Guy Cormier est monté sur scène d’un pas athlétique pour décrire à la jeunesse entrepreneuriale les défis actuels de l’emploi. «Vous avez tous un point en commun, c’est que vous êtes les premiers: on brise la glace aujourd’hui» a-t-il dit.
Il se trouvait devant un parterre d’environ 80 personnes qui ont déjà ou qui songent à lancer une entreprise, des jeunes qui travaillent en administration des affaires ou des étudiants des programmes en administration. Guy Cormier leur a rapidement brossé un tableau des trois grandes mutations qui ont transformé les mécaniques de l’emploi au cours des dernières décennies.
D’abord, un marché du travail qui est passé d’un déficit d’emplois causant des problèmes de chômage persistants à un manque de travailleurs qui affecte la productivité des entreprises et les services publics de l’État. Selon Guy Cormier, le manque de personnel est en cause pour 250 000 postes vacants, aujourd’hui au Québec. Mais c’est loin d’être fini parce qu’on pourrait en relever jusqu’à 1 million en 2030.
«On commence tout juste à saisir l’ampleur, dans le monde du travail, de la pénurie qu’on va vivre», a-t-il prédit, balayant du revers de la main les prétentions selon lesquelles il s’agit d’une situation passagère due à la pandémie.
L’analyse de Guy Cormier s’est ensuite portée sur le télétravail, une réalité encore marginale en 2019, devenue normalité en trois ans avec la pandémie. Selon l’étude Travaillons ensemble menée par Desjardins avec la RJCCQ, jusqu’à 89 % des travailleurs qui ont expérimenté le télétravail souhaiteraient continuer de bénéficier des avantages du télétravail de façon permanente. Et jusqu’à 60 % d’entre eux quitteraient un emploi parce que la flexibilité du télétravail n’est pas à la hauteur de leurs attentes.
Chez les jeunes, près de la moitié de ceux qui habitent dans un centre urbain, disent qu’ils pourraient s’installer en région si leur emploi permettait le télétravail. «On voit que les enjeux de main-d’œuvre, ça va même affecter le développement des régions et l’occupation du territoire», conclut Guy Cormier. Ce qui pourrait aussi se répercuter sur le coût du logement et l’accès à la propriété.
Le troisième enjeu identifié en emploi, c’est celui de la santé mentale; un sujet que la pandémie a forcé à prendre en compte par le monde du travail. «Les entreprises sont beaucoup conscientes de ça et du bien-être de leurs employés au sens large», indique le haut gestionnaire chez Desjardins.
Jusqu’à 49 % des jeunes professionnels disent que la santé mentale passe avant tout et qu’ils n’hésiteront pas à mettre des barrières face à leur employeur, pour la préserver et pour se protéger. «C’est un grand changement de valeur», constate Guy Cormier. Selon le rapport d’Academios intitulée GenZ, 55 % des jeunes répondent que s’épanouir dans un domaine ou une profession qui les passionne constitue leur principal objectif de carrière, alors qu’ils accordent au travail une grande importance dans leur vie.
C’est ensuite un panel interactif avec la participation de la salle qui a pris les devants de cette rencontre destinée à faire émerger les préoccupations des jeunes dans le monde des affaires. Animé par Laurent Therrien, directeur-conseil chez Syrus réputation, celui-ci a donné la parole à Simon De Baene, cofondateur et PDG de GSoft, développeur informatique avec qui Desjardins entretient des liens d’affaires. Puis, à Catherine Légaré, «psychologue défroquée» à la tête de l’entreprise sociale Academos, qui œuvre auprès des jeunes dans le choix de carrière et le mentorat.
Selon leur témoignage, l’importance que les jeunes accordent au travail n’est pas moindre aujourd’hui, mais ils y cherchent une satisfaction différente de leurs aînés, pour qui l’ambition visait davantage des objectifs carriéristes et financiers.
«On appelle ça le travail, mais les humains, on est des créateurs, des bâtisseurs, on veut faire des choses. On peut faire des choses auxquelles nos parents n’auraient pas pu rêver», croit Simon De Baene. Catherine Légaré abonde dans le même sens: «Les humains, de tout temps, on a toujours été animés par le travail. On a besoin de créer, innover, accomplir, collaborer, et c’est ce que les humains ont fait depuis toujours», dit-elle. «On est des bébittes à réaliser quelque chose.»
