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Trois-Rivières: un toit sur la tête comme priorité électorale

Les défis et les enjeux sont grands dans la circonscription de Trois-Rivières.

CHRONIQUE / Dans son demi sous-sol des premiers quartiers de Trois-Rivières, Diana Miville épluche les petites annonces sur Internet. Depuis le printemps, la mère de 35 ans cherche un nouveau logement. Elle cherche depuis qu’un important dégât d’eau a laissé de sévères dommages à l’intérieur de sa demeure qu’elle partage avec ses trois adolescents. Quelques réparations ont été faites, mais pas assez pour dire que le logement est désormais impeccable. La moisissure a commencé à se mettre de la partie, et une mise en demeure sera envoyée ces jours-ci au propriétaire. Mais en attendant, Diana ne trouve nulle part où déménager. Elle craint sérieusement pour sa santé et celle de ses enfants.


«La nuit dernière, je n’ai pas dormi. J’ai passé la nuit à laver les murs de la chambre de ma fille parce que je voyais des traces de moisissures. Ça n’a aucun sens, on ne peut pas vivre comme ça», explique celle qui est présentement en démarche de réintégration à l’emploi grâce à l’organisme COMSEP. Elle vit donc avec une maigre allocation qui lui fait dire qu’elle ne pourra pas se permettre de dépenser plus de 475$ ou 500$ par mois pour loger sa famille.

Diana Miville cherche un logement où relocaliser sa famille après un important dégât d’eau dans le demi sous-sol où elle habite. Mais avec un budget de 500 $ par mois, c’est à peu près mission impossible ces jours-ci.

Visiblement, dans le marché locatif trifluvien, ces jours-ci, il n’y a pas de place pour des gens comme Diana. La rareté des loyers se fait sentir partout, et dès qu’un loyer s’annonce, il est bien au-dessus de ce que cette famille pourrait se permettre. Des logements de deux chambres à 1000 $ par mois, des maisons à louer à 1800 $ et même 2000 $ par mois, c’est devenu monnaie courante depuis la pandémie et le boom immobilier que l’exode vers les régions a créé.



Diana est loin d’être seule dans son cas. À Trois-Rivières seulement, 5300 familles dépensent plus de 50% de leurs revenus uniquement sur le logement. Les listes d’attente pour obtenir un logement de type HLM dépassent les 400 ménages. Et encore aujourd’hui, en septembre, 30 ménages en Mauricie sont hébergés temporairement chez de la parenté ou des amis, faute d’avoir trouvé quoi que ce soit pour se loger le 1er juillet dernier.

Selon l’organisme Info-Logis Mauricie, qui milite pour les droits des locataires, la situation inquiète depuis longtemps, et rien ne laisse présager que cette flambée des prix se calmera. Une situation qui touche l’ensemble de la population, mais plus particulièrement les familles monoparentales, les aînés, les nouveaux arrivants et les personnes issues des Premières Nations, constate la coordonnatrice Claude Jalette.

«On a besoin de pas moins que 50 000 logements sociaux au Québec en ce moment. Mais on a aussi besoin de redonner plus de pouvoirs aux municipalités, et que l’argent suive. Ce sont les municipalités qui sont les mieux placées pour savoir où sont les besoins. Il faut que les entrepreneurs travaillent avec les organismes communautaires, qu’ils s’informent des avantages de s’impliquer dans un projet de logement social», martèle celle qui croit notamment beaucoup au modèle de coopératives d’habitation, et qui estime que c’est vers de telles initiatives qu’il faudrait concentrer les efforts, en plus de permettre aux organismes qui gèrent le logement social de pouvoir épurer leurs listes d’attente en prônant la construction de nouveaux logements sociaux.

Claude Jalette, coordonnatrice chez Info-logis Mauricie.

Mais pour ça, ça prend de l’argent et de la volonté politique. Les organismes militent par ailleurs depuis longtemps pour l’implantation d’un registre des loyers. «Ça permettrait d’éviter la surenchère, en plus de pouvoir faire une recension des besoins et de la capacité de payer de notre monde», croit pour sa part Claude Jalette.



À Trois-Rivières comme partout ailleurs, la question du logement préoccupe, mais également celle de la pénurie de main-d’oeuvre. Aucun entrepreneur, aucun propriétaire de commerce ou d’entreprise, aucun organisme privé ou public ne peut se vanter, à l’heure actuelle, de ne pas ressentir l’effet de cette pénurie sur ses activités.

«Ça se traduit bien souvent par des entreprises qui refusent des contrats, mais aussi des entrepreneurs qui sont débordés, qui sont sur le plancher pour combler les manques. On voit des changements dans les heures d’ouvertures des commerces, on repense la façon de gérer les ressources humaines. Ça joue énormément sur la santé mentale des entrepreneurs, parce qu’actuellement, ils ne voient pas la lumière au bout du tunnel», explique Geneviève Scott-Lafontaine, directrice générale de la Chambre de commerce et d’industries de Trois-Rivières.

Geneviève Scott Lafontaine, directrice générale de la Chambre de commerce et d’industries de Trois-Rivières.

