Ce contenu est produit par l'Université Laval.
L’Antarctique est un immense continent vierge. Seules les bases scientifiques et logistiques de la communauté internationale témoignent d’une présence humaine, qui s’élève actuellement à environ 350 personnes en été et 125 en hiver. En 2016 et 2017, le professeur Dermot Antoniades du Département de géographie, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en environnement aquatique et qualité de l’eau et spécialiste des écosystèmes aquatiques, en particulier ceux des régions polaires, a effectué une étude de terrain d’environ trois semaines en chaque occasion sur des lacs environnant la base scientifique où il résidait. D’abord celle de l’Uruguay, ensuite celle du Chili. Ces bases sont situées sur la péninsule Fildes de l’île du Roi-George, où se trouvent plusieurs bases de recherche aménagées depuis les années 1960 et occupées 12 mois par an.
«Je participe à un important projet de recherche international sur la santé des lacs de la péninsule Fildes et sur les perturbations que l’on y observe, explique-t-il. Ce projet implique des partenaires et chercheurs de l’Uruguay, du Chili, de l’Espagne et du Canada. Je suis le chercheur principal du volet financé par le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologie. Le projet de recherche vise à savoir si les perturbations sont causées par la circulation aérienne, le trafic de véhicules lourds, comme les camions et les tracteurs, et la production d’électricité à l’aide de combustibles fossiles ou bien si elles sont une conséquence du dérèglement du climat.»
Le premier contact du chercheur avec le continent remonte à 2008. «Durant mon postdoctorat, raconte-t-il, mon directeur a eu la possibilité d’envoyer un chercheur en Antarctique dans le cadre de l’Année polaire internationale. J’ai participé à un projet sur la reconstitution du climat du passé. C’est là où a commencé mon intérêt pour ce continent. Pendant mes études aux cycles supérieurs, j’avais fait des reconstitutions climatiques, principalement dans le Haut-Arctique canadien. Il y a des similarités dans l’environnement de ces deux pôles.»
Le projet réunit des chercheurs de l’Institut de recherche biologique Clemente Estable de Montevideo, de l’Université de Concepción et de l’Institut GEO3BCN-CSIC de Barcelone. Deux étudiants de l’Université Laval collaborent ou ont collaboré au projet. Florencia Bertoglio Baqué, doctorante en sciences géographiques, travaille sur les analyses de l’ADN des bactéries et sur les pigments photosynthétiques, en carottes de sédiments et dans les échantillons d’eau. Elle était sur le terrain en 2017. Samuel Yergeau, pour sa part, a travaillé, lorsqu’il était à la maîtrise, sur les analyses des diatomées et des métaux dans les carottes de sédiments extraites du fond des lacs. Il ne s’est pas rendu en Antarctique.
Analyser de l’eau et des carottes de sédiments
Les chercheurs ont prélevé des échantillons dans sept lacs, mais les analyses ont été faites sur les prélèvements de six d’entre eux. On a mesuré sur place et avec une sonde multiparamétrique la conductivité et le pH des eaux dans la colonne d’eau des lacs. L’analyse des carottes de sédiments lacustres extraites s’est déroulée dans les quatre pays participant au projet. Le but était de reconstituer une ligne du temps entre l’époque actuelle et celle antérieure à l’arrivée des humains afin de comparer les conditions biotiques entre les deux périodes.
«En faisant le comptage des diatomées – des microalgues photosynthétiques vivant dans l’eau –, Samuel a noté qu’il y avait des déformations reproductives récentes et que les lacs les plus proches de l’aéroport, où se trouve l’activité humaine la plus intense, présentaient un taux de déformation plus élevé que dans les autres lacs, explique Dermot Antoniades. Des avions arrivent sur la piste d’atterrissage toute proche du lac le plus contaminé.»
Les analyses dans les sédiments de métaux lourds ont permis d’observer que certains de ces métaux, comme le zinc, ont vu leur concentration augmenter dans les lacs où l’on a observé les déformations, elles aussi en augmentation, des diatomées. Ainsi, la pollution engendre un stress auquel les microalgues réagissent en développant des déformations reproductives.
Selon le professeur, ces observations ne sont pas nécessairement une preuve que les métaux et l’activité anthropique ont causé les déformations. «Mais, poursuit-il, il y a une preuve circonstancielle que les activités humaines sont possiblement en train d’affecter les communautés biologiques dans certains lacs.»
Des parallèles entre les lacs du Nord et ceux du Sud
Le chercheur souligne le fait que l’activité humaine est plus intense sur la péninsule Fildes que dans la grande majorité de l’Arctique canadien.
De nombreux parallèles existent entre les écosystèmes aquatiques du Nord et ceux du Sud. «Les deux ont des régimes climatiques similaires, dit-il, de longues périodes où la couverture de glace domine les processus aquatiques, de longues périodes d’obscurité en hiver et de longues périodes de lumière constante en été. Il faut aussi mentionner de faibles concentrations de nutriments et une faible densité de végétation dans leurs bassins versants, et, pour la grande majorité des écosystèmes aquatiques, peu ou pas d’impacts anthropiques directs.»
Un des buts du projet en Antarctique consiste à imaginer dans quelle mesure l’activité humaine en croissance dans le Grand Nord québécois pourrait affecter les écosystèmes aquatiques.
«Le projet, explique Dermot Antoniades, peut démontrer que les lacs polaires sont très sensibles aux perturbations et que, même à une intensité relativement faible, les activités humaines peuvent avoir des impacts sur le biote des écosystèmes. Même si superficiellement il n’y a pas nécessairement d’impacts perceptibles, des changements subtils peuvent se produire. Une surveillance attentive des écosystèmes est donc nécessaire.»
Maintenant dans sa phase finale, le projet devrait prendre fin l’an prochain.
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