Chronique|

«C'est à soir que tu vas savoir c'est quoi un homme»

Sur 600 000 hommes victimes de harcèlement sexuel, 100 000 l'ont été par des prêtres ou autres religieux.

CHRONIQUE / Lorsqu'elle s'est fait violer par un prêtre dans un presbytère de Saint-Marc-des-Carrières dans Portneuf alors qu'elle n'avait que 17 ans, France Bédard était paralysée de stupeur, incapable de se défendre, les mains au ciel.


«C'est à soir que tu vas savoir c'est quoi un homme», lui a-t-il dit, avant de lui faire perdre sa virginité de manière brutale.

Non seulement le nouveau vicaire de la paroisse, Armand Therrien, venait de lui voler sa jeunesse et marquer sa vie à jamais, il lui avait conçu un enfant.

Des histoires comme celle-là, il y en a des dizaines de milliers, que l'Église a voulu enterrer durant des décennies, et qu'elle tarde aujourd'hui à reconnaître.

Ce qui frappe de la série documentaire Priez pour nous, déjà disponible sur Crave et diffusée à Canal D à partir du vendredi 26 août à 21h, c'est que l'Église tente encore par tous les moyens de ralentir le processus judiciaire dans les recours collectifs de victimes d'agression sexuelle par des religieux.

Ce qui va totalement à l'encontre de sa mission de bienveillance, de rédemption, de charité chrétienne.

Suzanne Tremblay alors qu'elle était victime d'agression sexuelle à Chicoutimi.

On le savait, mais ça nous saute encore plus en plein visage en regardant la série.

En voyant agir l'Église, un avocat de victimes a cette image en parlant des autorités religieuses, qui «préfèrent payer leurs avocats que de payer les victimes».

On assiste aussi au long combat de Suzanne Tremblay, très attachante tout au long de la série, pour obtenir justice après avoir été victime d'agression sexuelle durant son enfance à Chicoutimi.

Elle a conservé son premier livret de caisse scolaire où étaient inscrits les cadeaux en argent que lui faisait l'abbé Paul-André Harvey pour la récompenser. Quand elle était docile.

Bien entendu, ses parents avaient confiance en cet homme que tout le monde aimait.

D'autres prêtres savaient ce qu'elles vivait, complices dans le secret. «Fais-toi s'en pas, ça va passer», lui disaient-ils.

Quand elle a dénoncé, on l'a intimidée jusqu'à la lapider. On voulait lui faire comprendre qu'elle avait eu tort de s'en prendre à un homme d'Église.

Certains rêvent de la plus belle voiture, Suzanne Tremblay rêvait de traîner l'Église devant la justice et elle y est parvenue, non sans patience et sans peine.

La série donne aussi la parole à des hommes victimes de religieux ou de religieuses durant leur enfance. Sur 600 000 hommes victimes de harcèlement sexuel, 100 000 l'ont été par des prêtres ou autres religieux. C'est énorme.

Au dernier épisode, un prêtre emprisonné durant près de cinq mois pour avoir consommé et produit de la pornographie juvénile s'ouvre à la caméra sur sa thérapie, pour ne plus jamais que ça se reproduise. Il admet qu'on n'en guérit pas, mais que le but est de ne pas recommencer.

Même s'il a respecté une promesse électorale en abolissant le délai de prescription dans la dénonciation d'abuseurs, le gouvernement de la CAQ refuse toujours de tenir une commission d'enquête publique sur les cas d'agressions sexuelles par des religieux. La ministre de la Justice Sonia LeBel plaide que ça n'apporterait rien de plus aux victimes, une réponse qui étonne.

Le réalisateur Jean-François Poisson a réalisé d'excellentes séries ou films documentaires, dont L'Ordre du Temple solaire et le récent Marie-Soleil et Jean-Claude: au-delà des étoiles. Il ne déçoit pas avec Priez pour nous, un portrait en quatre épisodes d'une situation intolérable, revenue en force dans l'actualité avec les pensionnats autochtones.

On constate à travers la série qu'avec son équipe, il essaie fort de donner la parole aux autorités religieuses. Des échanges de courriels rocambolesques, où rendez-vous d'entrevues se succèdent à des refus aussi soudains qu'inexplicables.

Au final, l'archevêque de Montréal, Mgr Christian Lépine, entre autres, ne voudra jamais répondre aux questions de l'équipe après avoir pourtant dit oui à deux reprises.

Seuls deux évêques tiendront leur promesse, Mgr Paul-André Durocher, du diocèse de Gatineau, et Mgr René Guay, du diocèse de Chicoutimi.

Ça en dit long sur la gestion du dossier des agressions sexuelles par l'Église; le malaise est tenace et les intentions de réparation tardent à venir.

Désolant.

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