Les promesses électorales éternelles

Certains engagements électoraux sont pris depuis tellement longtemps, qu’on peine à croire qu’ils se concrétiseront un jour. Mais pourquoi certaines promesses semblent impossibles à réaliser?


Le scrutin proportionnel 

La réforme du mode de scrutin est certainement la promesse la plus souvent brisée depuis un demi-siècle. Le Parti québécois (PQ) de René Lévesque a pris l’engagement de réformer le mode de scrutin dès 1969. Bien que la promesse soit restée dans le programme du parti jusqu’en 2011, le PQ ne l’a jamais mise en application. Au début des années 1970, le premier ministre libéral Robert Bourassa a tenté de réformer le mode de scrutin, mais sans succès. 

Il s’agissait à nouveau d’une promesse phare de la Coalition avenir Québec en 2018. Comme plusieurs autres premiers ministres avant lui, François Legault l’a abandonnée en 2021. La question a récemment refait surface à l’Assemblée nationale avec les récents sondages qui prédisent que la CAQ pourrait remporter 80% des sièges avec 40% du vote. 

Les premiers ministres Robert Bourassa et René Lévesque ont tous deux tenté de réformé le mode de scrutin au Québec, mais sans succès.

Pour Lisa Birch, professeure associée à l'Université Laval et directrice adjointe du Centre d'analyse des politiques publiques, la raison est simple: un parti qui a pris le pouvoir grâce au scrutin actuel a peu d'appétit pour le changer. «Les partis qui arrivent premier ou deuxième ont moins d'intérêt pour la chose.»

La professeure émet toutefois une nuance quant à cette réforme très complexe. «Les autres provinces qui ont tenté de réformer le mode de scrutin par référendum l’ont perdu. Une des raisons, c’est que les gens ne comprenaient pas la logique du nouveau système», affirme la professeure, qui est aussi responsable du Polimètres, un outil qui évalue si les gouvernements remplissent leurs promesses électorales. 

Le mode de scrutin proportionnel tend aussi à faire élire des gouvernements minoritaires qui doivent collaborer avec les autres partis. «Une tranche de l'électorat préfère un gouvernement fort», observe Lisa Birch.

Un médecin de famille pour tous

Plusieurs gouvernements ont promis un médecin de famille pour tous les Québécois. En 2014, le PQ promettait de régler ce problème d’ici deux ans. C’était aussi une promesse de la CAQ, qui l’a abandonnée en annonçant sa refonte du système de santé, en mars dernier. Maintenant, le ministre de la Santé, Christian Dubé, souhaite que les Québécois aient accès à un médecin ou à un autre professionnel de la santé (comme une infirmière) dans un délai raisonnable. Près d’un million de Québécois sont encore sur la liste d’attente pour avoir un médecin de famille.

Plusieurs partis ont promis un médecin de famille pour tous les Québécois.

Selon Lisa Birch, les gouvernements promettent parfois des réformes, sans avoir le plein contrôle des paramètres qui y sont associés. «Ça prend beaucoup d'années pour former des médecins. Certains préfèrent aller dans des spécialités [...] et la population est vieillissante. Ça crée de la pression sur le système», explique-t-elle. Même en augmentant les quotas dans les facultés de médecine, affirme la professeure, il faudra entre 4 à 8 ans pour voir les effets sur le système de santé. 

Le troisième lien

Bien qu’on ait beaucoup parlé du troisième lien dans les dernières semaines, il faut savoir que le projet était déjà dans les cartons dans les années 1970. À l’époque, le journal L’Action Québec mentionne que le projet pourrait coûter plus de 100 millions $. La forme que devait prendre le lien entre Québec et Lévis était aussi sujette à débat. Plusieurs scénarios ont été étudiés: un pont suspendu, un pont-tunnel, un système de bateau ou d’autobus express et même un téléphérique.

Le projet de troisième lien était déjà dans les cartons dans les années 1970.

Plus récemment, lors de son élection en 2018, la CAQ a affirmé son engagement pour un troisième lien. La construction devait d’ailleurs commencer avant les élections de 2022. À quelques mois des élections, la forme du projet a changé: le ministre des Transports, François Bonnardel, veut maintenant construire deux petits tunnels pour relier Québec et Lévis. Des travaux préparatoires ont lieu cet été.

Selon Lisa Birch, certains projets, comme le troisième lien par exemple, tardent à se concrétiser en raison de contestations. «Il y a des groupes qui vont s'opposer aux changements pour toutes sortes de raisons et qui vont aller dans les médias organiser des manifestations ou faire des tournées des députés pour essayer de faire valoir leur perspective. On a tendance à penser que le gouvernement est tout puissant. Oui, mais nous vivons en démocratie.»

«Quatre ans, c'est court»

La professeure Birch affirme qu’un mandat est un délai relativement restreint pour mettre en place des réformes importantes. «Pour certaines promesses qui demandent de moderniser tout un secteur des politiques publiques, quatre ans, c'est court», explique-t-elle. 

