Chronique|

Ces cicatrices qui ne guérissent pas

J’ai beau me convaincre que j’ai fait le deuil de mon autonomie d’avant, il y a toujours un petit quelque chose qui peut momentanément me déchirer le coeur à nouveau. Une photo d’archive de moi avec mes membres, une rencontre fortuite avec une personne ressurgie de mon passé ou un «souvenir Facebook» d’une activité de plein air en famille peut à l’occasion m’arracher une larme.

CHRONIQUE / On pourrait croire que le temps qui passe finit par nous délivrer de tout, mais même lorsqu’on a la certitude qu’une plaie est bien refermée, elle peut toujours se rouvrir en certaines circonstances. Que la blessure ait été physique, psychologique ou les deux, il vaut mieux se préparer à l’éventualité des retrouvailles avec la douleur.


Côté guérison corporelle, je m’y connais un peu. Avec les bras et les jambes nécrosés par le choc septique causé par la bactérie mangeuse de chair, j’ai été durement confrontée à ce qui peut être sauvé et ce qui ne le peut pas. La frontière douloureuse et horriblement colorée entre les portions gangrenées et celles encore en vie m’a insufflé la volonté de me battre.

Cela peut paraître étrange pour le privilégié qui n’a jamais souffert, mais ressentir la douleur est tout de même le rappel que la vie ne s’est pas complètement retirée.



À mon réveil du coma, je ne sentais plus mes extrémités. Toujours rattachés à mon corps, mes mains et mes pieds ne m’apportaient plus aucune sensation réelle. Car c’est tellement un traumatisme pour l’esprit que les nerfs continuent de faire voyager la douleur. Ça m’a pris un certain temps, et moins de médicaments, pour m’en rendre compte.

Je vous rassure, aujourd’hui, je souffre rarement des douleurs dites fantômes. Et une fois les membres amputés, mes quatre moignons ont très bien guéri et les plaies ne se sont évidemment jamais rouvertes.

Si j’ai eu envie d’aborder le thème des retrouvailles avec la douleur dans cette chronique, c’est suite à deux déclencheurs qui me sont arrivés récemment. De vieilles cicatrices se sont rouvertes, dont une bel et bien physique et reliée à mon épopée hospitalière.

Durant les premières semaines où j’étais presque momifiée par autant de pansements en attendant de retrouver un minimum de santé pour être amputée, ma tête est malheureusement restée immobile un peu trop longtemps. La compression constante de mon crâne contre l’oreiller a créé deux plaies de pression. Deux ronds, d’abord de la taille d’un petit pois pour rapidement prendre l’espace qu’occuperait le deux dollars de notre monnaie canadienne.



Deux petites plaies dans mes cheveux, qui malgré leur apparence bénigne comparée aux quatre amputations, ont été les plus longues à guérir. Près de 700 jours ont été nécessaires pour y arriver, laissant deux surfaces vides où les cheveux n’ont jamais repoussé.

Avec l’humidité de l’été, les nombreuses baignades et la chaleur qui gardent mes cheveux mouillés, la peau s’est à nouveau abîmée. Rien de catastrophique et si peu douloureux qu’une simple crème médicamentée a rapidement réglé le désagrément. Reste que cette sensation dans mon cuir chevelu m’a replongée dans de bien mauvais souvenirs.

Durant la même période, une douleur morale, pourtant exorcisée par une quantité monstre de larmes, s’est ravivée. J’ai beau me convaincre que j’ai fait le deuil de mon autonomie d’avant, il y a toujours un petit quelque chose qui peut momentanément me déchirer le coeur à nouveau. Une photo d’archive de moi avec mes membres, une rencontre fortuite avec une personne ressurgie de mon passé ou un «souvenir Facebook» d’une activité de plein air en famille peut à l’occasion m’arracher une larme.

Cet été, c’est la bête malchance qui a d’abord affecté mon amoureux qui m’a ensuite frappée l’âme de plein fouet. Au tout début de nos vacances, mon proche aidant s’est fait une vilaine entorse à la cheville annulant du coup toutes les petites activités qu’on avait planifiées.

Déjà restreints dans ce qu’il nous est possible de faire avec mon handicap, la blessure à l’un des deux pieds qu’il reste dans notre couple nous a obligés à rester dans notre cour. Ce n’est pas bien grave, j’aime être chez moi, mais le constat de ma totale dépendance m’a quand même remué des tristesses enfouies.

Conscientiser la grande pression que vit mon partenaire d’être toujours celui sur qui on peut compter m’a également atteinte. On dirige souvent la lumière sur moi, sur la personne en situation de handicap. Mais sans l’aide de mon amoureux, l’aidant naturel, on ne va pas très loin.



Heureusement, comme pour guérir la cicatrice à l’arrière de ma tête, celle qui s’est ouverte à l’intérieur a rapidement été refermée. Au lieu d’une lotion corticostéroïde, ce sont mes projets d’art qui ont agi comme un baume sur mon psychique.

Et chaque fois que je sens monter la peine causée par mon handicap, je me rappelle ce que mon amoureux m’avait dit alors que je sortais péniblement du coma: « Marie-Sol, tu as failli mourir!»

Je suis en vie et malgré toutes les difficultés que nous pouvons traverser, je ressens toujours aussi fortement cette chance que j’ai eue de ne pas trépasser.

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Artiste peintre, conférencière, auteure… et quadruple amputée, Marie-Sol St-Onge partage sa façon de voir les choses qui l’entourent. Un angle de vue différent, mais toujours teinté d’humour et de positivisme.