Lorsqu’on vit avec un handicap physique, voyager plusieurs fois par jour dans une plateforme élévatrice peut, à la longue, finir par devenir un irritant. À l’égal d’être pris dans une marée de voitures qui avance au ralenti soirs et matins, le trajet en ascenseur peut vite devenir redondant et improductif. Surtout lorsque la salle de bain et la cuisine sont sur un autre niveau que celui où l’on travaille.
Bien que chaque aller-retour ne gruge que trois minutes à mon horaire, c’est l’accumulation des trajets additionnés aux autres difficultés engendrées par mon handicap qui exacerbe la patience.
L’entrepreneur général responsable des rénovations pour adapter notre petite maison nous l’avait bien dit. Son expérience et sa sollicitude l’avaient poussé à nous questionner: était-ce préférable de déménager dans un plein pied? Au moment des amputations, nos deux enfants n’étaient âgés que de cinq et huit ans. Les déraciner de leur foyer, de leur vie de quartier, nous semblait être une épreuve de plus à leur faire subir.
La vie se construit au gré des choix et malgré les quelques inconvénients, je n’ai jamais eu aucun regret. Rester dans notre petit cocon choisi quelques années auparavant pour y voir grandir tout notre amour, nous a permis de rester forts en nous accrochant aux seuls repères qui restaient immuables.
Le monte-charge installé à l’intérieur a réglé tous les petits problèmes d’accessibilité. Il y a trois niveaux : le sous-sol, l’extérieur et le premier étage. Je peux donc circuler partout ainsi qu’entrer et sortir de chez moi sans me buter à des escaliers. Pendant les neuf premières années, je suis descendue au sous-sol pour créer.
J’avais rapidement appris à tout prévoir. Ma devise: ne jamais descendre ou monter les mains vides. Rendre les déplacements efficaces tout en les anticipant. Il y a bien eu quelques fois où je n’ai pas vu l’heure passer et j’ai parfois raté l’arrivée de mes petits amours. Au retour de l’école, les garçons avaient toujours des péripéties à nous raconter. Mais le temps de remonter dans l’élévateur bruyant, j’avais manqué toute la spontanéité du moment. Une fois rendue en haut, les enfants avaient fini de raconter leur journée à leur papa. Je les retrouvais assis au salon déjà en train de manger une collation, peu enclins à tout me répéter. Je me suis domptée et je me suis organisée pour être près de la porte d’entrée à la bonne heure pour les accueillir.
Il y a eu aussi toutes ces fois où je devais rester à l’étage pour ne pas manquer les colis livrés. Je suis certaine que plusieurs l’ont aussi remarqué, certains livreurs sont vites à laisser le petit papier et quitter. Ce n’est pas chouette d’avoir à demander à son amoureux d’aller chercher lui-même son cadeau-surprise (qui n’est plus une surprise) au bureau de poste. Et quand tu attends impatiemment une prothèse réparée en provenance de l’institut de réadaptation, c’est plutôt choquant de devoir attendre au lendemain pour récupérer le précieux colis.
Les années ont passé et les garçons ont grandi. La vie de famille a évolué permettant de reconfigurer les lieux. Grâce aux travaux exécutés de main de maître par mon amoureux, le sous-sol a accueilli les ados, et moi, j’ai pris possession de la chambre face à la salle de bain pour y installer mon atelier de peinture. La pièce est lumineuse et j’aperçois les hostas en fleur au travers de ma fenêtre. Je vois aussi arriver les camions de livraison.
Mais malgré le déménagement de mon atelier, mon élévateur reste essentiel. Je continue de l’utiliser presque chaque jour pour aller à la voiture et un peu moins souvent pour me rendre à la salle de lavage au sous-sol. Surtout, j’ai conservé ma liberté tout en gagnant en qualité de vie.
Et c’est exactement depuis ce temps que la circulation est devenue plus fluide.
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Le Programme d’adaptation de domicile (PAD) de la Société d’habitation du Québec (SHQ) offre des subventions aux personnes handicapées pour l’installation, l’entretien et la réparation des équipements adaptés.
Pour les enseignants ou les directions d’école, à noter que je suis maintenant membre du répertoire culture-éducation.
Bonne rentrée à tous !