccins, qu’il accuse de provoquer une hécatombe. Et il s’inquiétait récemment de ce qu’il croit être une vague de décès subits chez de jeunes athlètes.

J’ai reçu, dernièrement, plusieurs questions sur ce thème général des jeunes ou d’athlètes professionnels qui s’effondrent subitement, chose qui est généralement mise sur le compte des vaccins contre la COVID, et en particulier ceux de Pfizer et de Moderna, à base d’ARN-messager (ARNm). Le mécanisme invoqué est toujours le même, et il a un certain fond de vérité (mais guère plus, comme on s’apprête à le voir) : ces vaccins viennent avec un risque faible, mais démontré et concentré chez les jeunes hommes, de faire une myocardite, soit une inflammation du muscle cardiaque. Et comme les myocardites sont connues pour entraîner, à l’occasion, des complications pouvant aller jusqu’au décès, les milieux anti-vaccins les accusent de tuer des milliers de jeunes gens en pleine santé.

M. Hamilton ne cite pas grand-chiffre dans le billet qu’il consacre à ce thème. Il invoque une étude israélienne qui faisait un lien entre les vaccins à ARNm et une hausse des appels d’urgence pour des problèmes cardiaques chez les 16-39 ans, mais le problème est que cet article a été complètement démonté aussitôt qu’il fut publié, essentiellement parce que ses auteurs faisaient comme si les constats notés par les ambulanciers étaient des diagnostics officiels alors qu’ils sont souvent contredits par les médecins traitants.

M. Hamilton cite également le nombre de 769 jeunes athlètes dans le monde qui se seraient effondrés en pleine compétition entre mars 2021 et mars 2022. Sa source est spectaculairement douteuse : il s’agit de Dr Joseph Mercola, un militant anti-vaccin notoire, qui lui même se fie sur une enquête de One America Network, un site web d’extrême-droite connu pour verser régulièrement dans la désinformation — et qui ne donne aucun détail sur la méthodologie employée pour en arriver au chiffre de 769 décès. Mais même en admettant qu’il y a bien eu plus de 750 jeunes adultes en pleine forme qui sont subitement morts au quatre coins de la planète, cela ne signifierait pas forcément qu’il y a quelque chose d’anormal.

C’est que la «mort subite du sportif», comme on l’appelle, est un phénomène connu en médecine. La plupart des fédérations sportives demandent maintenant aux équipes de prendre différentes mesures pour prévenir ces effondrements soudains et pour les traiter rapidement s’ils surviennent. Par exemple la FIFA, qui chapeaute le soccer à l’échelle mondiale, a commencé à travailler en ce sens dès 2003. Le phénomène survient au rythme d’environ un cas par 200 000 jeunes athlètes et par année, selon un survol de la littérature scientifique paru en 2010 dans la revue médicale Sports Medicine, Arthroscopy, Rehabilitation, Therapy and Technology. Les études n’arrivent pas toutes à ce chiffre en particulier, les taux varient considérablement — entre 1 par 50 000 et 1 par million — d’un article à l’autre, mais même en retenant le taux le plus faible, il ne faudrait que 769 millions de jeunes sportifs dans le monde pour avoir 769 cas de mort subite une année. Selon l’ONU, on comptait plus de 2,4 milliards de 15-34 ans sur la planète en 2021, alors il n’est pas déraisonnable de penser que le tiers d’entre eux font du sport — et je répète que j’ai utilisé ici une valeur extrême pour le taux de mort subite du sportif, qui exagère le caractère anormal de ce qui est observé.

Dans le même ordre d’idée, M. Hamilton brandit une statistique qui montrerait que le nombre de décès subits de joueurs comptabilisés par la FIFA aurait quadruplé en 2021. Il cite à l’appui le graphique d’un site douteux, Expose-News, qui a compté en moyenne 7,8 décès soudains de causes cardiovasculaires par année entre 2009 et 2020, mais pas moins de 31 en 2021 — et les vaccins anti-COVID sont bien évidemment montrés du doigt. Mais il y a tout de même un petit (OK, un énorme) problème avec ces données. Ces chiffres ne correspondent *pas du tout* à ceux de la FIFA, malgré ce qu’Expose-News en dit. En 2020, le British Journal of Sports Medicine a fait paraître une étude au sujet des morts subites liées à des problèmes cardiovasculaires consignées au registre de la FIFA de 2014 à 2018. L’article en comptait 174, alors qu’Expose-News n’en a recensé que 41. À 174 sur cinq ans, cela fait une moyenne de 34,8 par année, ce qui n’est pas inférieur aux 31 décès que ce site web décrit comme une catastrophe.

Pas étonnant, à ce compte, que la FIFA elle-même ait officiellement nié, à la fin de 2021, avoir observé quelque hausse que ce soit dans le nombre de ces décès subits sur les terrains de soccer.

Tout indique donc que M. Hamilton a cité des statistiques sans les comprendre et/ou sans évaluer convenablement la crédibilité de ses sources. Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter de ce qu’il avance dans ce texte — mais on peut sans doute rayer son nom de la liste des sources fiables d’information en santé.

Cela dit, pour tracer un portrait aussi complet que possible, il faut aussi mentionner qu’il n’est pas impossible que les vaccins à ARNm soient derrière un petit nombre d’arrêts cardiaques subits chez de jeunes athlètes. Comme je l’ai mentionné, ils sont connus pour causer des myocardites chez les jeunes hommes, même si c’est rare — ça varie d’une étude à l’autre, mais ça tourne généralement autour de 1 par 15 ou 20 000 pour la seconde dose, soit celle qui en provoque le plus. Sur les millions de doses qui ont été administrées aux quatre coins du globe depuis le début de 2021, on peut certainement penser qu’il y a eu des myocardites qui ont viré au drame. D’un point de vue statistique, cela ne fait même essentiellement aucun doute.

Mais en cette matière, il faut toujours soupeser les bénéfices et les risques. Et la COVID est elle-même connue pour provoquer des myocardites et ce, à un rythme environ sept fois supérieur à celui des vaccins à ARNm, selon une méta-analyse (qui regroupe les données de plusieurs études) parue en août dernier dans Frontiers in Cardiovascular Medicine. L’écart est moindre en ce qui concerne les jeunes hommes, puisque ce sont eux qui font le plus d’inflammations cardiaques après la vaccination, et certains travaux ont même suggéré que les vaccins à ARNm causeraient plus de myocardites chez eux que la COVID elle-même, mais de manière générale, les études concluent que les bénéfices l’emportent sur les risques dans ce groupe démographique particulier.

En outre, même si on partait du principe que les myocardites sont à peu près aussi fréquentes après la vaccination qu’après la COVID chez les jeunes hommes, il faut aussi tenir compte du fait que celles provoquées par le coronavirus sont en moyenne nettement plus graves que celles qui suivent le vaccin. Leur taux de survie est clairement moindre et elles engendrent beaucoup plus de blessures au cœur, lisait-on en début d’année dans un commentaire publié dans Nature Reviews – Cardiology.

Alors en bout de ligne, non seulement n’y a-t-il pas de chiffres qui supportent l’idée d’une augmentation des décès cardiovasculaires chez les jeunes qui seraient liée aux vaccins, mais tout indique au contraire qu’on a évité des morts chez ce groupe en les vaccinant.

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