En fait, la question ne fait que revenir dans la campagne électorale, puisque le débat est bien là depuis le début de la pandémie et relancé depuis quelques semaines par les enjeux de qualité de l’air à Rouyn-Noranda et Limoilou.
Pour rappel, on apprenait il y a quelques semaines que des données portant sur les cas de cancer du poumon à Rouyn-Noranda ont été retirées à la dernière minute d’un rapport, et ce, à la demande de l’ex-directeur national de la santé publique. Sans parler des normes tolérées par le ministère de l’Environnement concernant les particules d’arsenic à Rouyn-Noranda ou de nickel à Limoilou.
Les directions régionales de santé publique se sont d’ailleurs opposées en bloc, l’hiver dernier, à l’augmentation de la limite de concentration de nickel. Une position opposée au directeur national de santé publique qui a maintenu son appui pour le changement de la norme.
En partant de ce cas de figure, on pourrait se dire que les directions peuvent exprimer leur désaccord sans problème, mais ce serait une lecture un peu rapide.
Au micro de Patrick Lagacé, Mélissa Généreux a expliqué le devoir d’un ou d’une directrice de santé publique, qu’elle soit régionale ou nationale, est « d’identifier les menaces à la santé de la population » et « d’informer la population » de ces menaces et des mesures pour s’en protéger.
Lorsqu’elle était directrice régionale de la santé publique en Estrie, elle a déclaré qu’il est arrivé que le gouvernement tente de la ralentir pour préparer un plan de communication ou de nuancer les propos lorsqu’elle voulait informer la population d’une menace.
Elle a aussi donné un exemple bien concret, qui remonte à l’époque des libéraux : « Quand on s’est fait couper de notre budget de 30 % du jour au lendemain […] on nous interdisait de dire que ça avait des impacts concrets, c’était un peu insultant. »
Présentement, le directeur national de santé publique est aussi sous-ministre adjoint au ministère de la Santé. Un sous-ministre, c’est un fonctionnaire du gouvernement sous l’autorité du ministre de la Santé et du premier ministre. Même s’il n’est pas d’accord, il doit suivre leurs décisions. Donc, que se passe-t-il quand une politique minimise une menace pour la santé publique? Quelle marge de manœuvre a la santé publique? Jusqu’où peut-elle critiquer le gouvernement?
Parce que oui, il y a des politiques qui ne favorisent pas la santé publique. L’exemple des taux de nickel ou d’arsenic sont deux bons exemples. On pourrait en sortir aussi dans les transports, en éducation, en urbanisme. Ce n’est pas vrai que la santé de la population est toujours priorisée ni même protégée. La direction de la santé publique devrait pouvoir critiquer les politiques du gouvernement lorsque nécessaire. Affirmer ses désaccords.
Québec solidaire n’est pas tout seul à réclamer une indépendance entre la santé publique et le gouvernement. Le Parti québécois aussi en parle depuis un bout. Le Collège des médecins croit aussi que l’indépendance servirait mieux la population. La Commissaire à la santé et au bien-être du Québec croit qu’il faut un « pouvoir explicite » et « indépendant » pour bien informer la population. La coroner Géhane Kamel a fait cette recommandation dans son rapport sur les décès dans les CHSLD pendant la pandémie.
Bref, bien du monde croit que ce serait mieux ainsi. Même le ministre de la Santé, Christian Dubé, l’a déjà dit dans une mêlée de presse : « Idéalement, on devrait séparer les postes de directeur de la santé publique et de sous-ministre. » Sans pour autant faire quoi que ce soit dans cette direction.
Ceci dit, vient tout de même un dilemme, si la direction nationale de la santé publique devient trop indépendante ou sort de la structure gouvernementale, elle perd de son influence et elle ne fera que produire des rapports qui feront parler quelques jours, comme il arrive souvent avec la Vérificatrice générale ou la Commissaire à la santé et au bien-être du Québec.
Il y a un équilibre à trouver entre une position qui permet de critiquer le gouvernement sans avoir la crainte de perdre son poste et une position suffisamment intégrée aux rouages pour influencer les décisions.
L’idée que cette personne soit nommée par les deux tiers de l’Assemblée nationale est une avenue. En théorie, si la CAQ termine avec plus que les deux tiers des sièges le 3 octobre, ça change un peu la donne, mais le principe est d’avoir l’aval des partis d’opposition afin de donner les coudées franches à la direction de la santé publique. Diviser les postes aussi est une piste évoquée, un sous-ministre seulement sous-ministre et une direction de la santé publique qui agit comme expertise et comme chien de garde.
Une chose semble rejoindre une majorité de personnes, il faut réaffirmer la crédibilité et la confiance envers la santé publique, qui a été mise à mal pendant la pandémie et les récentes normes de qualité de l’air. Il y a une ligne floue, on ne sait pas quand commencent les décisions politiques et où s’arrêtent les recommandations de la santé publique. Je ne suis pas sûr que ce soit la population qui en sort gagnante.