L’expression est de lui. Elle résume son état d’esprit depuis que les comptes s’accumulent. Le peintre en bâtiment ne peut plus travailler afin de prendre soin de sa «Nath». L’aide financière qu’il reçoit est insuffisante.
Avant, le couple de Bécancour était de ceux qui apportent leur contribution lors des collectes de denrées et d’argent pour les personnes dans le besoin. Il doit maintenant se tourner vers une banque alimentaire pour arriver à la fin du mois.
«Une chance que ça existe, mais câline que c’est dur pour l’égo...», avoue Steve Gervais qui multiplie les démarches pour garder la tête hors de l’eau.
L’anévrisme cérébral est survenu le 27 février dernier, en matinée. Fatiguée en ce début de journée, Nathalie Lemaire, 50 ans, est retournée dans sa chambre où elle a tout juste eu le temps de crier le nom de son conjoint qui est accouru.
«Elle était inerte, les yeux ouverts, en convulsion.»
En attendant l’arrivée des ambulanciers, Steve a entrepris les manœuvres de réanimation cardiorespiratoire. Il a cru que c’était la fin pour son épouse qui s’est retrouvée sur la table d’opération pendant plusieurs heures.
La suite, raconte l’homme, se déroule comme dans un film. Un drame.
Le neurochirurgien s’est avancé vers lui la tête basse, des traces de sang sur son bonnet, sa visière et sa blouse.
«On a tout fait pour sauver votre femme», a-t-il assuré avant d’expliquer que sur une échelle de gravité allant de 1 à 5, Nathalie avait fait un anévrisme qui se situait à 4, le niveau 5 étant la mort cérébrale.
Steve tourne les pages d’un agenda dans lequel il a décrit chaque journée, en n’omettant aucun détail.
«Je voulais tout savoir», ajoute celui qui, jadis, a été préposé aux bénéficiaires. Avec l’accord du personnel infirmier, c’est lui qui faisait la toilette de son épouse, changeait ses draps, lui massait les pieds, etc.
«Je le faisais avec amour», dit-il en regardant Nathalie qui a passé plus d’un mois aux soins intensifs et, une fois sa condition médicale stabilisée, quatre autres semaines à l’hôpital.
En raison de la pandémie et des restrictions pour les visiteurs, son époux ne pouvait pas s’y présenter avant le début de l’après-midi.
«Je travaillais de 6h à 13h puis j’allais la retrouver. Je me dépêchais, je courais!», se souvient-il avant de lancer un «Je t’aime» à sa conjointe qui assiste, pensive, à la conversation la concernant.
La réadaptation de Nathalie se poursuit à la maison avec Steve qui l’accompagne à chacun de ses rendez-vous en physiothérapie, orthophonie, ergothérapie... Celle qui venait de décrocher un emploi de cuisinière souhaitait se retrouver dans son environnement familial, entourée de son chien Balou avec qui les interactions sociales sont également une source non négligeable de stimuli.
«Je dors beaucoup», ajoute Nathalie qui vit avec une faiblesse du côté droit de son corps. Marchant à l’aide d’une canne, elle doit composer avec des changements au niveau de ses capacités physiques et cognitives. L’anévrisme a également entraîné des troubles de la parole et autres séquelles qui font en sorte que la femme de 50 ans a besoin d’une présence constante.
«Depuis février, notre vie est sur pause», résume Steve Gervais.
Le couple s’appauvrit.
Avant de devoir s’absenter du travail pour s’occuper à temps plein de Nathalie, le peintre en bâtiment gagnait 900 $ par semaine. Il reçoit en ce moment des prestations pour proches aidants de l’assurance-emploi. On lui accorde une aide financière équivalant à 55 % de son salaire, soit 550 $ par semaine, pour une durée maximale de quinze semaines.
Il existe des crédits d’impôt. C’est bien, concède Steve Gervais avant d’indiquer que ce n’est pas à la fin de l’année qu’il aura besoin de cet argent, c’est tout de suite.
«Cette semaine, est-ce que j’ai assez d’essence dans mon camion pour aller aux rendez-vous de ma femme? Ce mois-ci, est-ce que je suis capable de payer mon loyer? Je ne demande pas à être riche, je veux juste garder ma dignité, mon niveau de vie standard.»
Nathalie n’a pas eu le temps d’accumuler suffisamment d’heures de travail pour être admissible au chômage. Son mari a contacté le Régime de rentes du Québec pour vérifier à quel montant elle pouvait avoir droit. Il a éclaté de rire, à défaut de pleurer, en entendant la réponse au bout du fil: 10 $ par mois.
Véronique Mergeay est coordonnatrice de l’Association des personnes proches aidantes de Bécancour-Nicolet-Yamaska. La nouvelle réalité financière de Steve Gervais ne l’étonne pas malheureusement. Environ 57% des proches aidants sont des travailleurs qui doivent rester à la maison pour apporter des soins et du soutien à une personne de leur entourage. La perte de revenus est drastique.
«Les proches aidants s’appauvrissent. Je n’en connais aucun qui s’enrichit», dit-elle avant de mentionner que la durée – 15 semaines - des prestations pour proches aidants de l’assurance-emploi est vite passée. Les services à domicile ne se mettent pas en place aussi rapidement autour de la personne malade ou blessée. Les délais sont longs.
«En attendant, c’est le proche aidant qui doit tout combler. Il n’a pas le choix d’arrêter de travailler», fait-elle remarquer avant de mentionner que l’aide financière qui est allouée, jusqu’à 55% de sa rémunération, c’est trop peu, surtout en ce moment, alors que tout coûte plus cher pour vivre.
Retourner travailler et faire appel à quelqu’un d’autre pour s’occuper de Nathalie en son absence? Bonne chance...
Une aide financière peut être accordée dans le cadre du Programme d’allocation directe (chèque emploi-service) du gouvernement du Québec, mais on parle ici d’un montant pour une personne qui, durant la semaine, vient donner un coup de main une heure par-ci et une demi-heure par-là.
«Ce n’est pas réaliste», soutient Véronique Mergeay en précisant que c’est au proche aidant de dénicher cette perle rare dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. Il devient ainsi un employeur, une responsabilité qui s’ajoute à toutes les autres qui risquent de l’épuiser.
Nous sommes présentement en campagne électorale. Steve Gervais ne veut pas des promesses, mais des actions concrètes. Il souhaite la mise en place d’un programme aux proches aidants qui s’apparenterait au Régime québécois d’assurance parentale destiné aux travailleurs et nouveaux parents. Des prestations sont versées aux femmes et aux hommes qui prennent un congé de maternité, de paternité, parental ou d’adoption.
Steve Gervais ne peut se résigner à «placer» sa femme dans un CHSLD pour pouvoir retourner travailler et payer ses factures. Il est convaincu que son rôle à temps plein de proche aidant permet à l’État d’économiser de l’argent.
«Je ne veux pas gagner 100 000 $ par année, je veux être capable de m’occuper de ma femme le temps que ça prendra.»
Nathalie veut demeurer à la maison pour couler des jours tranquilles avec Steve qui fait tout en son pouvoir pour rester à ses côtés. Il veut être un proche aidant, pas un proche mendiant.