Chronique|

Les fantasmes d’un ancien maire

Yves Lévesque est évidemment «très content, très heureux» de voir arriver Pierre Poilievre à la direction du Parti conservateur du Canada.

CHRONIQUE / Ainsi donc, l’ancien maire de Trois-Rivières est «très content, très heureux» de voir arriver Pierre Poilievre à la direction du Parti conservateur du Canada.


Il est tellement heureux, Yves Lévesque, qu’il se voit déjà soulever les bras de son homme, «Pierre», qu’il appelle par son prénom lors des prochaines élections fédérales qui n’auront probablement lieu que dans trois ans.

On ne peut empêcher un cœur d’aimer tout comme on ne peut empêcher un politicien enthousiaste d’avoir des fantasmes. De toute évidence, le militant Lévesque aime son chef de façon inconditionnelle. Mais parfois, l’amour est aveugle...



Me semble qu’il aurait dû laisser retomber la poussière – au terme d’une campagne à la direction marquée par des attaques en bas de la ceinture – avant d’encenser celui qu’il voit déjà comme le prochain premier ministre du Canada.

Me semble aussi qu’il va un peu vite en affaires, l’ancien maire qui a mordu la poussière à deux reprises, en 2019 et 2021 dans la circonscription de Trois-Rivières, en nous annonçant qu’il sera «le» candidat du Parti conservateur en vue des élections prévues en octobre 2025.

Si on le croit sur parole, cela signifie qu’on ne le reverra pas à l’hôtel de ville de Trois-Rivières dans un éventuel mandat à la mairie.

Un pays «libre»?

Le militant Lévesque a dit que le Canada était «à la croisée des chemins». On veut bien, mais c’est quoi, au juste, sa vision du nouveau Canada? Un pays «libre», comme l’a répété Pierre Poilievre à ses fidèles pour gagner leur confiance et leurs votes?

Un pays qui va ouvrir ses portes toutes grandes aux immigrants, qui va régler la crise de l’emploi en important de la main-d’œuvre? Un pays qui va carburer aux projets pétroliers et qui va relancer le controversé projet de GNL Québec au Saguenay-Lac-Saint-Jean?



Un pays à l’écoute des «pauvres citoyens» assommés par la hausse du prix de l’essence et des impôts de plus en plus lourds à porter? Un pays où tout sera «simple», avec une machine gouvernementale amincie [avec moins de fonctionnaires, moins de bureaucratie]?

Le militant Lévesque affirme que ce pays-là [sous le gouvernement de Justin Trudeau] manque de respect vis-à-vis des valeurs individuelles.

Il va même jusqu’à dire – comme on l’a lu dans Le Nouvelliste – que «la division est créée». On aimerait bien savoir, avec un peu plus de détails, de quelle division il veut nous parler.

Essaie-t-il de nous dire qu’avec Poilievre à la tête du pays, tout le monde [toutes les provinces, y compris le Québec] marchera du même pas et manifestera pacifiquement?

Et qu’il n’y aura plus jamais de blocus pendant des semaines, devant le Parlement, pour dénoncer les mesures sanitaires?

Les «illettrés»

On ne compte plus les déclarations et les insinuations de Pierre Poilievre à propos de ces «illettrés» qui dirigent la Banque de Canada et de ces «wokes» qui prennent position pour une plus grande justice sociale et qui estiment que la planète est malade.



Il en a dit des mots, en français et en anglais, le député de Carleton, au cours des derniers mois. Il nous promet maintenant de «remplacer ce vieux gouvernement». Il vient de sommer le premier ministre libéral de réduire les taxes et les impôts.

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Voici, textuellement, sa toute dernière déclaration :

«Je vous lance un défi, M. Trudeau, si vous comprenez la souffrance des Canadiens qui ne peuvent pas payer le prix de l’essence, qui ne peuvent pas acheter une maison, qui paient plus pour leur hypothèque à cause de l’augmentation des taux d’intérêt […], si vous comprenez la difficulté des Canadiens, faites un engagement aujourd’hui. Pas d’augmentation de taxes, pas d’augmentation d’impôt, réduisons les coûts de vie pour les Canadiens.»

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Il faut croire que ces «lignes» accrocheuses lui ont permis – et vont continuer de lui permettre - de se rallier l’appui des citoyens mécontents et en colère. Son discours, que certains pourraient qualifier, poliment, de polarisant, sera-t-il un peu plus pondéré quand viendra le temps de séduire un plus large électorat? Se fera-t-il rappeler à l’ordre par ses conseillers?

C’est à ce moment-là, quand la marmite va se mettre à chauffer, qu’on va pouvoir vérifier si le militant Lévesque a une réelle influence auprès de son chef. Il pourrait alors l’inviter à boire une tisane et lui suggérer d’être un peu moins arrogant à l’endroit de ceux qui ne pensent pas comme lui.

Dans la chaloupe

L’ancien maire de Trois-Rivières est déjà en campagne électorale. Il se prononce. Il est dans la même chaloupe que son chef. Est-ce le cas de tous les députés conservateurs du Québec? Sont-ils aussi enthousiastes à l’idée d’être dirigés par «Pierre», ce bon père de famille qui va nous libérer des libéraux?

L’ancien maire de Trois-Rivières, de toute évidence, ne craint pas d’afficher ses couleurs. Certains diront que c’est un excellent vendeur.

Un vendeur opportuniste? 

Faudrait voir ce qu’en pensent ses collègues – les députés conservateurs élus du Québec. Apprécient-ils qu’il s’affiche publiquement comme un «ami» de Pierre?

En politique, on a le droit d’avoir des amis. C’est tout particulièrement utile lorsqu’on veut monter dans la hiérarchie...



Chose certaine, tandis que le militant Lévesque parle, les députés du Québec sont plutôt discrets, à l’exception de Pierre Paul-Hus, qui a multiplié les entrevues dans les médias pour commenter la victoire de son chef.

Le député de Louis-Saint-Laurent, Gérard Deltell, n’était pas «disponible» pour commenter l’arrivée de Poilievre. On sait qu’il était derrière Jean Charest. Étonnamment, il a offert ses félicitations sur Twitter à «notre nouveau chef», allant jusqu’à affirmer que «nous avons maintenant deux ans pour préparer l’offre politique qui saura convaincre les Canadiens du bien-fondé de nos idées et notre parti».

Paraît-il qu’Alain Rayes, le député de Richmond-Arthabaska qui a imploré les conservateurs de ne pas voter pour Pierre Poilievre, pourrait parler mercredi.

Pas certain que l’ancien maire de Victoriaville le fera dans l’honneur et l’enthousiasme.

D’ici là, restez à l’écoute!