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/4N7QG65X2RARREPCG6UAXNSHIQ.jpg)
Ce qui ne veut pas dire, pour les jeunes, de passer 80 heures par semaine au travail, ou d’y accorder plus d’importance qu’à d’autres aspects de la réalisation de soi.
Turbulences en vue
Même avant la pandémie, il y avait des discussions sur la croissance à l’infini, sur le sens du profit, souligne Guy Cormier. Puis, arrivent la pandémie, la guerre en Ukraine, la crise de l’inflation et l’accentuation de celle des changements climatiques.
«Il faut se faire à l’idée, comme entrepreneur, que cette décennie-ci, elle va être tough! Il n’y en aura pas de facile. Il faut l’accepter et l’assumer», avertit le gestionnaire, sans toutefois se faire pessimiste. Ni, surtout, passéiste. Car le retour en arrière n’est pas souhaitable, estime-t-il, devant les turbulences actuelles, qui ne font que commencer.
«Si j’étais jeune aujourd’hui, je trouverais ça stimulant! Vous savez, on a la chance de façonner les prochaines décennies à travers la planète, et la technologie nous y aide encore plus qu’avant. Moi je crois qu’il ne faut pas penser que le retour du balancier va revenir vite, mais par contre on est peut-être en train de construire un monde meilleur, rempli d’opportunités», a-t-il conclu au sein du panel d’invités.
Celui qui est président et chef de la direction du Mouvement Desjardins et président du conseil d’administration depuis 2016 œuvre au sein de l’organisation depuis 28 ans.
Au seuil de cette crise mondiale qu’il estime irréversible, Guy Cormier dresse certains constats. Les 30 à 40 dernières années de croissance économique ont été positives, dit-il, concédant que la population québécoise a acquis un patrimoine collectif appréciable, que le niveau d’éducation a augmenté et que beaucoup de sociétés ont pu émerger de la pauvreté.
«En même temps, il y a des dommages collatéraux», dit-il, pointant l’impact environnemental, les inégalités sociales et certaines difficultés d’accès à l’éducation. Devant ces forces en présence, dit-il, il faut tirer des leçons du passé pour éviter de revenir en arrière, en apportant à notre mode de vie les ajustements nécessaires.
Pour son PDG, le Mouvement Desjardins possède des leviers nombreux pour apporter une contribution positive aux turbulences sociales en cours. Par exemple, au sujet du développement durable, Guy Cormier rappelle que Desjardins a investi plusieurs millions dans l’installation de 500 bornes de recharge électrique dans son réseau des caisses. «On vient aider à l’évolution des comportements des gens en se sentant plus à l’aise d’opter pour un véhicule électrique», affirme-t-il.
Du côté de l’entrepreuneuriat, le gestionnaire évoque le Fonds du grand mouvement au sein duquel 250 M$ ont été investis, au profit de différents projets de société et incubateurs d’entreprises.
Le troisième et dernier élément qu’il considère comme un levier de transformation concerne la jeunesse et la persévérance scolaire. «La capacité financière qu’a le Mouvement Desjardins, parce que nos membres nous font confiance, dit-il, le rend capable de retourner rapidement [des bénéfices] à la société», estime-t-il.
Sans se prononcer sur la campagne électorale en cours, il avance qu’il faut être prudent par rapport à la pensée que les gouvernements vont tout régler: «Les moyens financiers sont limités, et c’est là que j’appelle tous les entrepreneurs à se demander ce qu’on peut faire, nous, pour la société». Selon lui, ça devient de plus en plus une responsabilité pour les entreprises de se questionner sur leur contribution à l’amélioration de leur milieu.
«Il faut aider nos gouvernements à relever les défis qu’on a devant nous, pour les 4, pour les 8, pour les 20 prochaines années», a affirmé Guy Cormier.
Les prochaines rencontres de cette tournée s’étaleront jusqu’au 31 janvier 2023 avec des rendez-vous prévus sur différents thèmes: à Saint-Jean-sur-Richelieu le 11 octobre (entrepreneuriat); à Rivière-du-Loup, le 17 novembre (habitation et logement); à Saint-Jérôme, le 7 décembre (éducation); à Drummondville, le 24 janvier (responsabilité sociale des entreprises); pour culminer dans un événement de clôture à Québec le 31 janvier.