Mesure phare du gouvernement Legault en pleine crise sanitaire, la création de ce cours accéléré visait à former 10 000 nouveaux préposés prêts à travailler à l'automne 2020. Cette mesure temporaire se renouvelle toutefois chaque année, car Québec doit encore recruter 2000 préposés pour atteindre son objectif. Sur les quelques 13 445 personnes inscrites depuis la première cohorte en 2020, moins de 8160 personnes travaillent dans le réseau de la santé, selon les derniers chiffres du ministre de la Santé et des services sociaux.
Bien que Québec se vante d'un taux de rétention de 80%, il s'agit de préposés embauchés qui sont toujours à l'emploi. On exclut ceux qui n'ont pas terminé le cours et qui n'ont finalement pas travaillé en CHSLD. Et la majorité des régions, de l'Estrie au Saguenay-Lac-Saint-Jean, en passant par la Mauricie et la Capitale-Nationale, affichent un taux d'abandon allant de 35 à 40%
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Le ministère de la Santé ne connaît pas l’étendue de la facture ni le nombre de remboursements ou de créances qui seront rayées des livres. Ces dossiers sont gérés au «cas par cas» par les Centres de santé et de services sociaux (CSSS) de la province. Selon nos informations, des centaines de candidats ont été exemptés de l’obligation de rembourser.
«Moi, je ne voulais pas travailler dans ces conditions. Le travail était trop loin de ma résidence. Ils ont finalement abandonné ma créance», admet une femme vivant en périphérie de Québec, qui a obtenu la bourse de 9200$ et n'a pas eu à rembourser, même s'il elle n'a jamais travaillé une journée en CHSLD.
«La bonne foi»
Parmi la vingtaine de CIUSSS et CISSS du Québec contactés par Les Coops de l’information, seulement sept ont divulgué le nombre de candidats forcés de rembourser leur bourse. La plupart d'entre eux ont aussi admis que des créances ont été abandonnées pour diverses raisons. En moyenne, les candidats qui ont abandonné la formation doivent entre 4500$ et 6000$.
La direction du CIUSSS du Saguenay-Lac-Saint-Jean a annulé les créances de près de 40% des étudiants déserteurs, ce qui représente 45 candidats inscrits.
«Le remboursement, on analyse cas par cas», explique Nathalie Morin, conseillère-cadre à la planification de la main-d'œuvre.
Avant la première journée de cours, les candidats doivent signer un formulaire d’engagement: pour avoir droit à la bourse de 9200$, ils doivent travailler au moins un an comme préposé aux bénéficiaires.
«On va essayer de la relocaliser dans un autre emploi au sein de l'organisation», explique Mme Morin, qui précise que les montants réclamés sont ajustés selon le nombre d'heures effectuées avant l'abandon.
Même son de cloche du côté du CISSS de Chaudière-Appalaches. Sur les quelque 500 personnes inscrites au cours accéléré, près du quart ont reçu un avis de remboursement.
La direction du CISSS de Chaudière-Appalaches confirme qu'une quinzaine de candidats n'ont pas eu à rembourser la bourse pour différentes raisons, dont leur «incapacité permanente à occuper un emploi» ou «l'échec de la formation malgré les efforts soutenus du candidat de la réussir».
Au CIUSSS de la Capitale-Nationale, la direction confirme également avoir annulé le remboursement pour huit candidats. Des raisons de «mortalité» et «limitations fonctionnelles permanentes» sont par contre évoquées.
Dans les régions où il a été possible d'obtenir ces informations, soit Chaudière-Appalaches, Saguenay-Lac-Saint-Jean, Bas-Saint-Laurent, l'Estrie, le Nord-du-Québec, l’Abitibi-Témiscamingue, les Îles de la Madeleine, le total des montants réclamés représentent en moyenne une valeur 1,40$ par habitant. À titre d'exemple, en Estrie, c'est près de 600 000$ que les candidats doivent rembourser au CIUSSS.
Ce sont les centres de santé de la grande région de Montréal qui ont vu le plus de candidats abandonner. Près de 46% des quelque 4500 candidats inscrits ont abandonné ou démissionné de leur poste dans l'un des cinq réseaux de l'Île de Montréal. Ces établissements ont refusé de dévoiler le montant des demandes de remboursement, nous invitant à passer par la Loi d’accès à l’information.
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Est-ce que cette formation accélérée est là pour rester? Chose certaine, cette initiative a été «très aidante» pour le CIUSSS du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
«Elle nous a permis d'amener du sang neuf. Sans ces personnes, ça aurait été difficile à vivre. Ç'a donné un nouveau souffle pour les équipes», constate Mme Morin, ajoutant qu’une trentaine de personnes ont été recrutées pour débuter la formation. Il reste par contre une centaine de postes qui sont à combler, seulement au Saguenay-Lac-Saint-Jean, dont près de 70% dans les nouvelles maisons des aînés.
Match parfait pour certains, purgatoire pour d'autres
Marc (nom fictif) est un ancien employé de la restauration. Il songe sérieusement à quitter son emploi de préposé aux bénéficiaires qu'il occupe depuis plus d'un an, période probatoire pour éviter d’avoir à rembourse les 9200$ versés par Québec durant sa formation.
«Ce qui me manque, c'est le côté humain, celui entre les gestionnaires et nous. Toute la journée, on prend soin du monde, on change des couches. Ça ne peut pas être plus personnel que ça. Mais la gestion du personnel est tellement impersonnelle. C'est ce qui me déçoit le plus. Heureusement que j'ai des collègues que j'apprécie, sinon je ne serais plus ici.»
En effet, ce dernier gagne plus de 25,60 $ de l'heure, avant la prime de soir ou de nuit. Une infirmière auxiliaire gagne 1$ de moins de l'heure à l'entrée en poste.
Contrairement à Marc, Helder Pacheco ne regrette pas son changement de carrière. Préposé aux bénéficiaires depuis plus de deux ans au CHSLD Lionel-Émond, à Gatineau, l’ancien représentant pour une compagnie de construction reste fidèle au au poste, surtout en raison du caractère humanitaire du travail.
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«J’ai travaillé dans les ventes pendant 23 ans. Mais il n’y avait jamais ce côté humain qu’on retrouve dans un poste de préposé aux bénéficiaires. C’était toujours la production, l’objectif de toujours se rendre plus riche. Le domaine de la santé, ça me chicotait depuis des années. Quand M. Legault a fait les annonces, j’en ai parlé à mon épouse. Elle m’a répondu: ‘Wô! T’es sûr que tu veux faire ça?' Tout le monde me disait que j’étais dingue. Dans les centres (CHSLD), les aînés n’ont pas d’amis, la famille ne vient pas. C’est venu me chercher», confie-t-il.
Deux ans plus tard, M. Pacheco apprécie tellement son travail qu'il aurait aimé commencer plus jeune.
«J’aurais dû me lancer là-dedans au début de ma carrière. Ce sont nos grands-mères, nos grands-pères. Ils et elles ont bâti l’Outaouais. J’ai appris plus de la vie en deux ans et demi qu’en 23 ans de vente. Ça devient nos amis. Huit heures d’ouvrage, c’est comme du temps passé en famille. On rigole et on vit des choses avec eux.»
Ce dernier comprend toutefois pourquoi certains abandonnent. Le métier n'est pas pour tout le monde. Sur la vingtaine de personne embauchée avec lui, après sa formation, seulement 12 sont encore au travail.
«C’est mieux de quitter que de rester à reculons. Si ce n’est pas pour vous, quittez. Autre conseil: sois toi-même. Ne change pas ta façon d’agir. Pleure avec eux, ris avec eux.»