Les réductions proposées sont imposantes. Si la CAQ est réélue, elle renoncera à 2 milliards de dollars pour chacune des quatre années de son mandat en diminuant d’un point de pourcentage les deux premiers paliers d’imposition. Ses chèques de 400 ou 600$ par citoyen coûteront pour leur part 3,5 milliards. Total: 11,5 milliards sur quatre ans.
Même s’il est improbable que les libéraux de Dominique Anglade prennent le pouvoir, ils renonceraient à environ 3 milliards $ par année en diminuant encore plus les deux premiers taux d’imposition, en suspendant la TVQ sur certains biens de consommation et en bonifiant le crédit d’impôt pour les gagne-petit. Le PQ de Paul St-Pierre-Plamondon renoncerait à environ 6 milliards $ par année en versant des chèques ponctuels — appelés «allocations pouvoir d’achat» — deux fois plus généreux que ceux de François Legault. QS se priverait de 2 milliards de dollars en donnant congé de TVQ sur certains biens tant que l’inflation est élevée, tandis que les conservateurs d’Éric Duhaime réduiraient les impôts généraux de 6 milliards de dollars par an.
À Ottawa, on prend note de toutes ces promesses, et en particulier de celles de François Legault qu’on estime les plus susceptibles de se réaliser. «En cette deuxième journée de la campagne, M. Legault a déjà promis pour 11 milliards de dollars de mesures fiscales. C’est presque le double de ce que recevrait le Québec si les transferts en santé augmentaient de 28 milliards comme le demandent les provinces», faisait remarquer lundi une source haut placée dans le gouvernement de Justin Trudeau.
La comparaison n’est pas tout à fait exacte. Les 11,5 milliards de M. Legault porteraient sur quatre années. Si la demande des provinces était exaucée, elle rapporterait 6 milliards par an au Québec, c’est-à-dire 24 milliards pendant la durée du prochain mandat. Qu’importe. Les chiffres ici ne sont pas aussi importants que le message. Ottawa conclut que le problème de sous-financement du secteur de la santé ne doit pas être aussi important qu’on le dit si on peut s’offrir un tel répit.
Cela n’est pas sans rappeler l’affrontement de 2007-2008 entre Stephen Harper et Jean Charest. À cette époque, les provinces canadiennes, le Québec en tête, plaidaient qu’il existait un «déséquilibre fiscal» et invitaient Ottawa à se montrer plus généreux. De guerre lasse, Stephen Harper avait bonifié les transferts fédéraux dans le budget de 2007. Jean Charest, alors en campagne électorale, avait immédiatement annoncé que la quasi-totalité de la part du Québec (700 millions) irait en baisses d’impôts. Les conservateurs s’étaient sentis floués. Lors de sa propre campagne de réélection l’année suivante, Stephen Harper n’avait pas manqué, de passage à Saguenay, de référer à cet épisode pour refuser catégoriquement toute aide additionnelle. L’animosité de M. Harper pour Jean Charest dans l’actuelle course à la chefferie conservatrice vient d’ailleurs en partie de là.
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Jadis comme aujourd’hui, les faits sont plus complexes qu’il n’y paraît. Le «déséquilibre fiscal» fait référence au fait qu’Ottawa dispose d’un espace fiscal trop grand pour les responsabilités qu’il assume. Cela est indépendant de l’utilisation réelle de cet espace fiscal. Il est donc tout à fait possible qu’Ottawa sombre dans les déficits (comme en ce moment) et que les provinces nagent dans les surplus (comme semblent le croire les chefs québécois) sans que cela ne prouve que le déséquilibre s’est résorbé ou inversé.
Des cadeaux partout
En cette période d’inflation débridée, plusieurs provinces ont offert des congés fiscaux à leurs citoyens. L’Alberta a suspendu sa taxe de 13 cents sur l’essence tandis que l’Ontario l’a réduite de 5,7 cents. La Saskatchewan a annoncé la semaine dernière qu’elle enverra elle aussi des chèques de 500$ à ses citoyens. Les chèques de l’Île-du-Prince-Édouard sont plutôt de 150$, tout comme ceux de la Nouvelle-Écosse, toutefois réservés aux bénéficiaires de l’aide sociale. À part le Nouveau-Brunswick, qui a haussé légèrement le seuil à partir duquel les travailleurs commencent à payer de l’impôt, aucune province autre que le Québec ne prévoit se priver de manière permanente d’une part significative de ses revenus.
Cela ne passe pas inaperçu. Encore mercredi, Justin Trudeau a soutenu que l’argent n’est pas une panacée. «Ce n’est pas juste une question de plus d’argent. Il faut qu’on ait des résultats concrets pour les Canadiens, les Québécois. […] Il y a trop de gens qui n’ont pas de médecin de famille, qui attendent trop longtemps pour avoir des services de santé mentale. Nous allons être là avec des investissements de plus, mais nous devons pouvoir rassurer tous les Canadiens que tous les investissements, qu’ils soient provinciaux ou fédéraux, vont livrer de vrais résultats, de vraies améliorations dans le système de santé.»
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M. Trudeau semble croire que les 25 milliards de dollars sur cinq ans qu’il a promis en campagne électorale (pour embaucher du personnel médical, réduire les temps d’attente, etc.) réussiront là où les milliards provinciaux échouent. Appelons cela la touche fédérale. Il renoue ainsi avec les vieux réflexes de Jean Chrétien qui, en contrepartie de sa «générosité», exigeaient des provinces qu’elles lui rendent des comptes.
Cette posture paternaliste n’est pas de nature à plaire à Québec. Mais en se disant capable de se priver d’importantes sommes, le Québec semble donner raison à Ottawa que le problème en est un d’organisation. Cela risque de conforter le général fédéral qu’il lui suffira de dicter les ordres pour que tout rentre dans l’ordre.