Chronique|

Sarajevo, la Jérusalem des Balkans

La mosquée de Gazi Husrev-Bey, dans la vieille ville de Sarajevo, dégage une atmosphère bien particulière.

CHRONIQUE / La cathédrale du Cœur-de-Jésus s’impose comme lieu de rassemblement dans la vieille ville de Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine. Flanquée d’une statue du pape Jean-Paul II, pape ayant visité la capitale en 1997 après la guerre de Bosnie, elle a comme parvis une petite place publique comme on en trouve peu dans le quartier. Elle est aussi entourée de terrasses et d’un musée portant sur le génocide de Srebrenica.


Si l’église est difficile à manquer, plusieurs tarderont peut-être à apercevoir devant elle les éclaboussures rouges, dans le pavé, commémorant un des endroits où une grenade a explosé pendant le long siège de Sarajevo, entre 1992 et 1995.

Les « roses de Sarajevo », ces traces d’explosions – plus de 300 grenades éclataient chaque jour en moyenne –, on en trouve aussi entre autres dans la rue piétonne Ferhadija, dans la vieille ville, au marché de fruits et de légumes et dans l’achalandée rue Baseskije. Et on réalise seulement plus tard que l’église catholique est devenue un monument phare d’une ville désormais majoritairement musulmane.



Les roses de Sarajevo sont ces éclaboussures de peinture rouge rappelant les lieux où des grenades ont explosé pendant la guerre de 1992-1995.

Ilma, guide touristique, raconte d’ailleurs que certains qualifient Sarajevo de « Jérusalem des Balkans » en raison de la présence dans un même quartier de lieux de culte catholiques, musulmans et juifs. Pourtant immense et d’une rare beauté, surtout à l’approche du coucher du soleil, la mosquée de Gazi Husrez-Bey m’avait échappé à mon premier passage à Sarajevo en 2014. Étrange, puisqu’il s’agit de la plus grande mosquée historique de toute la Bosnie-Herzégovine. Cette fois-ci, j’ai été happé pour l’atmosphère qui s’en dégageait et par la beauté de ses aménagements extérieurs.

À quelques pas de là, la Vieille Synagogue peut être visitée. Construite en 1581, elle abrite aujourd’hui le Musée juif de Bosnie-Herzégovine. Selon notre guide, il ne resterait que quelques centaines de citoyens de confession juive dans la capitale.

La rencontre des cultures, sur la rue Ferhadija, est ce lieu où l’ouest, d’héritage austro-hongrois, rencontre l’est, d’héritage ottoman.

Deuxième regard sur la Bosnie

Le cœur de Sarajevo est petit, mais on peut y flâner et y découvrir de nouveaux joyaux pendant plusieurs jours. Jeter un deuxième regard sur la Bosnie, c’est découvrir un tas de détails historiques fascinants qui n’avaient pas encore retenu mon attention. Dans la rue Ferhadija, en plus des roses de Sarejevo, on apercevra la rencontre des cultures. À un endroit bien précis, le pavé change de texture, là où il est marqué d’une ligne séparant l’est et l’ouest. À l’est, l’héritage ottoman devient tout à coup très visible, notamment dans l’architecture, et contraste de façon évidente avec l’ouest, d’héritage austro-hongrois.

Les berges de la rivière Miljacka sont un lieu de choix pour flâner.

Près de la rivière Miljacka, que j’aime arpenter pour ses différents ponts, pour le coup d’œil aux bâtiments tantôt ornés de murales, tantôt encore marqués par les balles et les obus, et pour les œuvres d’art qui l’entourent, l’ancienne bibliothèque s’impose avec ses teintes jaunâtres. Incendiée pendant la guerre, elle permet aujourd’hui aux visiteurs d’en apprendre plus sur le conflit en Bosnie dans une exposition particulièrement troublante. On y trouve aussi l’hôtel de ville et un musée d’art.



L’ancienne bibliothèque de Sarajevo a été incendiée pendant la guerre. Elle abrite aujourd’hui quelques musées et l’hôtel de ville.

En face, de l’autre côté de la rivière, le coquet restaurant Inat Kuca sert des plats traditionnels dans de la vaisselle en argent. Sa terrasse permet d’observer l’ancienne bibliothèque par beau temps, alors que la décoration intérieure, aussi traditionnelle, est irrésistible. La soupe au poulet, le ragoût de bœuf, les feuilles de vigne et même le pain maison invitent à la gourmandise.

Par-dessus tout, l’histoire du petit restaurant fait sourire. À l’origine installé de l’autre côté de la rivière, le bâtiment a été déménagé pierre par pierre alors que son propriétaire a refusé de le vendre... pour faire place à la construction de la bibliothèque.

Oui, la Bosnie a bien des défis à surmonter. Elle est loin d’avoir fini de se relever de la guerre, comme en témoignent certaines tensions, les tramways d’une autre époque et les bâtiments encore troués. Mais dans les huit dernières années, Sarajevo a cheminé. Son téléphérique a repris du service. Au sommet du mont Trebevic, un stationnement et un restaurant sont apparus, là où il ne restait auparavant que des ruines. La piste de bobsleigh des Olympiques de 1984, où j’étais le seul visiteur en 2014, est devenue un lieu de rassemblement pour les familles et les randonneurs.

Almasa Salihovic

La forteresse jaune, un monticule populaire au lever et au coucher du soleil, est maintenant bonifiée d’un petit café, de tables et de bancs, là où je n’avais auparavant trouvé qu’un parc sans grandes infrastructures. Tout près, le café Kamarija possède une des vues les plus saisissantes de la ville, à moins qu’on s’aventure encore davantage dans les hauteurs, parmi les rues abruptes, jusqu’au restaurant Basca Kod Ene, reconnu pour son agneau.

Autre nouveauté, le Musée des enfants de la guerre, bien caché en retrait de la rue Logavina, qui raconte la guerre à travers des objets décrits brièvement par des enfants. Un peu comme le Musée des cœurs brisés, à Zagreb en Croatie, il met en lumière des récits personnels touchants qui humanisent les épreuves d’un conflit.

Enfin, la Bosnie-Herzégovine n’est pas une destination dispendieuse. On y mange bien, souvent pour moins de 20 $ par personne, et on y trouve des hébergements, un peu à l’écart du centre, pour moins de 50 $ la nuit. Dormir dans une pension ou un appartement à flanc de montagne est non seulement moins cher, mais il s’agit d’une belle façon de s’imprégner de la vie de quartier bosnienne. Le seul défaut, quand on veut rentrer à pied, c’est de devoir s’activer les mollets pour monter les rues largement inclinées. Mais on trouvera toujours un taxi, pour un dollar ou deux, pour nous épargner cet exercice éreintant.

Cette chronique a été produite grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.