On a parfois tendance à oublier les nombreuses embûches auxquelles sont confrontés les législateurs, poursuit la professeure. «On se bute à la complexité de la vie politique, des limites du pouvoir de l'État, les groupes de pression, l'opinion publique.»

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DES PROMESSES ÉTERNELLES DANS NOS RÉGIONS

La 50, l’autoroute mal nommée

Trop dangereuse pour certains, livrée de façon incomplète pour d’autres, l’autoroute 50 entre Mirabel et Gatineau fait l’objet de railleries dans les réunions familiales de l’Outaouais. Après l’ouverture du dernier tronçon entre Thurso et Papineauville, le 26 novembre 2012, les automobilistes ont été rapidement déçus de ne voir qu’une seule voie dans chaque direction sur plusieurs kilomètres. Les face-à-face, graves et mortels, se sont succédé. Le projet a été abordé une première fois par les libéraux en 1962. L’Union nationale a annoncé sa construction en 1970 et un premier tronçon de quatre kilomètres, entre l’autoroute 5 et le boulevard Gréber, a été fait en 1976. Pas moins de 46 ans plus tard, soit le 11 mars 2022, le gouvernement de la CAQ annonçait que la 50 sera élargie à quatre voies sur toute sa longueur... d’ici 10 ans.

Encore aujourd'hui, l'autoroute 50 n'a qu’une seule voie dans chaque direction sur plusieurs kilomètres.

Un nouvel hôpital en Outaouais

Dès les années 1970, l’hôpital Sacré-Coeur, dans l’ancienne ville de Hull, ne répond plus aux besoins grandissants de la population. En 1980, sous l’égide du député péquiste Jean Alfred, un nouvel hôpital de 300 lits est construit à l’est, dans l’ancienne ville de Gatineau. Les besoins en santé ne diminuent pas. En 2016, une coroner affirme que l’urgence à l’hôpital de Gatineau est «parmi les pires du monde occidental pour les délais de soins». En mars 2022, le gouvernement Legault promet toujours la construction d’un Centre hospitalier affilié universitaire de l’Outaouais - un véritable campus - mais le site de sa construction est contesté par des groupes de citoyens, qui le voient davantage au centre-ville qu'en banlieue, dans les Hautes-Plaines. En juin, Québec annonce la construction de l'hôpital plus près du centre-ville, dans un quadrilatère de 325 000 mètres carrés situé près du Casino du Lac-Leamy.

C'est dans ce quadrilatère de 325 000 mètres carrés, situé près du Casino du Lac-Leamy, que sera construit le nouvel hôpital de l'Outaouais,

Le doublement de l’A55 entre Bécancour et Sainte-Eulalie

En 1975, le ministère des Transports faisait de la construction de l’autoroute 55, de Shawinigan jusqu’à la frontière des États-Unis, l’une de ses priorités. Or, le tronçon de 27 kilomètres entre Bécancour et Sainte-Eulalie au Centre-du-Québec n’est encore qu’une simple route à deux voies. Il est régulièrement le théâtre de tragiques accidents. Des citoyens revendiquent depuis des années le doublement de cette artère trop fréquentée pour ne pas être une «vraie» autoroute. En 2020, le gouvernement caquiste s’est engagé à ce que les travaux tant attendus commencent avant la fin de son mandat. Aucun gouvernement ne s’était mouillé de la sorte. En juin, le ministre des Transports, François Bonnardel, a dévoilé les détails de ce projet de 340 millions $, dont les travaux s’échelonneront jusqu’en 2028. Mais on attend toujours la première pelletée de terre…

Le tronçon de l'autoroute 55 entre Bécancour et Sainte-Eulalie n’est encore qu’une simple route à deux voies.

Le réaménagement de la tête des ponts de Québec

Annoncé en 2011, le réaménagement de la tête des ponts avait pour objectif de reconstruire les échangeurs à l'entrée des ponts de Québec et Pierre-Laporte. Initié par l’ancien maire de la ville, Régis Labeaume, et le ministre responsable de la région de la Capitale-Nationale d’alors, Sam Hamad, le réaménagement de la tête des ponts se fait toujours attendre. François Legault en avait fait l’une de ses priorités pour la région de Québec – avec le troisième lien – après son élection en 2018. Début août, Le Soleil révélait que le ministère des Transports du Québec estime être arrivé à une version à peu près définitive du plan de ces échangeurs. Une première phase d'appel d'offres devrait être lancé en 2023. Actuellement, aucune échéance claire n’a été fixée, mais le ministre des Transports, François Bonnardel a affirmé que le projet allait se concrétiser avant… 2031.

Il faut reconstruire les échangeurs à l'entrée des ponts de Québec et Pierre-Laporte.

