Chronique|

La fin du «cheap labor» dans le transport scolaire?

Les transporteurs scolaires se sont entendus vendredi avec Québec, ce qui met fin au scénario du pire alors qu’on craignait la paralysie du transport des écoliers et des étudiants lors de la rentrée.

CHRONIQUE / Contre toute attente, les transporteurs scolaires se sont entendus vendredi avec le gouvernement du Québec et son ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, ce qui met fin au scénario du pire alors qu’on craignait la paralysie du transport des écoliers et des étudiants lors de la rentrée 


Une bonne nouvelle pour les parents, à qui on avait proposé de se transformer en chauffeurs d’occasion, avec un plan B, faute d’autobus jaunes pour conduire leurs enfants à bon port, à l’école primaire ou à l’école secondaire.

Mais avant de sortir les tambours et les trompettes, il faudra voir ce que renferme cette entente, d’une durée de six ans, censée améliorer le sort des transporteurs et celui, tout aussi important, des 10 000 conducteurs et conductrices.

On peut se poser LA question: est-ce la fin du «cheap labor» dans le transport scolaire? 

Pour y répondre, mettons-nous un seul instant dans la peau de ces hommes et de ces femmes, dont la moyenne d’âge est de 55 ans, qui doivent se contenter d’un salaire annuel de 20 000 dollars.

Bien qu’ils soient sous-payés, on leur demande d’avoir une «conduite» exemplaire, d’être toujours à l’heure, et de faire la discipline dans leur autobus jaune.

On exige d’eux qu’ils et elles (parce qu’il y a beaucoup de femmes qui conduisent des véhicules) soient «disponibles» une douzaine d’heures par jour à un taux horaire qui se situe tout juste au-dessus du salaire minimum.

Parce qu’il faut savoir qu’on travaille quelques heures le matin, quelques heures l’après-midi, pour satisfaire aux exigences des centres de services scolaires.

Pas pour rien que 1500 conductrices et conducteurs manquaient à l’appel à la grandeur du Québec, le printemps dernier. 

Ce métier-là n’est pas valorisé. C’est ce que m’a confié Josée Dubé, 51 ans, présidente du Secteur transport scolaire de la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP-CSN).

«On se bat depuis plus de 25 ans pour être reconnus, pour être vraiment payés à notre juste valeur, mais rien ne change. Il y en a beaucoup, dans notre profession, qui sont ben écoeurés.» 

Elle conduit elle-même un autobus jaune depuis bientôt 20 ans. Une tâche qui n’est pas de tout repos, avec ces enfants turbulents et ces «cas problèmes».

«Dans les autobus, il y a 70 passagers. On en a une dizaine, parfois, qui auraient besoin d’accompagnateurs, pointe-t-elle. On parle des autobus jaunes, mais il y a aussi les berlines – les minivan – qui transportent cinq ou six enfants avec des problèmes de comportement. Ça crie, ça crache, ça beugle tout le long du trajet.»

Elle aime son travail malgré toutes ces contraintes. Même si, comme elle dit, la pression est de plus en plus forte et qu’il faut avoir des nerfs d’acier pour garder les deux mains sur le volant.

«Je porte la bataille pour gagner la reconnaissance envers ceux et celles qui tiennent à ce qu’il se passe quelque chose de concret, insiste-t-elle. Conduire un autobus scolaire, ce n’est pas une jobine, c’est un vrai métier. On s’occupe des enfants, on est là le matin, l’après-midi et en fin de journée. Au Québec, on respecte bien le travail des techniciennes en garderie, on ne dit plus que ce sont des gardiennes d’enfants. On mérite le même respect, et un meilleur traitement, il me semble.»

Une entente qui va tout régler?

La dirigeante syndicale m’a fait part de ses nombreuses doléances jeudi. C’était tout juste avant qu’on apprenne la conclusion d’une entente entre la Fédération des transporteurs par autobus (FTA) et le gouvernement.

Les détails de cet accord n’ont pas été révélés. Mais dans les milieux syndicaux, on calculait sommairement que Québec se devait d’allonger une somme de 70 millions $ pour porter le salaire annuel de leurs membres de 20 000 à 27 000 dollars.

Il faudra voir, au cours des prochains jours, si leur message a été entendu jusqu’à Québec, au bureau du ministre de l’Éducation. 

«On ne veut plus se contenter de ramasser les miettes», insiste Josée Dubé, qui représente 3000 des 10 000 conductrices et conducteurs.

Pas de plan B pour les parents

Cela faisait des mois que le dossier touchant le financement du transport scolaire – et de la rémunération des conductrices et conducteurs – avançait à pas de tortue. À vrai dire, les parties impliquées dans la négociation semblaient coincés dans un cul-de-sac. 

Il aura fallu l’intervention d’un médiateur pour en arriver à un règlement. Pour la suite des choses, on sait que le conseil d’administration de la Fédération des transporteurs compte recommander l’acception de cette entente, qui couvre une période de six ans.

Initialement, le gouvernement du Québec offrait une indexation d’environ 8% des enveloppes budgétaires pour le transport scolaire. Ce qui était loin de la demande des transporteurs, qui réclamaient une augmentation de 20% à 35%.

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Si la Fédération pense avoir trouvé «une voie de passage», d’autres trouvent «douteux» qu’une telle entente soit intervenue si rapidement en cette chaude journée du mois d’août...

Le syndicat des Métallos, par la voie de son directeur des communications, Stéphane Lacroix, se demande même si le sort de ses 1200 membres s’en trouvera véritablement amélioré.

Les salaires seront-ils augmentés substantiellement? Les transporteurs vont-ils utiliser les nouvelles enveloppes budgétaires pour corriger une injustice salariale qui dure depuis trop longtemps?

Ça reste à voir. Et il n’est pas certain que les conductrices et conducteurs y trouveront leur compte cet automne lorsqu’ils connaîtront les intentions de leurs employeurs...

Comme m’a répété un chauffeur qui a requis l’anonymat: «On ne semble pas réaliser à quel point nous sommes des travailleurs essentiels. Va falloir que le monde comprenne qu’on transporte notre avenir, nos enfants, nos adolescents. On ne transporte pas des poulets, bon sang!»