Pour la plupart d’entre eux, l’idée même de commencer des démarches pour faire venir de la main-d’oeuvre de l’étranger n’est pas toujours considérée, puisqu’elle demande du temps, de l’énergie et un moment de réflexion. Or, du temps, les entrepreneurs n’en ont pas. Ils sont en mode urgence en ce moment, constate Mme Scott-Lafontaine. Et en contexte de pénurie de logements, où pourrait-on bien héberger tous ces nouveaux travailleurs? «Ça va certainement prendre des mesures rapides, mais surtout plus grandes pour aider. Je pense aux travailleurs expérimentés, à mettre en place des mesures pour les convaincre de rester à l’emploi, qu’ils y voient des avantages», cite-t-elle en exemple.

Le prochain gouvernement devra assurément s’attaquer à la question de la fiscalité municipale, un sujet qui fait l’unanimité chez les maires de la province, mais qui n’a pas reçu l’écho attendu de la part de Québec jusqu’ici. Le modèle de fiscalité municipale est depuis longtemps désuet, et force les municipalités à prôner l’étalement urbain ou la densification afin de pouvoir augmenter les revenus pour faire face aux obligations financières, ce qui entraîne à la fois des enjeux environnementaux et d’infrastructures municipales. En période d’inflation comme celle que l’on traverse présentement, le casse-tête est grand et pourrait avoir de sérieuses conséquences sur les services à la population. À Trois-Rivières comme ailleurs, on en appelle à une révision de ce modèle de financement.

Et si jamais on devait mettre de l’avant des mesures qui touchent la fiscalité municipale, comme la baisse ou l’abolition de la TVQ, ou encore la modification des droits de mutation, il faudra que ça vienne avec des compensations pour les villes, pour qui les revenus en seront directement affectés, est d’avis le maire de Trois-Rivières, Jean Lamarche.

Jean Lamarche, maire de Trois-Rivières.

Des déversements d’eaux usées dans le fleuve ou la rivière, des infrastructures qui ne peuvent plus fournir aux énormes quantités de pluie reçues en raison des changements climatiques et qui font en sorte d’inonder des boulevards ou même d’emporter des routes comme ce fut le cas avec une partie du boulevard des Estacades cet été... Trois-Rivières, autant que les différentes municipalités du Québec, devra à court terme recevoir un coup de pouce pour pouvoir adapter les infrastructures municipales à ces bouleversements climatiques, notamment en séparant les conduites d’eaux usées et pluviales, ce qui entraînera une facture énorme pour les villes.



«D’ici 2030, c’est 56M$ par année que la Ville devrait investir dans ses infrastructures pour les adapter aux changements climatiques. Or, on ne peut pas absorber ça dans le budget», fait savoir le maire de Trois-Rivières Jean Lamarche, qui ajoute que la Ville aura également besoin d’aide financière pour entretenir les infrastructures récréosportives. Le Programme d’aide financière aux infrastructures récréatives (PAFIR), dont l’enveloppe de 600 M$ est déjà épuisée, a reçu plus de 1,5 milliard $ de demandes des municipalités du Québec. Cinq demandes sur six ont dû être rejetées, car l’enveloppe n’était pas assez garnie. À Trois-Rivières, c’est le projet de réfection de la piscine de l’Exposition qui a écopé.

L’enjeu d’adapter les infrastructures municipales aux changements climatiques sera l’un des plus gros défis des prochaines années, comme en témoigne ce qui s’est produit sur le boulevard des Estacades cet été.

D’autres préoccupations, dont la reconstruction du pavillon des Seigneurs dans le secteur Pointe-du-Lac (qui se trouve dans la circonscription de Maskinongé) et la construction de la piscine au centre Jean-Noël-Trudel (dans la circonscription de Champlain) interpellent également l’Hôtel de ville, qui aimerait beaucoup voir ces projets se concrétiser rapidement. Sans compter les enjeux entourant la réfection du poste de police de Trois-Rivières. «S’il faut repenser l’avenir de la police au Québec avec le Livre vert, il faudra aussi considérer les corps de police municipaux, car pour le moment, il n’y a pas un sou qui est consacré à la réfection des infrastructures pour les corps municipaux», constate Jean Lamarche.

Les programmes d’aide pour la réfection des infrastructures récréatives seront-ils bonifiés? Ce sont de tels programmes qui permettraient notamment la réfection de la piscine de l’Exposition.

Sous le pont Radisson, qui relie Trois-Rivières au secteur Cap-de-la-Madeleine par l’autoroute 40, on rêve depuis longtemps de voir s’ériger une passerelle cyclable. Bien que le projet n’en soit encore qu’à des études de faisabilité, le maire ne cache pas son enthousiasme à voir le projet se réaliser, mais croit que s’il se réalise, il devra être piloté par le ministère des Transports du Québec. «Ça me semble logique, puisque ce serait sous leur infrastructure. Mais la Ville, on sera en appui à ça, c’est clair», considère-t-il.

Des projets et des enjeux qui résonnent fort aux oreilles des intervenants du milieu. Mais pour Diana Miville, aucun enjeu ne résonne plus fort que celui de relocaliser sa famille le plus rapidement possible dans un loyer convenable. Elle ira déposer cette semaine une demande pour pouvoir obtenir un HLM. Une demande de plus qui s’ajoutera à la liste d’attente. «Je ne sais pas si notre condition pourrait faire en sorte qu’on soit considérés plus rapidement, parce que c’est notre santé qui est en jeu. On verra, je me croise les doigts», confie-t-elle.