Une vocation pour les Nouvelles-Casernes

On attend toujours de connaître la vocation des Nouvelles-Casernes situées dans le Vieux-Québec.  La Commission de la capitale nationale du Québec a lancé un appel à tous afin de recueillir des propositions en janvier 2014. Aucune option soumise n’a été jugée satisfaisante. En 2018, une séance de remue-méninges a été organisée. On proposait notamment de transformer les casernes en un lieu public de divertissement quatre saisons; un site dédié à l’univers agroalimentaire; un centre familial comptant une garderie ou encore une microbrasserie. Encore une fois, aucune option n’a été retenue. Et les travaux de sauvetage des bâtiments érigés entre 1749 et 1752 ne sont toujours pas terminés.

Les bâtiments des Nouvelles-Casernes sont situés dans le Vieux-Québec.

La fin des horaires de faction des paramédics

Après un accident de la route impliquant des paramédics d’Acton Vale, le caquiste François Bonnardel a promis en 2018 que les horaires de faction seraient revus, si son parti était élu. Ces horaires obligent des équipes de deux à être de garde à la maison ou en caserne 24h sur 24, durant une période de sept jours, avant d’être en congé les sept jours suivants. Les risques associés au manque de sommeil, s’ils sont appelés plusieurs fois par nuit, ainsi que la piètre qualité de vie, sont décriés depuis plus de 20 ans. Des horaires à l’heure ont été accordés à certaines municipalités, comme la région de Bedford qui pourra changer de mode de gestion, en Montérégie, mais les horaires de faction font toujours parti du vocabulaire et de la vie de bien des paramédics. Ces horaires ont été créés au Québec en 1984 et devaient être temporaires. 

Les horaires de faction obligent des équipes de deux paramédics à être de garde à la maison ou en caserne 24h sur 24, durant une période de sept jours.

L’autoroute entre Alma et La Baie

La construction de l'autoroute Alma-La Baie se fait attendre depuis des années. Alors que l'aménagement de cette autoroute a débuté dans les années 1980, les deux extrémités ne sont toujours pas complétées. Le dossier revient à chaque élection provinciale. Les candidats qui se sont succédé ont presque tous avancé que cette infrastructure serait terminée sous leur règne. C'est encore le cas des députés caquistes de la région, qui ont annoncé, en juin dernier, que des nouveaux travaux de plus de 300 millions $ seraient amorcés en 2022 pour terminer l'extrémité La Baie de l'autoroute.

Les deux extrémités de l'autoroute entre Alma et La Baie ne sont toujours pas complétées.

Le bloc opératoire de l'hôpital de Chicoutimi 

Les électeurs du Saguenay-Lac-Saint-Jean se font promettre l'agrandissement du bloc opératoire de l'hôpital de Chicoutimi depuis longtemps. Moins d'un an avant les élections de 2018, Gaëtan Barrette, alors ministre libéral de la Santé, était de passage à Saguenay pour annoncer le projet d'agrandissement du bloc opératoire de l'hôpital de Chicoutimi. Un projet attendu depuis plusieurs années et évalué à près de 80 millions $. Les travaux devaient débuter en 2020. La CAQ a pris le pouvoir en 2018 et le projet a été revu. En mai dernier, à quelques mois des prochaines élections provinciales, le ministre de la Santé Christian Dubé s'est déplacé à Saguenay pour annoncer le même projet, mais avec une enveloppe de plus de 400 millions $. Les travaux, si on se fie à cette promesse, devraient débuter d'ici 2024.

L'agrandissement du bloc opératoire de l'hôpital de Chicoutimi est attendu depuis longtemps.

La liaison ferroviaire entre Montréal et Sherbrooke

Le chemin de fer entre Montréal et Sherbrooke sera-t-il réhabilité au point de permettre le transport de passagers entre les deux villes, en passant notamment par Bromont? Le projet faisait déjà partie des réflexions du Bloc Québécois en 2006. Il avait reçu l’appui du chef Gilles Duceppe en 2008. Si Via Rail avait mené une étude de marché peu concluante en 2009, l’homme d’affaires et ancien député péquiste François Rebello a repris le flambeau en 2015 et avait dû composer avec un enthousiasme modéré du député libéral provincial de Sherbrooke, Luc Fortin. Celui-ci avait finalement donné son appui au projet lors des élections de 2018, comme les candidats péquistes et de la CAQ. La même année, Christine Labrie, élue députée de Sherbrooke, promettait un train électrique entre Sherbrooke et Montréal. En 2019, on estimait qu'une contribution de Québec de 18 M$, sur un projet d'environ 80 M$, pourrait être nécessaire pour la concrétisation de la liaison ferroviaire.

La gare centrale de Via Rail à Montréal. 

Avec Louis-Denis Ebacher, Cynthia Laflamme, Mathieu Lamothe, Laura Lévesque et Jonathan Custeau